Le monde (…) est le lieu d’une immersion sensible (…) il est constitué de forces élémentaires (…) qui précèdent l’existence humaine, tout en lui offrant des racines « préhistoriques »
Jean-Claude Pinson, Habiter en poète
Pour la quatorzième action poélitique de Madame Terre, O s’est rendu à vélo à Gif-sur-Yvette, en vallée de Chevreuse, visiter ce colosse de Fernand Léger en sa maison dite Le Gros Tilleul, ancienne guinguette où il réalisa La Grande Parade. Maison où il reçut rien moins que Khroutchev et Youri Gagarine, et qui abrita les négociations pour la fin de la guerre du Vietnam. Derrière le portail graffé, habite maintenant un photographe. Après quoi, toujours avec Madame Terre ma foi assez bien assortie, O s’est rendu sur la tombe du peintre, tout près de la maison.
Comme l’écrit Bourdieu, la comparaison chez Elias, loin d’être au service d’une illusoire quête des origines, « a pour fin de saisir la spécificité de la pratique proprement sportive, ou plus précisément de déterminer comment certains exercices physiques préexistants ont pu recevoir une signification et une fonction radicalement nouvelles […] en devenant des sports, définis dans leurs enjeux, leurs règles du jeu, et du même coup dans la qualité sociale des participants, pratiquants ou spectateurs, par la logique spécifique du « champ sportif. » (…) En inscrivant le sport dans les mutations des formes de compétition pour le pouvoir politique, des contrôles exercés sur la violence et de la structure de la personnalité elle-même, Elias et Dunning en font un observatoire privilégié des évolutions de longue durée de la société occidentale.
Roger Chartier, préface de Sport et civilisation, La violence maîtrisée, de Norbert Elias et Eric Dunning
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« La treizième revient… » La treizième action poélitique de Madame Terre a été réalisée par O et moi. Je suis allée à pied photographier l’endroit où la Bièvre se jetait dans la Seine, un peu en amont du pont d’Austerlitz, puis, marchant par les rues des 5e et 13e arrondissements, j’ai photographié quelques-unes des plaques qui le long des trottoirs rappellent la présence de la rivière aujourd’hui souterraine.
Puis O, toujours à vélo, parcourant 80 km en la suivant avec ses étangs, est remonté jusqu’à la source, à Guyancourt. Cette fois Madame Terre a reçu un mélange de terre et d’eau de la rivière.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère Terre, qui nous entretient et gouverne, et produit toutes sortes de fruits, et de fleurs colorées, et de l’herbe.
Saint François d’Assise, Cantique des Créatures
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L’action alpha se double maintenant d’une action poélitique de Mme Terre, la douzième. O est retourné au mont Valérien, ce 7 août 2016, pour l’accomplir.
L’action alpha a eu lieu le 7 juillet 2016, voici la note originelle qui en rendait compte :
Ceci est ma première « action poélitique » – d’autres sont prévues. En l’occurrence, je pourrais l’appeler action poélithique puisqu’elle a consisté dans le fait de déposer une pierre à la flamme du mémorial de la France combattante au Mont Valérien (que je suis allée visiter il y a quelques années pour l’inclure dans mon roman Souviens-toi de vivre). L’action a été accomplie pour moi par O, qui a fait 50 km à vélo par monts et par vaux (beaucoup de collines dans le coin) et a photographié l’action, en deux temps : montrant la pierre dans sa main, puis la pierre posée sur le rebord du brûloir.
Le langage de la nature doit être comparé à un secret mot d’ordre que chaque sentinelle transmet dans son propre langage, mais le contenu du mot d’ordre est le langage de la sentinelle même.
Walter Benjamin, Sur le langage
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Je viens de réaliser cette action poélitique de Madame Terre, la onzième, à ma fenêtre à Paris. Cette fois est particulière : pas de prise de terre sur le lieu pour la mettre dans son sein. Puisqu’il s’agit d’une prise de ciel. Une opération invisible mais réelle ! Le point blanc est la station spatiale (en train de se déplacer d’ouest en est-nord-est, puis d’ouest-nord-ouest au nord. Le point minuscule à gauche de la station sur la première image est une étoile.
La première image a été prise au précédent passage de l’ISS, dimanche 31 juillet à 23h23. La deuxième image une heure et demie après, lundi 1er août à 00h58.
Comme le bricolage sur le plan technique, la réflexion mythique peut atteindre, sur le plan intellectuel, des résultats brillants et imprévus. Réciproquement, on a souvent noté le caractère mythopoétique du bricolage : que ce soit sur le plan de l’art, dit « brut » ou « naïf » ; dans l’architecture fantastique de la villa du Facteur Cheval, dans celle des décors de Georges Méliès (…) La pensée mythique n’est pas seulement la prisonnière d’événements et d’expériences qu’elle dispose et redispose inlassablement pour leur découvrir un sens ; elle est aussi libératrice, par la protestation qu’elle élève contre le non-sens, avec lequel la science s’était d’abord résignée à transiger.
Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage
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Ce samedi 30 juillet O est allé, toujours à vélo (quelque 130 km aller-retour cette fois !) accomplir notre dixième action poélitique de Madame Terre à la petite maison que s’est fait construire et où vivait Samuel Beckett à Ussy-sur-Marne, rencontrant au passage trace de son ami le peintre Henri Hayden. Une maison isolée dans une belle nature, où Beckett faisait aussi du vélo : « Je prends ma bicyclette et grimpe les côtes en me refusant à mettre pied à terre », écrivait-il en 1957 à son amie Ethna MacCarthy.
C’est un trou de verdure où chante une rivière, Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud, Le dormeur du val
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C’était la neuvième action poélitique de Madame Terre, réalisée hier par O sur la tombe du soldat inconnu.
Minute de silence pour toutes les victimes des guerres et autres atrocités déclenchées par des puissants à l’abri, pour tous ceux qui s’emploient à réparer les iniquités des puissants en combattant pour le retour à la liberté.