Une autre politique

En parlant de « ces populations », les Roms, qui « ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres » et ont en conséquence « vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie », Manuel Valls, soutenu par le chef de l’État, cache sous le mot population le mot race – puisque la misère est dénoncée comme mode de vie irrémédiablement enracinée dans leur être – et sous leur prétendue vocation du retour à leur terre d’origine, l’idéologie barrésienne de l’enracinement des hommes dans la terre où ils sont nés. « La psychologie de la race domine celle de l’individu », écrivait Vacher de Lapouge en 1899 dans L’Aryen.

Tandis que Valeurs actuelles continue à enchaîner les couvertures nauséabondes sur les Roms et les musulmans, et tandis que le gouvernement socialiste ne sait, en guise de politique intérieure, qu’exhiber son idéologie sociétale, semblant vouloir promouvoir un artificiel « homme nouveau », laquelle idéologie engendre en retour des mouvements réactionnaires également nauséabonds… et tandis que cet État ne sait en guise de politique extérieure qu’exhiber ses prétentions guerrières… comment ne pas constater que toutes ces valeurs actuelles – la race, la terre ; l’homme nouveau, la guerre – sont celles du bric-à-brac de la « pensée » pré-, péri- ou post-fasciste, qui poursuit son travail de gangrène dans notre société ?

Une autre politique est possible : une politique généreuse, inventive, audacieuse, une politique dotée d’une vision et d’un vrai courage, une politique de l’intelligence et de l’humanité, une politique qui ne se berce ni ne berce les autres de mots et d’idéologies. Une politique qui agit, qui ne se débarrasse pas par l’exclusion de ses devoirs à l’égard des hommes, qui ne renonce ni à lutter contre le crime, la délinquance et les manquements aux devoirs à tous les niveaux de la société, ni à œuvrer pour respecter, garantir et promouvoir les droits de tous. 

Refuser le nihilisme : accepter de le voir

tout à l'heure devant le collège des Bernardins, photo Alina Reyes

 

La cathédrale de Nantes a été vandalisée. Le ministre de l’Intérieur fait part de son émotion et de son indignation aux catholiques, l’Église appelle à l’apaisement « pour ne pas exacerber les tensions ». Les profanations de mosquées sont légion, comme le diable, mais il ne me semble pas avoir lu quelque déclaration de M. Valls pour exprimer sa sympathie aux musulmans, et ces derniers n’ont eu nul besoin qu’un imam les appelle au calme pour rester calmes.

Rester calme doit-il pour autant équivaloir à fermer les yeux ? Les tags nazis se multiplient de mois en mois sur les mosquées, victimes également d’envois orduriers. En quelques semaines voici aussi trois attaques spectaculaires contre des églises : le suicide d’un intellectuel d’extrême-droite à Notre-Dame de Paris ; la violation de la chapelle du Val-de-Grâce pour y tourner un clip vidéo, le Saint-Sacrement se trouvant sur l’autel, et le prêtre étant évacué de force ; et maintenant cette vandalisation de Saint-Pierre de Nantes, avec signes nazis, précédée d’un tagage de la cathédrale de Limoges. En quelques semaines, un jeune homme est mort sous les coups d’un néo-nazi à Paris, tandis qu’à Argenteuil une jeune fille voilée a été violemment agressée par un autre skinhead, qui l’a lâchée quand un homme est intervenu pour la secourir alors qu’elle était au sol – suite à quoi la police n’a rien fait d’autre que recommander à la victime de ne pas ébruiter l’affaire. Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire, comme les trois singes ?

De puissantes forces nihilistes ont été à l’œuvre tout au long du vingtième siècle à travers les œuvres de l’esprit. Elles continuent à produire leurs effets dévastateurs, d’autant plus aisément qu’elles ne sont pas identifiées comme nihilistes, ou même qu’elles se font passer pour humanistes. Ceux que j’appelle singes ne sont pas des personnes, mais comme disait saint Paul les puissances et les dominations spirituelles que nous devons affronter, et qui agissent à travers certains hommes et femmes, certains discours qu’elles ont investi d’une façon ou d’une autre. Détourner le regard ou se montrer complaisant avec les expressions ou manifestations du mal, c’est se soumettre à elles, qui œuvrent  à la destruction du monde. La mission de chaque être humain, c’est de sauver le monde, chaque jour. De débusquer le mal et de l’anéantir, empêcher sa nuisance. Quand trop d’hommes manquent à cette mission, le mal gagne du terrain, il finit par investir tout l’espace, et viennent des temps d’horreur, servis par des êtres humains déshumanisés. Nous devons sauver nos frères, les hommes victimes de la peste qui avance, mortelle mais aussi révélatrice, et autant que possible ouvrir les yeux des hommes tombés dans l’idolâtrie, dans la singerie de la condition humaine qu’ils croient devoir démonter comme une horlogerie et remonter à leur façon.

Les prophètes anciens nous ont laissé des avertissements et des enseignements lumineux. Mais ils n’ont pu porter de jugement sur les formes spécifiques du mal dans notre temps complexe, et c’est pourquoi beaucoup d’hommes pourtant instruits par les prophètes demeurent aveugles et désarmés devant des langues et des pensées séduisantes contemporaines, dont ils ne voient pas la portée malfaisante. Dieu n’a pas abandonné l’homme, il lui fait parvenir des paroles sûres pour aujourd’hui. Il ne reste qu’à attendre que l’homme veuille bien essayer de les écouter.

 

D’un château l’autre

Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

« la trouille, le gniouf ! leur hantise !… Mauriac, Achille, Gœbbels, Tartre !… ça que vous les voyez si nerveux, si alcooliques, d’un cocktail l’autre, d’une confession l’autre, d’un train l’autre, d’un mensonge l’autre ! » Louis-Ferdinand Céline, D’un château l’autre

 

L’Occident a une peur bleue de l’islam. Mais ce n’est pas la faute de l’islam si les églises se vident tandis que les mosquées poussent. Au lieu de montrer la grosse paille dans l’oeil du voisin, considérons la poutre dans le nôtre, qui nous aveugle.

Les imbéciles qui ont lancé une fatwa sur Rushdie lui ont permis de devenir célèbre et d’avoir toutes les faveurs de l’Occident, qui s’y prend plus discrètement et bien plus efficacement pour empêcher de parler les porteurs d’une parole dérangeante. Reconnaissons que nous, « démocrates », sommes en fait beaucoup plus fort en coups tordus et coercition. Les pays arabes l’ont appris à leurs dépens depuis assez longtemps.

Mais ils sont jeunes, et nous sommes vieux. Ils ont la vie devant eux, et nous pouvons la trouver avec eux, si seulement nous voulons bien nous défaire de ce regard épouvanté que nous posons sur eux.

« L’antisémitisme est un terrible fléau et sa résurgence ne peut pas être dissimulée » dit-il. Le Coran est sémite et l’antisémitisme frappe ses lecteurs comme ceux de la Torah. Mais Valls et compagnie sont aussi ignorants de l’esprit et du coeur que ceux dont ils dénoncent l’obscurantisme – quand ils ne le font pas à tort. »

Si toute religion a sa part d’intégrisme, a ajouté M. Valls, c’est aujourd’hui dans l’islam que cette part suscite la crainte. » J’entends bien, mais ce qui est plus inquiétant en vérité, c’est cette crainte dont parle M. Valls, cette peur massive, obsessionnelle, qui gagne l’Occident. De quoi a-t-il vraiment peur ? De l’islam ? Pourquoi ? Parce qu’il représente un monde en devenir ? Alors que le soleil est en train de décliner à l’Ouest ? Comment se fait-il que des hommes de culture chrétienne n’aient pas encore appris qu’il ne faut pas s’accrocher au « vieil homme » ? Le soleil se couche, la nuit passe, le soleil se lève, c’est ainsi.

Dans l’expression « le vieil homme », il faut entendre son sens biblique : l’homme enfermé dans le système de son monde. Qui prèfère sacrifier les générations suivantes plutôt que l’animal en lui, centré sur lui-même. L’homme des temps modernes, quoi.

Le père de Salman Rushdie rêvait, paraît-il, de « remettre en ordre les sourates du Coran ». Et pourquoi pas de remettre en ordre les étoiles dans le ciel ?

Voilà ce qu’est l’antisémitisme : la peur du Verbe, de la liberté du Verbe, et le désir de le contrôler. Exactement comme l’Occidental s’acharne à vouloir contrôler le vivant, le trafiquer, l’exploiter, et pour finir le polluer et le détruire.

L’expression « faux-cul » est parfaite. Le mien est vrai, comme celui de tous les prophètes, du plus petit au plus grand. C’est pourquoi les faux-culs, tout en se flattant leur faux les uns les autres, sont si obsédés par le vrai des vrais.

Le hijeb d’accord, mais à part pour les Targuis, exposés aux tempêtes de sable, porter un voile intégral ne me semble pas faire preuve d’ouverture envers ses semblables. Pourquoi Dieu nous a-t-il fait un visage, si ce n’est pour que nous puissions nous reconnaître les uns les autres comme des frères humains ?

Le paternalisme se porte bien, tant chez les colons que chez les abuseurs en tous genres, les pédophiles et leurs amis très compréhensifs. Tous ces gens grincent des dents quand ils entendent dire Dieu, et l’on entend crisser le verre du miroir qu’ils ont jeté.

Leurs guerres de connards, je les prends sur moi, ça les rapproche.

Traîtres à leur peuple et lâches, ceux qui l’appellent à laisser faire et grandir l’injure, l’injustice et la haine. Quel discours stupide, que celui qui consiste à répéter que tous les prophètes ont été insultés et n’ont pas pour autant réagi, considérant cela comme faisant partie de leur épreuve. Quel discours mensonger et trompeur. Qu’ont fait tous les prophètes, que n’ont-ils obstinément cessé de faire, face au mal, face au mensonge ? Sinon de le dénoncer avec puissance, de le combattre par leur parole et par l’exemple de leur vie mise au service de leur peuple ?

Cessez de trafiquer la vérité tout en prêchant le « travail sur soi », comme disent les magazines féminins et autres machins. Dieu, en tous Ses Noms et Attributs, doit être affirmé sans cesse, avec intelligence, amour et raison, y compris face aux mécréants, aux dénégateurs de Ce qui est Tout-Miséricorde et Souverain – ce que fait le Coran. Quant à l’insulte faite au Prophète et à ses amis, voici l’une des façons légitimes d’y répondre, indiquée par Lui-même :

« Celui qui t’insulte, c’est lui qui est châtré » (Sourate 108, Al-Kawthar).

Ne pas répondre est souvent pire que répondre, dans le sens où ignorer l’autre peut être non seulement une lâcheté et un aveuglement, mais aussi un déni de l’autre. Lui répondre, même vigoureusement, c’est reconnaître son humanité et, par le simple fait de répondre, donc de susciter son attention sur son propre comportement, l’inciter à se sortir du mauvais chemin, comme le fait aussi sans cesse le Coran.

Le terme « châtré » est la traduction au plus près du mot, ce n’est pas moi qui l’invente. J.Chabbi, professeur d’études arabes à l’Université Paris VIII-Saint-Denis, explique dans son livre « Le Seigneur des tribus – L’islam de Mahomet »(CNRS éd) que les traductions habituelles euphémisent le verbe arabe par une sorte de pudeur, mais qu’on se trouve bien dans ce verset  « en présence de ce que l’on pourrait appeler un renvoi d’injure » et qu’il importe « de faire ressortir la violence de la situation pour ne pas se méprendre sur la nature des propos échangés. » Aller au dictionnaire !

Il ne s’agit en aucun cas de châtrer par vengeance, mais bien de répondre à l’injure par une autre violence verbale, qui a par ailleurs, si l’on y pense,aussi un sens spirituel : celui qui insulte profère un mensonge, il est donc  en quelque sorte châtré de la langue, sa langue est coupée, coupée de la vérité et donc de la possibilité de faire un don de vie.

La loi du talion, rappelons-nous qu’elle est  adoucie par cette parole du Coran : « quiconque y renonce par charité, cela lui vaudra une expiation » (V, 45). C’est au départ une loi pour empêcher les vendettas sans fin, les vengeances démesurées : oui, plutôt que la démesure, mieux vaut la loi du talion,  œil pour œil , dent pour dent, mais pas plus. Et plutôt que la loi du talion, chaque fois que c’est possible, mieux vaut la loi du cœur, si  elle ne met pas en danger d’autres personnes.

Je me rappelle la rugosité des cornes du taureau Espoir dans mes paumes. À la fin, il s’est couché devant ma porte. Son souffle sortant de ses naseaux autour du lourd anneau de fer déposait sur la vitre de grandes buées qui s’évanouissaient vite.

 

Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

La pensée de Mohammed, comme celle de Jésus, comme celle de tous les prophètes, quel que soit le stade de pensée auquel ils atteignent, est parfaitement, absolument claire et nette. Que ceux qui ont le cerveau en marmelade, gavés qu’ils sont de graisses et de sucreries intellectuelles, n’y comprennent rien, cela est aussi normal que les obèses ne sont pas aptes à la course ni au saut. Un seul remède : l’ascèse. Chercher la simplicité est la seule voie qui conduise à la vision claire et bienheureuse de l’infiniment complexe d’équations rapides comme l’éclair.

Pour vous guider, si vous n’entendez pas Dieu, du moins tout ce que les djinns chuchotent, rejetez-le.

Celui qui connaît Dieu ne confond pas Sa voix ni Sa parole avec celles des insinueurs. La langue de la mort, rien de ce qu’elle insinue, elle ne l’aura.

Ils ont besoin d’un bouc émissaire, c’est classique… mais de là à ne pas pouvoir s’en passer… après avoir supprimé d’Europe des millions de juifs, ils se sont très bien passé de ne plus en avoir chez eux… Disons qu’ils ne peuvent pas se passer de nous tant que leur haine n’a pas abouti à notre destruction. C’est un problème difficile. Certains peuvent reculer dans leur pulsion et la laisser tomber, d’autres ne le peuvent pas du tout, ils continuent en dépit de tout. Ne pas se laisser faire et continuer à avancer sur le chemin de la vie, nous n’avons pas d’autre choix, je crois.

L’idée que se font les hommes de Dieu change d’une religion à l’autre, mais aussi d’un être humain à l’autre dans une même religion. Mais Dieu, il est unique. Sinon, il ne serait pas. Il ne serait que l’idée qu’on s’en fait. Or Il est, en Lui-même. Orientez le miroir de telle ou telle façon en direction de Sa face, vous aurez telle ou telle représentation de lui. Chacune sera vraie, et pourtant différente. Il faut arriver à s’élever par-dessus les miroirs pour Le voir, à travers tous les miroirs et sans miroir, directement, face à face.

Faire les ablutions dans un petit récipient d’eau parce que la salle de bains est prise, faire la prière, vaquer, songer à Dieu, puis remplir de nouveau un petit récipient d’eau pour commencer à peindre.

Ceux qui considèrent l’islam comme une reprise de la Bible pleine d’erreurs devraient se demander aussi quelles furent les références de la Bible. Elles sont moins connues parce que plus lointaines dans le temps, mais elles existent, et à partir d’elles le texte biblique a donné une parole différente, une parole de Dieu, comme le Coran a repris la parole biblique pour la transposer sur un autre plan. Il faut seulement s’en approcher avec respect pour le comprendre. L’islam est vrai, et vraiment bon.

« Faut-il y voir un lien avec la visite en France de Benyamin Nétanyahou? » se demande Le Figaro. La droite avait renoncé à expulser ce vieillard malade père et grand-père, qui ne prêchait quasiment plus. La gauche le fait, le flic Valls, « lié de manière éternelle à Israël » selon ses propres dires, se paie un coup d’éclat minable à offrir sur un plateau d’argent à un chef d’État qui bafoue chaque jour un peu plus le droit international, invite les juifs de France à venir s’installer en Israël donc à venir occuper toujours plus de territoires qui ne leur appartiennent pas en spoliant, expulsant et enfermant les Palestiniens. Saleté.

La présence de l’islam nous rappelle que ce vers quoi nous devons aller aujourd’hui, c’est une résurrection, plutôt qu’une renaissance. C’est-à-dire, un renouveau par la spiritualité. En elle la civilisation se trouve aussi bien dans la cité que dans le nomadisme. Abraham n’était-il pas un nomade ? Et nous sommes ses enfants, musulmans, chrétiens, juifs. De lui viennent de grandes civilisations, de lui d’abord de grandes religions. Une spiritualité dont la source demeure représentée dans le nomadisme tel que nous le connaissons au désert, tel que nous avons à le réinventer, comme la civilisation figurée par l’architecture des cités. Le mal du colonialisme trouve dans le temps son bienfait en retour, l’importation de l’islam en Europe. L’Europe par elle-même sait inventer des renaissances, mais pas des résurrections. Toutes ses religions lui viennent de l’Orient. L’islam vient rafraîchir sa spiritualité fatiguée, il est une chance de réveil pour les autres religions aussi. Tout à la fois une grande chance et un grand risque évidemment, c’est pourquoi il nous faut naviguer attentivement, en Europe et en Orient, à la bonne Étoile, celle du ciel ! Une étoile nommée Vérité, à chercher et à suivre.

*

Charlie Hebdo & Co, la dérive infernale


une page de Charlie Hebdo du 22-8-12, cliquer pour voir en grand

D’où vient que, soudain, une jeune fille voilée attira l’attention jusqu’à focaliser sur elle tous les discours ? Elle avait dû entrer en cachant son foulard dans son sac avant de le nouer sur sa tête dans l’Hémicycle. Elle était militante, allumée, ardente, jolie, électronicienne (je crois), membre d’Amnesty International (c’est ce qu’elle disait).

On n’écoutait pas vraiment ses propos confus, mais on ne voyait plus qu’elle. En trente secondes, elle était devenue l’élément érotique de l’Assemblée.

Allait-elle jeter une bombe ? S’immoler par le feu ? Se mettre à prier en public ? Non, elle avait l’air normale.

Mais comment pouvait-elle incarner volontairement une image aussi terrible de la sujétion de la femme ? N’était-elle pas la victime de son père et de ses frères ?

Ne défendait-elle pas, sans s’en rendre compte, la condition atroce de milliers de corps emprisonnés dans l’esclavage, le fanatisme, l’obscurantisme, le terrorisme, l’absence de sport, le refus de la science et du progrès, l’horreur de l’enfermement patriarcal et le respect absurde d’un Dieu meurtrier ? On la huait, mais elle était, à l’évidence, l’objet d’un trouble massif. On avait honte pour elle, mais avec curiosité.

Cachez ce voile que je ne saurais voir, lui disait l’un. « Et s’il me plaît, à moi, d’être voilée ? », semblait-elle répondre comme un personnage inconscient de Molière. Elle était odieuse, bien entendu, mais sympathique, comme tous les opprimés. Bon, ce n’était qu’un début, continuons le débat.

Philippe Sollers dans Le Monde, le 28-6-03

Cachez cette musulmane que je ne saurais voir… De débat, il n’y en eut pas, mais le combat occulte ne faisait que commencer. Il faudrait convoquer Freud pour commenter la névrose hystérique des anti-voile, mais cela ne suffirait pas à empêcher ses implications politiques désastreuses. « L’élément érotique de l’Assemblée » démangeant furieusement ces messieurs-dames les Français bon teint, dont le trouble désir, le « trouble massif », n’allait pas tarder à s’exacerber en furieuse envie de chasser et d’abattre.

L’affaire des caricatures du Prophète de l’islam par Charlie Hebdo a causé un grand scandale parce qu’elle n’est en fait que l’épiphénomène d’une islamophobie et d’un racisme qui se développent profondément et largement dans les esprits, tant parmi le peuple que parmi ses élites intellectuelles, saisies de panique au point d’en perdre la tête. La première énorme manifestation de ce phénomène fut sans doute la publication par Oriana Fallaci, journaliste italienne jusque là fameuse pour ses engagements progressistes, d’un livre extraordinairement nauséabond, par son islamophobie et son racisme délirants. La rage et l’orgueil se vendit très vite à plus d’un million d’exemplaires en Italie. En novembre 2002, lors de sa parution en France, ce livre fut défendu dans Charlie Hebdo par l’un de ses chroniqueurs, Robert Misrahi, qui en fit l’éloge, disant notamment : « Oriana Fallaci fait preuve de courage intellectuel » et « Elle ne proteste pas seulement contre l’islamisme assassin ». L’islam est en croisade contre l’Occident, telle est la thèse de l’ouvrage. On y trouve des phrases aussi nauséabondes que :

Ils se multiplient comme des rats

Il y a quelque chose, dans les hommes arabes, qui dégoûte les femmes de bon goût. 

leurs braillements Allah akbar-Allah akbar

debout, braves gens, debout ! Réveillez-vous ! Paralysés comme vous l’êtes par la peur d’aller à contre-courant ou de sembler raciste

Cette Europe clownesque et stupide qui fornique avec les pays arabes

Jean-Pierre Thibaudat raconte dans Libération du 10 octobre 2002 que pendant le procès intenté par la Licra, le Mrap et la Ligue des Droits de l’Homme lors de la publication du livre en France (les poursuites furent finalement annulées pour vice de précédure), Me Patrick Baudoin, l’avocat de la LDH, déclara : « C’est un livre qui pratique de bout en bout une politique de l’amalgame», en associant musulmans et extrémistes sous le terme «fils d’Allah». Citant abondamment l’ouvrage, il souligna l’usage d’un certain vocabulaire ­ «horde», «miasmes nauséabonds», l’usage répété du verbe «grouiller» ­ rappelant «la pire des littératures antisémites». Il cita l’un des moments les plus terribles du livre, celui où Oriana Fallaci décrit des Somaliens campant sur l’une des places de Florence. Elle parle des «braillements d’un muezzin», de «la fumée puante», «de leur bouffe», et «pour accompagner tout ça, les dégoûtantes traces d’urine qui profanaient les marbres du baptistère (parbleu ! Ils ont la giclée longue les fils d’Allah)…». De sa voix douce et posée, Me Baudoin ajouta : «Si cela n’est pas une provocation à la discrimination raciale, qu’est-ce qu’il faut écrire ?»

Devant le tollé suscité par le soutien de Charlie Hebdo à ce livre infect, le chroniqueur dut quitter le journal. Mais Oriana Fallaci, porteuse de son discours abject, n’en fut pas moins bienvenue sous de beaux plafonds (Benoît XVI notamment la reçut en 2005), et inspira, jusqu’à sa mort et maintenant encore, bien des intellectuels laïques ou religieux, à Rome, à Paris ou ailleurs. Anciens ou nouveaux compagnons de route d’une mouvance de gauche ou d’extrême-gauche, certains agissent en sous-main et main dans la main avec l’extrême-droite. Ces jours derniers le site web Riposte Laïque, fondé par l’ancien trotskyste Pierre Cassen, et auquel collabore Anne Zelensky, cofondatrice de la Ligue du droit des femmes avec Simone de Beauvoir, clamait : « Oriana Fallaci avait raison ».

Le site utilise d’ailleurs sans cesse un semblable vocabulaire ordurier pour désigner les musulmans. On s’y déclare « résistant » au « fascisme islamique », et comme dans les obsessions de Sollers, on s’y croit à Radio Londres. « Dans la France des années 30 (…) il y avait une hystérie antisémite, comme aujourd’hui il y a une hystérie antiraciste »  écrit Anne Zelensky, volant au secours de Marine Le Pen. Ainsi le temps des idéologies, des faux-semblants et de la falsification, achève-t-il d’enterrer le vrai, pour entrer dans le temps de l’inversion de la vérité : leur hystérie raciste devient dans leur parole fausse une « hystérie anti-raciste » de la société !

Le voile est une opération terroriste. (…) En France, les lycéennes savent que leur voile est taché de sang. (…) Dans nos écoles, question d’honneur, on n’enseigne pas à des élèves en uniforme. Sauf au temps du nazisme, écrivait André Glucksmann dans L’Express le 17 novembre 1994.

Tout aussi lamentable et dans un autre registre, la fantasmatique de ces messieurs puisant dans l’épouvante et la réaction violente, Jacques Julliard écrivait dans Le Nouvel Observateur du 16 septembre 2003 :  Inversez les deux voyelles, et dans voile, vous trouverez viol. En dissimulant ostensiblement le sexe au regard, fût-ce sous la forme symbolique de la chevelure, vous le désignez à l’attention ; en enfermant le corps féminin, vous le condamnez à subir l’effraction. (…) Toutes les coquettes le savent bien aussi, qui font de la comédie de la dissimulation la forme la plus raffinée de l’exhibitionnisme.

D’autres phobiques du voile islamique ne savent avancer que masqués des pieds à la tête. De même que les caricatures ne sont pas toujours celles qui en ont le plus l’air, ni ne viennent toujours d’où elles ont l’air de venir, ni ne vont où elles prétendent aller, les plus « voilées » ne sont pas les porteuses de foulard ni même de burqa. Les plus « voilées » sont les pensées et les actions phobiques d’hommes et de femmes régis par leurs tripes en déroute. « Philippe Sollers use-t-il de ses réseaux pour manipuler l’opinion ? » se demandait L’Express le 1er octobre 2002. Ce qui est certain c’est que les réseaux constitués par de tels « parrains » ou maîtres de l’édition, des médias et de la politique, finissent par constituer un monde assez petit et total, voire totalitaire, où il n’est pas impossible de s’entendre pour monter des manipulations à grande échelle de l’opinion.

Dans un long texte très documenté, intitulé Vendre « le choc des civilisations » à la gauche, paru sur le site Réseau Voltaire le 30 août 2007, Cédric Housez montre que l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo et l’association féministe Prochoix, après s’être donné une identité libertaire et avoir trouvé une audience chez les électeurs de gauche, se sont mués en relais des thèses néoconservatrices du « choc des civilisations ». Cette rapide dérive leur a permis de trouver des soutiens institutionnels et médiatiques tout en conservant une partie de leur lectorat. Ils s’emploient désormais à vendre à gauche les politiques de Washington et de Tel Aviv et à casser le mouvement anti-impérialiste.

Cédric Housez raconte notamment qu’en novembre 2003, Philippe Val n’avait pas supporté qu’un sondage commandé par la Commission européenne établisse que 59 % des citoyens de l’Union européenne estimaient qu’Israël était une menace pour la paix dans le monde . Et reprenant un des pires axes de la propagande sioniste, il accuse les critiques de la politique coloniale israélienne de crypto-négationisme : « Nous arrivons au temps absurde où l’émotion suscitée par une attaque – condamnable – de l’armée israélienne dans une zone palestinienne permet d’ignorer la mémoire des victimes des nazis ». Ne s’agit-il pas là, comme dans le cas du prétendu « délire anti-raciste », d’une autre manipulation de la parole et de la pensée, inversant la vérité en faisant de la victime un bourreau, du bourreau une victime ?

En 2006, Charlie Hebdo publie les caricatures du Prophète parues dans un journal danois. Puis, raconte Mona Chollet, continuant d’exploiter le filon providentiel… [il] publie à grand fracas un « Manifeste des Douze » (hou, hou ! morte de rire !) intitulé « Ensemble contre le totalitarisme islamique » (), signé notamment par Philippe Val, Caroline Fourest (), Salman Rushdie, Taslima Nasreen, et Bernard-Henri Lévy. À propos de ces caricatures danoises, elle rappelle les paroles du journaliste Martin Burcharth : « Nous, Danois, sommes devenus de plus en plus xénophobes. La publication des caricatures a peu de relations avec la volonté de voir émerger un débat sur l’autocensure et la liberté d’expression. Elle ne peut être comprise que dans le climat d’hostilité prégnante à tout ce qui est musulman chez nous. » Il précise aussi, ajoute Mona Chollet, que le quotidien conservateur Jyllands-Posten, qui a fait paraître les caricatures de Mahomet, « avait refusé, il y a quelques années, de publier une caricature montrant le Christ, avec les épines de sa couronne transformées en bombes, s’attaquant à des cliniques pratiquant l’interruption volontaire de grossesse ».

Quant à Philippe Val, dit-elle aussi, le site « PLPL nous apprend qu’en août 2005, un hommage lui a été rendu dans un discours par un dirigeant du MNR de Bruno Mégret : « Les musulmans sentent bien la force de leur nombre, ont un sentiment très fort de leur appartenance à une même communauté et entendent nous imposer leurs valeurs. En ce moment, des signes montrent que nous ne sommes pas seuls à prendre conscience de ce problème. (…) J’ai eu la surprise de retrouver cette idée chez un éditorialiste qui est à l’opposé de ce que nous représentons, Philippe Val, de Charlie Hebdo, dans un numéro d’octobre 2004. »

Et pour en revenir à l’origine névrotique de cette phobie de l’invasion, notons aussi ce passage du texte de Mona Chollet : « Déjà, la déclaration de Luz (attribuée par erreur à Philippe Val) selon laquelle la rédaction de Charlie, dans son choix des caricatures qu’elle allait publier, avait « écarté tout ce qui était mou de la bite », avait mis la puce à l’oreille du blogueur Bernard Lallement : « Toute la tragédie est là. Faire, comme du Viagra, de l’islamophobie un remède à son impuissance, expose aux mêmes effets secondaires indésirables : les troubles de la vue ; sauf, bien sûr, pour le tiroir caisse. »

Ailleurs, Mona Chollet raconte qu’en juin 2008, Caroline Fourest est envoyée par Charlie Hebdo aux Pays-Bas, afin de rencontrer un autre martyr de la liberté d’expression, le caricaturiste Gregorius Nekschot… Nekschot est l’auteur de dessins où l’on voyait, par exemple, un Arabe assis sur un pouf, avec cette bulle :

« Le Coran ne dit pas s’il faut faire quelque chose pour avoir trente ans de chômage et d’allocs. » (…) Ou encore un imam habillé en Père Noël et sodomisant une chèvre, avec pour légende : « Il faut savoir partager les traditions. » Ou encore un imam (à moins que ça ne soit le Prophète Mahomet) sodomisant une fillette voilée – désopilant – ou encore – mort de rire ! – imposant une fellation à la petite Anne Frank…

En novembre 2011, Charlie Hebdo renoue avec le filon de la caricature de Mohammed, qui a l’avantage de faire exploser les ventes et donc de rapporter tout à la fois beaucoup d’argent au journal et beaucoup d’audience à son idéologie sournoise. Et 19 septembre 2012 donc, il récidive. Avant d’en venir à ces dernières caricatures, je suis allée consulter à la bibliothèque de mon quartier les quinze précédents numéros du journal qui s’y trouvent.

C’est dans le numéro daté du 22 août que figure cette page de caricatures glaçantes sur les Roms, en plusieurs tableaux effroyables où ils sont présentés comme des animaux souvent immondes, sans que rien n’indique qu’elle n’est pas à lire au premier degré ni ne permette d’en voir un autre. Un peu plus loin dans le journal, « La fatwa de la semaine » de Charb s’intitule Mort aux Roms ! Tout son texte manie une ironie si sordide et triste qu’on a du mal, là aussi, à y voir autre chose que ce qui y est. C’est vrai, le Rom pue, dit-il. Ou bien : Pourquoi ne les tue-t-on pas, les Roms ? Concluant : Les socialistes et l’UMP respectent la tradition coprophage des Roms, les deux partis ont la même éthique. Je crois que vous serez d’accord, il faut faire du caporal Valls notre Guide suprême afin que de son bras puissant il balaie la crasse Rom jusqu’au Danube. Amen. 

Dans le même numéro, Gérard Biard écrit, et là c’est sans ironie : Il devient urgent de nommer les islamistes modérés pour ce qu’ils sont : des obscurantistes sournois.  En double page centrale, un article sur le projet d’une ville réservée aux femmes en Arabie Saoudite. Un zoo féminin, dit Zineb, qui fait aussi cette remarque purement raciste : Depuis l’invention du zéro, dont les Saoudiens se coiffent toujours fièrement, il s’agira sans doute de la contribution la plus importante des Arabes à l’avancement de l’humanité. S’il mentionne que les Chinois ont déjà eu un même projet, ces derniers trouvent davantage grâce à ces yeux car dans leur ville les femmes auront le droit d’accueillir des hommes « pour des besoins de compagnie ».

À la fin du journal, la série de reportages de l’été, « Mes grandes vacances à Kaboul », est cette fois consacrée à la burqa. L’obsession de l’islam et des Arabes, doublée d’une insistance sur Marine Le Pen, court dans tous ces numéros de l’été. La tonalité « de gauche » du journal est marquée par des articles à caractère social ou écologique, un petit encadré est même réservé chaque semaine à l’association Réfugiés Sans Frontières, qui présente « l’expulsé du mois ». Mais la cause palestinienne, un classique de la gauche, n’est jamais évoquée.

Dans le numéro daté du 14 août, un article sur le porno donne ce titre de film, inventé : Beurettes de ma cité (vas-y, sors ta teub). Dans une BD, on voit deux collègues à attaché-case au café, il fait chaud. Le Blanc commande un demi, l’Arabe ne commande rien car le serveur est arabe aussi et c’est ramadan. Le Blanc insiste, bois quelque chose, mais son collègue arabe transpire de peur devant son coreligionnaire, qui dit : « Nous les muslims faut faire ramadan, c’est comme ça Monsieur. » On se croirait dans Tintin au Congo. La double page centrale s’intitule In bed with Mahomet. Il s’agit d’un reportage, textes et dessins, dans cinq mosquées de Paris pendant le Ramadan. Ramadan n’est pas qu’un mois de soif et de mauvaise haleine, est-il écrit, avant une description ironique des prosternations nocturnes devant Allah.  Page suivante, un reportage de Wolinski à Tunis : Devant la cathédrale, nous sommes soudain entourés par de jeunes femmes voilées brandissant des banderoles et hurlant des slogans à la gloire du ramadan. Des barbus les surveillent. Ma parole, décidément on dirait qu’ils ont tous plus peur des femmes voilées que des barbus !

Dans le numéro du 8 août, Wolinski, déjà à Tunis, raconte : c’est Dieu qui achète cette piété obscurantiste. Puis : Quant au travail on ne s’en soucie pas, l’important c’est de gagner de l’argent sans rien foutre. Dans la série des vacances à Kaboul, le témoignage d’une prostituée locale : Il y a quelques jours un client a voulu me sodomiser, j’ai dit non, il était rouge de rage. J’ai fini par comprendre qu’il ne savait pas que j’avais un autre trou, alors qu’il était marié depuis deux ans. Tandis que chez nous, sans doute, les clients des prostituées sont tous des types parfaitement bien dans leur peau.

Le 18 juillet, la chronique de Cavanna commence ainsi (inutile de vous pincer, je vous garantis que c’est vrai) : Il y a, dans la vie, des choses agaçantes. Par exemple, la disparition des chrétiens. Démonstration faite, il aboutit à : Résultat : il n’y a presque plus de curés en France. Ça ne peut pas durer. Il faut faire quelque chose. Des immigrés ? Les Arabes ne demandent pas mieux, avec quelques petits changements dans les détails… C’est à mettre à l’étude. Il faudra, bien sûr, faire quelques concessions, genre envoyer nos sœurs et nos épouses jouer au foot avec un voile là où ça se met [Toi aussi, Cavanna, le voile ! le ça ! le mettre !] Il y a du symbolique, là-dessous. [le là-dessous !] Mais les Arabes sont-ils beaux joueurs dans la discussion ? [Ne l’ont-ils pas plus grosse que nous ?] Ils vous clouent le bec d’un « Dieu est grand » sans réplique. Ils ne s’emmerdent pas avec des histoires de grand horloger, pas plus que d’œuf et de poule. [Ben voyons, ils sont si bêtes]. Expliquant ensuite que l’athée n’existe que par opposition aux croyants, il conclut : Il nous faut [non, pas des musulmans mais] des curés si nous voulons sauver l’athéisme.

Ah, c’est donc ça, la tactique ? C’est là que j’ai envie de faire une petite pause dans la lecture de tous ces Charlie pour aller nous rafraîchir avec la vraie parole d’Armand Robin, qui dans un livre intitulé La fausse parole, inspiré par les propagandes soviétiques et autres qu’il captait à la radio, écrivait sur ces hommes lamentables qu’on appelle puissants :

Ils n’ont jamais songé à s’emparer du non-pouvoir. Plus ils tombent, plus, comme pour aider absurdement à leur chute, ils s’alourdissent de leur “ eux-mêmes ”; à force de vouloir l’emporter dans les batailles du relatif, ils s’ajoutent l’un à l’autre l’épuisement que représente chaque succès remporté dans l’ordre des apparences. Quand ils perçoivent que de la haine rôde, ils ne conçoivent pas de la détourner sur eux afin de la retirer de la circulation et d’avoir ainsi l’occasion de rompre un enchaînement d’actes mauvais; au contraire, ils se hâtent d’apporter leur mal au mal général. Ils ont oublié que la parole sert à dire le vrai, sont fiers de répondre par des mensonges à d’autres mensonges, créent ainsi partout au-dessus de la planète des univers fantomatiques où même l’authentique, lorsque d’aventure il s’y égare, perd sa qualité; ils sont “ stratégiques ” et “ tactiques ”, expliquent-ils dans leur jargon, ce qui signifie qu’ils ne parlent que par antiparoles; derrière chacun de leurs mots on sent la présence de leurs intérêts de caractère matérialiste, c’est-à-dire la présence du néant. Devant cette sottise, on reste là, comme ça : même les poètes ne happent plus que des souffles accourcis en râles. 

Reprenons. Ce 18 juillet, au-dessous de la susdite chronique de Cavanna, se trouve un article intitulé Ramadan, la fête rasoir des barbus, racontant avec consternation qu’au Maghreb, tout cela n’arrange évidemment pas la saison touristique [tout cela ne nous arrange pas, nous autres Européens, et n’arrange pas non plus nos vacances].

Le 25 juillet – je vous les livre dans l’ordre où ils me sont tombés sous la main – la Une annonce : Non au port du voile aux J.O. Une obsession maladive, je vous dis. Et maladivement raciste. Le dessin représente deux athlètes féminines en train de courir, au stade. L’une est sombre, voilée façon Batman, l’autre blonde. La blonde prévient la voilée : Farida, on voit tes couilles. En effet, elles dépassent de son short. En dernière page, trois autres dessins associent J.O. et islam, comme si c’était le problème de ces Jeux, et le seul. Il est traité aussi en double page centrale, avec l’interview d’Anne Sugier – tiens, une contributrice du site ultra-raciste Riposte Laïque. Le petit monde est petit. En deuxième page, un article ironique appelant à se débarrasser des filles fatigantes en les jetant par la fenêtre (c’est pour moi ?) ; il s’intitule Le nouvel Abraham (en guise de fils, il sacrifie sa fille). Également au sommaire un article intitulé Le retour du grand Turc, ainsi présenté : Entre « printemps arabes » et déchéance européenne. Une association anxieuse entre monde arabe et Europe qui rappelle celle que faisait Oriana Fallaci.

Le 27 juin, en Une : Égypte. Enfin une femme de président qui ne tweete pas. Le dessin la représente en ménagère voilée, en train de faire la vaisselle. En deuxième page la chronique de Bernard Maris : Tout ça pour ça… Tout ça pour voir des barbus arriver en Égypte avec leurs poils sortant du nez, des yeux et des oreilles. Laissez-vous pousser les poils, les hommes, au cas où l’on vous confondrait avec des femmes ! Et cachez bien ceux de vos femelles ! Registre animal, un classique du racisme. Et cette obsession sexuelle, cette hantise de la confusion des sexes. On aurait presque pitié d’eux.

Toujours dans le même numéro, un article ambigu de Paul Klein, citant longuement des portraits très flatteurs de Marine Le Pen parus dans certains journaux américains. Pour conclure, sans démonstration, qu’en fait, contrairement à tout ce qui vient de nous être dit, son parti est « un mouvement fasciste ». Est-ce assez pour contrer cette longue image qui vient de nous être donnée d’une femme de gauche, qui veut seulement défendre ses concitoyens contre la mondialisation ?

Dans le numéro du 4 juillet, le même auteur poursuit sa réflexion. Qu’est-ce que le fascisme ? demande-t-il. Son développement se conclut ainsi : C’est pourquoi les discours « sociaux » de Mme Le Pen n’ont rien d’étonnant : ils ne signifient pas qu’elle est « de gauche », mais que, comme tout dirigeant fasciste digne de ce nom, elle mêle le  mensonge nationaliste à un socialisme frelaté. Et le discours de Charlie Hebdo, ne mêle-t-il pas le mensonge et le frelaté ?

Le 30 mai, en Une, Une taupe au Vatican. C’est le moment des fuites de documents, le pape est représenté avec une taupe qui sort de son habit au niveau de son estomac [mangez, ceci est mon corps ?], voire de son cœur [ceci est mon sang], disant « ça me change des enfants de chœur ». L’irrévérence est prudente et mesurée. Et Charb menteur, qui prétendait l’autre jour que lorsqu’ils avaient représenté le pape enculant une taupe, les chrétiens n’avaient rien dit, eux.  Non ce n’est pas ce qui est représenté, et le dessin n’a aucune commune mesure avec les dessins orduriers réservés à l’islam quelques semaines plus tard.

Le 6 juin en Une un dessin de Cabu : Madonna défie Marine Le Pen. À l’intérieur du journal deux autres dessins de Madonna vs MLP, dont l’un avec Madonna en Jeanne d’Arc. Et un article sur le financement par le roi du Maroc d’une nouvelle mosquée à Blois : Rien n’est trop beau pour la gloire d’Allah, surtout en terre laïque. Le 13 juin en Une revoilà le Front National, avec ce titre : Assemblée. Le FN espère trois sièges. Tiens je n’ai pas fait exprès mais c’est le dernier numéro que j’ai feuilleté (à la fin, j’en avais plus qu’assez, je suis passée vite) et nous voilà justement revenus d’où nous étions partis au début de ce texte : à l’Assemblée. Si j’ai bien compris donc, on préfère y voir des blondes martiales plutôt que des belles voilées. Paul Klein est assez culotté ma foi de dénoncer dans le même numéro « la collusion objective des médias » avec Marine Le Pen.

Et maintenant, comment ne pas admettre que ces « caricatures de Mahomet » parues la semaine dernière sont en fait des insultes politiques adressées aux musulmans, représentés en état d’invalidité puis de soumission. Représentés comme ces messieurs aimeraient qu’ils soient. Et comme ils ne sont pas.

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Pour aller plus loin : La grande illusion, Figures de la fascisation en cours