De l’implicite et de son dépliement, dans la littérature profane ou sacrée

nemoCette œuvre de Nemo est l’une des premières œuvres de street art que j’ai photographiées, il y a longtemps, avec un petit appareil jetable. Nulle végétation ne couvrait alors le mur de cette rue du 13e arrondissement de Paris (rue Le Brun). Maintenant, l’été, quand le feuillage abonde, on ne la voit quasiment plus. Je l’ai rephotographiée il y a quelques jours

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J’ai pu contempler Vénus et Jupiter toutes proches depuis le RER, tôt ce matin. Puis, lors du premier cours de la journée, après avoir fait la synthèse de notre lecture analytique de l’incipit et de l’explicit de La petite Roque, avec le retournement qui s’opère de l’un à l’autre, j’ai fait remarquer à mes élèves de Seconde que la littérature traite les grandes questions du crime, comme les textes sacrés, et que ces derniers pouvaient et devaient être lus comme nous lisons la littérature, en dépliant leur sens. Je leur ai rappelé ce que je leur avais déjà dit de l’implicite (du sens « plié dedans », selon l’étymologie) et de l’explication (son « dépliement »), je leur ai dit les premières phrases, en hébreu, en arabe et en grec, de la Torah, du Coran et de l’évangile de Jean, en leur expliquant qu’elles commençaient toutes par un petit mot qui signifie « dans », ce même dans que nous trouvons dans le in (im) de implicite, et que cela signifiait que ces textes étaient aussi à lire non à la lettre mais par l’intelligence – en leur rappelant aussi la fois où je leur avais fait une petite démonstration de ce type de lecture à l’aide d’un éventail que j’avais apporté et montré plié, puis déplié.

Quel bonheur.

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Le parfait amour

Depuis lundi, la rentrée, la grande joie.

Heures de cours, heures de bonheur.

Ça devient vraiment génial. Et ce n’est qu’un début.

Avec mes élèves je file le parfait amour. Je pèse mes mots.

L’amour socratique, l’agapé, sans une ombre au tableau.

Mes élèves ont du génie.

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du RER, de jour

du RER, de jour

du RER, de nuit

du RER, de nuit

rer nuit

Aujourd’hui à l’aller et au retour du lycée, photos Alina Reyes

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Faussaires ordinaires

Dans le hall de la fac où nous pique-niquions, mes jeunes collègues professeures parlaient des divers manquements de la société à l’égalité hommes-femmes. L’une citait Le deuxième sexe, elles connaissaient leur sujet. Cela s’est gâté quand la lectrice de Simone de Beauvoir s’est mise à critiquer les hommes qui vous font remarquer qu’ils ont investi beaucoup d’argent pour vous dans un voyage alors que vous avez payé vous-même votre billet d’avion et partagé le prix de la chambre d’hôtel. Certes c’est lui qui a payé seul tous les restos, mais enfin, vous étiez là. Sous-entendu, votre présence se paie. Voulant me convaincre peut-être que j’avais mal sous-entendu, ou lui donner l’occasion de revenir sur ce qu’elle avait dit, j’ai raconté combien j’avais été choquée de découvrir que certaines de mes élèves, au cours d’un travail d’écriture sur les rapports amoureux, avaient mentionné qu’une femme devait se préoccuper de choisir, entre plusieurs prétendants, celui qui était le plus à même de lui offrir une vie confortable. J’ai ajouté que j’avais plus tard demandé à l’ensemble de la classe si une telle préoccupation était toujours d’actualité, et que la plupart des élèves s’étaient alors exclamés que non, que les femmes étaient aujourd’hui émancipées. Mais telle ne fut pas la réaction de mes jeunes collègues, hélas. D’abord il y eut un silence gêné, puis l’une dit que lorsqu’on n’avait qu’un salaire de prof débutante, par exemple, il fallait bien avoir cette préoccupation d’un homme qui puisse assurer un meilleur train de vie. J’étais tellement sidérée que j’ai seulement dit : mais on peut faire avec ce qu’on a, tout simplement ! J’ai pensé à ajouter : et nos collègues hommes, avec le même salaire, se préoccupent-ils de trouver une femme qui puisse leur payer des extras ? Mais elles avaient bien vite changé de conversation, pour ne surtout pas voir leur prostitution de jeunes bourgeoises bien élevées.

Vraiment, ça m’a rendue triste. Et ce ne sont pas les cours à l’Espé qui pouvaient me consoler. J’ai l’impression que ma façon de voir les choses, la pédagogie, vient d’une autre planète, et qu’il est impossible de la faire comprendre. Donc je me tais. Parfois je dis quand même quelque chose, quand j’entends des choses décidément trop fausses, trop nuisibles. Quand on nous a présenté comme admirable une séance où la prof faisait faire à ses élèves une transposition, à l’aide d’un tableau d’équivalences, d’un texte en cinéma. Non comme le ferait un vrai réalisateur, avec le génie propre du cinéma, mais à la lettre, comme si un texte n’était que du cinéma écrit – c’est d’ailleurs bien presque uniquement ce que l’édition nous vend maintenant. Quand on nous a montré le sujet de français du brevet 2017, à partir d’un extrait de Giono : « Pensez-vous comme Jean Giono que la ville soit un lieu hostile ? », alors que le texte ne présentait pas du tout la ville comme un lieu hostile. Je l’ai fait remarquer, ce n’est pas l’adjectif qui convient. Les autres et la formatrice en ont convenu, mais personne ne l’avait remarqué, à commencer parmi l’armée de professionnels qui prépare les sujets. Ainsi donc on a demandé à des élèves – à tous les jeunes Français de quinze ans – de justifier une affirmation fausse. J’ai fait remarquer aussi l’ambiguïté de l’intitulé du sujet du bac : « Le personnage de roman se construit-il exclusivement par son rapport à la réalité ? », pouvant induire chez les élèves une confusion que nous devons leur apprendre à ne pas faire entre personnage de roman et personne réelle. Un personnage ne se construit pas lui-même, c’est l’auteur qui le construit ; et il n’a pas de rapport à la réalité, seul l’auteur du personnage en a un. Nous sommes des spécialistes de la littérature, comment pouvons-nous laisser passer de telles aberrations ou de telles approximations ?

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Discrimination parmi les enseignant.e.s dans l’Éducation Nationale ?

Je suis assez sidérée de la violente discrimination dont je fais l’objet de la part de mes deux tutrices, celle du lycée (qui a finalement démissionné) et celle de l’Espé, l’organisme de formation des nouveaux profs. La première m’avait demandé ce que je venais faire dans l’Éducation nationale, la deuxième m’écrit qu’elle se demande ce que je viens faire dans l’enseignement. Comme si je n’étais pas en train d’enseigner, de travailler d’arrache-pied pour essayer de transmettre au mieux ma discipline (cela dit alors que je viens encore de passer ma matinée à corriger des copies, et que ce n’est pas fini ; puis que je vais me remettre jusqu’à dimanche à la préparation de mes cours). Ces personnes semblent avoir le sentiment que l’Éducation nationale leur appartient, et elles me traitent en intruse parce que j’ai un regard critique et une autre expérience que la leur.

Outre ce réflexe d’exclusion, leur explication sur leur questionnement à mon égard est tristement révélateur de ce qu’elles pensent sans le savoir de leur métier. La première m’a dit ne pas comprendre pourquoi j’étais venue m’enfermer dans l’Éducation nationale. La deuxième a comparé ma démarche à celle d’Annie Ernaux qui s’était placée dans un centre commercial pour en tirer un livre. Une prison, un centre commercial. C’est donc ainsi que les profs considèrent leur cadre de travail ? Cela coïncide assez bien avec la mise en œuvre que j’ai constatée d’une fermeture de l’intelligence, et aussi de la réponse que m’avait fièrement faite la tutrice de l’Espé à ma question sur cette fermeture : « nous formons les gens dont le monde a besoin ».

Les élèves – et les professeurs – méritent mieux. Ce n’est pas au monde de commander la formation des humains dont il a besoin, c’est à la formation de rendre les humains aptes à faire et refaire librement le monde.

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L’enseignement en péril

ma thèse en l'état actuel, imprimée du jour, avec en arrière-plan les éléments de travail qui la nourrissent

ma thèse en l’état actuel, imprimée du jour, avec en arrière-plan les éléments de travail qui la nourrissent

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Je lis un article extrêmement intéressant sur l’enseignement de l’Histoire tel qu’il est analysé dans le livre de deux professeures, Joëlle Fontaine et Gisèle Jamet, et je constate qu’elles décrivent des aberrations comparables à celles que je vois dans l’enseignement de la littérature (suivre mon mot clé prof de lettres). Dans les deux disciplines, c’est le sens qui est attaqué. Exactement comme dans la com’, tout est dans la forme. De même que la lecture globale ou semi-globale, qui réduit l’écrit à des formes arbitraires, produit des effets de dyslexie, cette pédagogie réduit l’Histoire et la littérature à des expositions de formes dépourvues de sens et produit des dyslexies de l’intelligence. Toute la pédagogie consiste à distraire les esprits par des projections de formes au fond de la caverne, comme dans l’allégorie de Platon. Ce qui génère une infinité de bavardages sur du néant qu’on fait passer pour de l’étant. Il s’agit d’occuper le temps de cerveau scolaire des moins de dix-huit ans (et plus, la même pédagogie ambitionnant de s’installer à l’université) et de neutraliser ainsi ces cerveaux de futurs adultes. Un formatage orwellien, en effet. L’article est à lire ICI.

Il y a aussi de l’Histoire dans ma thèse de Littérature, car l’une et l’autre sont indissociables.

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Des belles-lettres aux belles lettres

Des belles-lettres de toujours aux belles lettres qui habitent aujourd’hui les rues, je traverse les « humanités », marchant dans la ville et réentrant dans ma thèse qui nourrit en partie mes cours qui nourrissent en partie ma thèse.  Ce n’est pas pour rien que j’ai fait faire un atelier écriture et dessin à mes Seconde et que je fais étudier un roman qui se passe dans le Transsibérien à mes Première. Tracer c’est avancer. Je crée dans la foulée un blog pour mes classes, pour inciter les élèves à aller plus loin dans la réflexion, on verra si ça marche, ce sera en tout cas une trace, pour d’autres aussi.

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belles lettres 5hier à Paris 13e, photos Alina Reyes

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