Feu de l’esprit, yoga des planètes et autres beautés du sanskrit (suite)

 

"Gandhi dans les fluctuations quantiques du vide", l'un de mes anciens dessins

« Gandhi dans les fluctuations quantiques du vide », l’un de mes anciens dessins

Hier matin après m’avoir pris la tension et auscultée, elle a donc dit : « tout est parfait ». Hier soir en continuant à étudier un peu le sanskrit, j’ai appris que sanskrit signifie « parfait ». Langue « parfaite ». Comme j’avais justement comparé mon corps (la médecin ayant ajouté le mot « superbe ») à cette langue, cela m’a vivement touchée. Il y a une vie de la Langue que les non-connaissants ignorent, tout comme la plupart d’entre nous ignorons la vie des mathématiques. (Je mets une majuscule à Langue pour signifier non telle ou telle langue mais l’ensemble des langues et du processus langagier, même non humain). Et le niveau supérieur de cette connaissance est atteint quand cette vie de la Langue épouse non seulement la vie du locuteur (ce qui arrive à tous les vrais écrivains) mais aussi la vie de son corps (ce qui arrive à tous les vrais spirituels).

Le Diadumène "Celui qui se ceint du bandeau de la victoire") du sculpteur Polyclète (Ve siècle av. J.-C.)

Le Diadumène (« Celui qui se ceint du bandeau de la victoire ») du sculpteur Polyclète (Ve siècle av. J.-C.)

Aussitôt mon corps s’est mis à chauffer. J’ai déjà parlé de ce phénomène. Les Indiens qui ont inventé, c’est-à-dire découvert, la kundalini, n’étaient pas des intellectuels échafaudeurs d’hypothèses et de concepts désincarnés. Ils parlaient d’expérience. Une grande puissance spirituelle s’élève quand elle s’élève depuis la racine, où se trouve le sexe. Personnellement, c’est parce que j’ai étudié et vécu, avec mon corps et avec mon cerveau, l’éros à fond, que je connais l’Esprit. On a souri, en Occidentaux ignares, de l’expérience faite par Gandhi, vieux, de dormir une nuit à côté de jeunes femmes pour vérifier que son désir était maîtrisé. Mais c’est un exercice commun chez les ascètes indiens, le vocabulaire sanskrit en porte témoignage. Pour ce que j’en vis, il ne s’agit pas de nier le désir sexuel, mais loin d’en être apeuré, esclave ou obsédé, de s’y garder pur vivant. Les Grecs anciens faisaient à leurs sculptures des organes génitaux petits, non pour nier le sexe, qu’ils exposaient tranquillement, mais parce que pour eux c’est l’ensemble du corps qui était érotisé, et non pas seulement les organes génitaux. Inventeurs de la gymnastique, mot qui signifie exercice de la nudité, ils n’étaient en fait pas éloignés des yogis indiens au corps complètement assumé comme instrument d’élévation spirituelle.

Je ne me tiens pas à chaque instant dans cet état de feu qui surgit souvent par lui-même, mais je peux aussi l’atteindre à volonté : il me suffit de m’exposer, creuset de braises, au souffle de l’esprit, pour que la flamme en monte. Que ce soit par la contemplation, la lecture, la méditation, l’écriture, la marche, parfois l’art ou la science – et alors ma pensée, la pensée à travers moi, va aussi vite que la lumière, la vision embrasse tout, la puissance est absolue, quoique maîtrisée car même s’il n’y a plus de mesure, il faut tenir les mesures.

Voici quelques nouvelles beautés trouvées dans le dictionnaire de sanskrit-français :

Faire l’amour se dit en sanskrit : « étendre la jouissance » ou « s’étendre dans la jouissance », ou encore « illuminer la jouissance » (le verbe « étendre » signifiant en second lieu « illuminer ») [Et je songe que le yoga est une discipline d’extensions du corps, tout particulièrement de la colonne vertébrale]

Le mot qui signifie « absence de dette » ou « acquittement d’une dette » signifie aussi « assouvissement d’un désir à cœur joie ».

Il y a un mot signifiant « joie » qui signifie aussi « parfum ».

Un mot qui signifie « extension » signifie aussi « progéniture » et « espoir ».

Ayuryoga signifie « conjonction de planètes », autrement dit yoga des planètes.

Un mot qui signifie « de la forêt, sauvage », signifie aussi « ermite », et désigne certains livres qui sont « à lire en secret dans la solitude de la forêt ».

Le mot alaya signifie « maison, demeure, asile, temple, réceptacle ; alayavijnana signifie « connaissance du soi » (vijnana signifiant connaissance, et le soi étant donc la maison réelle).

Un même mot signifie « écriture, peinture, portrait » et « dessin » (l’un des 64 arts).

Le verbe signifiant s’asseoir, qui a donné asana, « posture de yoga », signifie aussi « être en train de » et « aboutir à ».

Il y a un verbe qui signifie : « fréquenter ; habiter ; servir, honorer ; prendre le parti de |apprécier ; aimer ; jouir de ; pratiquer, s’adonner à (not. sexe) ».

Il y a un mot qui signifie : « qui se boit ; fluide comestible ; nourriture ; réconfort, plaisir | eau ; lait ; parole |la Terre »

Un mot qui signifie « bateau, barque, radeau », signifie aussi « la Lune ».

Citation du Rig Veda : « La Terre est soutenue par la vérité ».

Citation du Harshacharita : « Les poètes ordinaires sont innombrables, pareils à des chiens aboyant de maison en maison, alors que les créatifs sont aussi rares que le griffon – avec ses pattes sur le dos. »

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Pour mes autres notes sur cette langue, suivre le mot-clé sanskrit.

Beautés du sanskrit

statue dédiée à l'archéologue Gabriel de Mortillet. Hier aux arènes de Lutèce, photo Alina Reyes

statue dédiée à l’archéologue Gabriel de Mortillet (son buste en bronze, qui surplombait la colonne, a été fondu par les nazis). Hier aux arènes de Lutèce, photo Alina Reyes

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Le corps aussi a sa langue, et il m’importe qu’elle puisse s’exprimer autant que possible correctement et avec style, comme ma langue écrite. Je suis allée ce matin chez ma généraliste demander un certificat médical pour pouvoir suivre un stage de Pilates, ce sport inspiré à la fois du yoga, de la danse et de la gymnastique. Après m’avoir examinée, elle a dit que tout était parfait, et que j’étais superbe. Yoga et marche jour après jour font leur effet.

Continuant à étudier un peu le superbe sanskrit, j’ai noté quelques-unes de ses beautés trouvées dans un dictionnaire. J’en trouverai d’autres, mais voici déjà celles-ci :

Phrase_sanskrite« Que Shiva bénisse les amateurs de la langue des dieux » (image wikipedia)

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Arbre en sanskrit se dit « qui-boit-par-la-racine ».

Akka Mahadevi, mystique du 12e siècle, écrivit 430 leçons ; elle voyageait et mendiait nue en prêchant l’amour de Shiva.

Il y a un nom pour désigner l’art de parler avec ses doigts, qui est l’un des 64 arts (la chiromancie en est un autre)

Le nom atana signifie « errance, promenade, voyage ». Au féminin, atani, il signifie « extrémité encochée d’un arc ».

Un même mot peut signifier une unité infime de temps ou une unité infime d’espace.

Un verbe qui signifie en dernier lieu « penser » signifie d’abord « atteindre, égaler ; ressentir, percevoir ; éprouver, supporter ; faire l’expérience de ; goûter, jouir de ».

Un même mot signifie « vulgarité, obscénité ; calomnie » et « forme grammaticalement impropre ».

Le mot qui signifie d’abord « innovant » signifie aussi « bénéfice d’une action rituelle ».

Le mot qui signifie « invincible » signifie aussi « incompris » et « triste ».

Le mot qui signifie « nuage de pluie, brouillard, nuée, atmosphère, ciel » symbolise en mathématiques le nombre zéro.

Lotus se dit « né-de-l’eau » ou « qui-croît-dans-l’eau ».

Aya, le nom qui m’avait été donné en rêve, disons, il y a quelques années, signifie en sanskrit ; « qui va ».

Ayoga, par opposition à yoga, signifie « séparation, inutilité, inefficacité, impossibilité, conjonction d’astres défavorable ».

Le mot pour dire « évènement inattendu » se dit « comme-des-grains-de-sésame-dans-la-forêt ».

La phrase donnée en exemple : « L’homme est l’esclave du pouvoir mais le pouvoir n’est esclave de rien » pourrait aussi bien se traduire : « L’homme est l’esclave du sens mais le sens n’est l’esclave de rien », puisque le mot qui signifie « pouvoir » signifie d’abord « cause, intention, sens, signification, substance, réalité ».

Il y a en sanskrit un mot qui signifie « densité du sens exprimé » (c’est une qualité poétique), et un autre qui signifie « qui a son origine dans le pouvoir du sens » (se dit d’un sens suggéré issu du signifié). Un autre mot encore désigne « une phrase dont le prédicat est celui du sens du mot produit, le sujet étant une forme pronominale servant d’anaphore au mot producteur, le suffixe s’appliquant à son thème ».

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Aimer en sanskrit (note rectifiée)

18-10-2019

Je dois rectifier cette note en ce qui concerne mon impression que le mot sanskrit asana pouvait être lié à la racine indo-européenne as, « être », par comparaison avec d’autres langues indo-européennes. En fait le phénomène auquel je faisais allusion touche les langues néolatines, j’en ai trouvé l’explication (que je connaissais mais avais oubliée) dans ce livre de Victor Henry, Les trois racines du verbe « être » dans les langues indo-européennes (1878) dont je recopie ces extraits :

« La primitive langue indo-européenne, d’où sont issus les nombreux dialectes de cette famille si répandue, n’avait probablement, pour indiquer le fait pur et simple de l’existence, sans modalité accessoire, l’être en soi et en tant qu’opposé au non-être qu’une seule racine, qui s’est d’ailleurs conservée dans tous les idiomes de ce groupe. C’est la racine as, que l’on retrouve, plus ou moins corrompue, mais aisément reconnaissable, dans la plupart des temps du verbe « être » de chaque langue indo-européenne. (…)

Dans une étude portant sur la généralité des langues indo-germaniques, il n’y aurait pas lieu de parler des dialectes néo-latins, dont les conjugaisons sont exactement calquées sur celles de leur ancêtre commun, si, par une confusion aisée entre les formes assez voisines des deux verbes latins esse et stare, elles n’avaient ajouté à la conjugaison de leurs verbes « être » un élément tout-à-fait étranger à ce même verbe dans les autres idiomes de la famille. C’est ce qu’il convient de montrer brièvement. Au premier rang, à ce point de vue, se placent d’abord les langues de la péninsule hispanique, où ce processus morphologique apparaît au degré le plus complet. L’espagnol et le portugais possèdent deux verbes « être » ser et estar, le premier désignant l’état essentiel et permanent, le second, l’état variable et accidentel : ser dérive, comme l’italien essere, non pas du latin esse, qui n’expliquerait pas la présence de la vibrante, mais d’une forme de bas latin essere créée par le vulgaire à l’imitation de tous les infinitifs latins, qui se terminent en re, le seul esse faisant exception estar vient sans difficulté de stare, et ces deux verbes conservent d’une manière satisfaisante, dans la plupart de leurs temps, leurs formes ancestrales respectives.

Le mélange des deux éléments en un seul verbe apparaît dans l’italien, qui n’emprunte toutefois à stare qu’un seul temps, le participe passé, stato, nécessaire pour la conjugaison de ses temps composés, et qui manque à esse. Moins pur est déjà le provençal, bien moins pur le français, qui dérive de stare un temps que possédait esse, l’imparfait de l’indicatif, estois, stabam, outre le participe présent, estant, stans, et le participe passé, esté, status. Bien plus, l’infinitif même estre, qui dérive incontestablement de essere (car stare a formé régulièrement ester, mot de la langue judiciaire), se ressent cependant de l’influence de stare il est impossible, en effet, d’expliquer le t médial du mot, sans admettre que, sous cette influence étrangère, le bas-latin essere s’est encore corrompu en estere, en sorte que le mot estre est une formation mixte de l’un et l’autre verbe. Le roumain seul ne s’est point altéré par ce mélange, et conjugue son verbe «être», non pas, sans doute, tel que le latin le lui a légué, mais sans le secours de stare.

C’est ainsi que la racine sta, qui ne se présente dans les autres langues indo-européennes qu’avec son sens primitif de « se tenir debout » revêt, en outre, dans les langues néo-latines la signification accessoire d’ «être» et qu’à ce titre elle a dû prendre place dans cette étude. Quant à son évolution dans son acception originaire, tout le monde la connaît, et elle est d’un degré si élevé, qu’on ne saurait, ce semble, ouvrir au hasard un vocabulaire d’une langue indo-européenne quelconque sans tomber sur un dérivé plus ou moins direct de ce fécond radical. »

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Surya Siddhanta

illustration pour le Surya Siddhanta, traité d’astronomie indien en sanskrit, de plus de 1 500 ans

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Ce matin dans la nuit, à la lumière de la lampe, commençant à étudier un peu le sanskrit, cette langue des plus anciennes, j’ai appris que le verbe aimer s’y construisait avec le locatif. Un cas peu fréquent dans les langues à déclinaisons, qui exprime le lieu où se passe l’action. Ainsi donc en sanskrit, pour dire je t’aime, on dit, mot à mot, « en toi j’aime ». C’est beau comme un premier amour. Parce que c’est une langue première. L’être aimé n’y est pas objectivé, n’y est pas complément d’objet, n’y est pas à l’accusatif, n’y est ni tenu à distance ni accusé de son altérité, il y est en quelque sorte physiquement, innocemment aimé, dans l’interpénétration des amants qui font l’amour.

Puis j’ai fait mon heure de yoga quotidienne, cette fois une séance comportant seulement trois asana (mot sanskrit habituellement traduit par « posture » mais qui me semble (à vérifier !), d’après ma première approche de cette langue, lié à son verbe être, comme d’ailleurs dans d’autres langues indo-européennes – par exemple en français « station » et « exister » ont même racine), trois postures guidées par un cours très précis, très sophistiqué, tenues chacune vingt minutes sur des exercices respiratoires intenses enchaînés savamment. Le yoga est une pratique d’amour avec le cosmos, abolissant les limites, la distance, entre cosmos intérieur et cosmos extérieur.

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