Discrimination religieuse à l’oral de l’agrégation, ou ignorance de certains jurés ?

Montaigne« Socrate chrétien ? Ce n’est pas la voie choisie par Montaigne, car le nom du Christ n’apparaît jamais »
Claudie Martin-Ulrich

Je reviens à l’affaire de cet oral de l’agrégation, l’épreuve la plus importante de tout le concours, qui m’a valu un 4/20 (à coefficient 13) parce que le président du jury était convaincu que j’avais fait un contresens en refusant de penser que Montaigne voyait en Socrate un Christ – et aussi parce que j’ai affirmé que le discours de Socrate que présente Montaigne est de très près paraphrasé de l’Apologie de Socrate de Platon (ce qui est très aisé à vérifier), et non une invention de Montaigne comme le croyait un autre membre du jury (voir ici). Les textes d’universitaires que je trouve en ligne disent pourtant exactement la même chose que j’ai dite, sur le refus de Montaigne d’un Socrate christique (« je ne sais pas ce qu’il vous faut ! », m’a lancé, furieux, le président du jury quand je lui ai poliment objecté qu’il n’avait pas sa dimension sacrificielle), et sur son emploi de l’ironie, comme Socrate. Comme j’ai été sanctionnée aussi à l’oral sur René Char pour avoir vu, à juste titre comme je l’ai montré, dans son poème une inspiration héraclitéenne plutôt que biblique, je commence à songer que je pourrais contester ces oraux, comme cela est possible, au motif de discrimination religieuse.

« …la revendication par Montaigne de la simplicité, ses exemples populaires assumés, l’effacement de l’auteur, le brouillage du discours par le recours aux suggestions, aux citations, à l’ironie, ce qu’on appelle en général la polyphonie du texte des Essais, ne sont-ils pas à mettre en rapport avec la pratique socratique du discours philosophique ?  (…)
Annonce-t-il le Christ pour Montaigne, comme pour Ficin ou Érasme ? Mais plutôt que de participer à la célébration de « Saint Socrate » (Érasme) à l’entendement « plus qu’humain » (Rabelais) dont les penseurs renaissants ont pratiqué le culte, Montaigne semble insister sur le caractère profondément humain de Socrate : « rien ne m’est à digerer fascheux en la vie de Socrates que ses ecstases et ses demoneries » (III, 13, 1115). Le Socrate de Montaigne serait en quelque sorte débarrassé des scories métaphysiques dont la tradition platonicienne l’avait revêtu (…) la lecture que Montaigne propose de Socrate réoriente considérablement la tradition d’histoire de la philosophie dont il s’inspire pourtant et que la figure de Socrate se charge avec les Essais d’une signification nouvelle, marquant durablement notre modernité. »
(colloque organisé à l’université Jean Moulin – Lyon 3 par T. Gontier et S. Mayer, du 6 au 8 novembre 2008)

« Le Socrate de Montaigne est en effet débarrassé de ses aspects mystiques, mythiques, et métaphysiciens »
Oscar Gnouros

Je n’ai pas trouvé d’article disant que le Socrate de Montaigne serait christique. Pourquoi ces deux présidents du jury, sur Montaigne et sur Char, ont-ils voulu, avec des airs sévères et mécontents, me ramener à travers ces auteurs,  l’un au Christ, l’autre à la Bible ? Je me présentais sous mon nom d’auteur ; avaient-ils lu que j’étais fâchée avec le catholicisme et que j’étais passée à l’islam ? Quelque chose d’inavouable s’est-il infiltré dans ce prestigieux concours que j’étais heureuse de passer ? Ou bien avaient-ils à ce point oublié la vérité littéraire des auteurs dont je leur parlais ?

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