Oliver twists in London (2). Par Olivier Létoile

 

Mais qui est donc Edward Onslow Ford ? Un explorateur, un aventurier de la haute finance, un lord, un auteur à succès, un artiste peut-être…? A coup sûr c’était un homme charmant qui a laissé un souvenir ému à ses amis pour qu’ils se cotisent et lui érigent une statue à son effigie en plein Londres.

Edward était sculpteur et il est mort. En 1901. A peine a-t-il vu le siècle naissant qu’une méchante pneumonie l’emportait au-delà du Styx, un genre de Tamise mais en moins large. Edward fut en son temps un artiste académique, très apprécié par ses contemporains et qui a fortement inspiré la génération suivante. Tout ceci ne nous rajeunit pas.

Mais pourquoi diable je vous parle de cet illustre inconnu, que les Londoniens ont eux-mêmes complètement oublié ?

Voilà. Ce matin je me suis réveillé à 8:30 AM. Et j’ai bu un très mauvais café. Soluble. En poudre de perlimpinpin. Je squatte un appartement à Swiss Cottage, non loin de Hampstead et encore plus près de Westminster City. Il paraît que c’est in, bath, plutôt un peu snob, genre 17e arrondissement de Paris, mais en bien plus résidentiel. Des rues tranquilles aux façades de briques d’inspiration élisabéthaine ; je ne sais si c’est le terme qui convient mais ces maisons tout en briques avec leurs bow window en guise de ventre bien rempli et leurs toitures en forme de chapeaux pointus me font irrésistiblement penser à l’époque de William S, à moins que ce ne soient les fenêtres aux petits carreaux. En passant devant ces maisons qui se collent les unes aux autres j’ai toujours l’impression qu’une servante en fichu va surgir en gloussant pour échapper aux assiduités d’un palefrenier mal dégrossi.

Bref je sors dans le quartier et cherche un café serré pour me desserrer les paupières. Il fait beau. Je marche dans la rue. Il fait toujours beau. Lucky day ! Certes le ciel est légèrement plombé mais le soleil est facétieux et se glisse entre les nuages.

J’atteins un croisement où je découvre la statue de notre sculpteur. Très digne l’Edward, petit col, petite barbiche, très troisième république au pays de la reine. Il est planté au beau milieu d’un rond point qui tourne à l’envers. Noblesse anglaise oblige !

A peine ai-je eu le temps de saluer notre artiste que mon attention est attirée par une clameur toute proche. A quelques mètres de la statue, une foule de supporters bigarrée. Ils sont rassemblés sur le trottoir et s’amusent à traverser le passage piéton dès que la circulation le permet.

Vous y êtes. Abbey road. Le studio d’enregistrement où les Beatles ont enregistré leur tout dernier album et ont accessoirement traversé ce qui allait devenir le passage piéton le plus célèbre du monde. Le studio est toujours là. Les murs extérieurs sont couverts de graffitis … Here comes the crowd !

Dès potron minet, toutes les nationalités, toutes les générations se confondent et se pressent pour marcher à pas comptés dans l’histoire de la pop anglaise, si tant est que les Beatles ne soient pas un genre à eux tout seuls. Tous les supporters traversent en rafale la route de l’abbaye comme des égyptiens, les bras tendus, les doigts écartés, le sourire voilé, avec une pause au beau milieu de la rue passante pour que le père, l’oncle, l’ami immortalise l’instant.

J’ai vu Paul en survêtement de la Croatie, John en short vert et jaune du Brésil, Ringo enroulé dans un drapeau américain et Georges -mon préféré- était revêtu d’une jupe de tennis et d’un haut sur lequel je crois bien avoir reconnu les couleurs de la Norvège. La jeune fille était très blonde. Et très grande.

Je suis resté à observer ces traversées du souvenir tout en songeant à Edward. J’ai tourné les yeux vers lui ; pauvre Edward … solitaire, oublié, policeman en livrée, figé au centre d’un rond-point … incapable de modifier les trajectoires du destin, impuissant à faire évoluer les directions, les inclinaisons que prennent le plus grand nombre.

Je suis revenu vers lui et lui ai trouvé une vague ressemblance avec Pierre de Coubertin. Le siècle sans doute. Je me suis demandé alors si Pierre tout comme Edward, ne se sentait pas un peu perdu, dépassé ou bien encore simplement seul sur son Olympe. Qu’aurait donc pensé notre baron national de notre siècle naissant où BMW et Coca Cola fraternisent avec ses chers anneaux. Et que dire de ces officiels des jeux qui menacent de disqualifier Yohan Blake, second du 100 mètres, pour avoir osé porter une montre suisse d’une marque différente de celle qui chronomètre les foulées des fauves ?

Ouais … Je gage qu’Edward Onslow Ford tout comme Pierre de Coubertin ont déjà traversé une rue en empruntant un passage piéton. Et que fait-on une fois rendu sur l’autre rive de la Tamise ou du Styx.

Paul chantait « Hey Jude » lors de la cérémonie d’ouverture. Ringo devait être dans les parages … Quant à John et Georges je me plais à imaginer qu’ils jouaient au bridge avec Pierre et Edward … L’important n’est-il pas de traverser ?

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à suivre ; premier twist d’Oliver in London : ici ; troisième : ici

la photo d’Abbey Road et ses déclinaisons : ici

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alinareyes