Oui

photo Alina Reyes

 

Pour en savoir un peu plus sur sa conception de l’ « islam des lumières », j’ai acheté le premier numéro de la revue de Malek Chebel, Noor. Je n’ai pas tout lu mais ce que j’y ai vu c’est l’islam sans islam, sans foi et sans lumière. Si vous avez 8€50, donnez-les à des mendiants, cela vous éclairera mieux.

Le distributeur à qui j’avais envoyé Voyage me répond que le livre est impressionnant, qu’il est certain qu’il a un public… mais qu’il ne peut le prendre à cause de son caractère artisanal. C’est vrai, la couverture et la mise en pages, faites par moi, ne sont pas professionnelles, mais précisément cela me plait ainsi, cela correspond à son esprit, et le livre est relié, souple et très lisible. En le feuilletant je m’aperçois que j’ai écrit Aéropage au lieu d’Aréopage, mais il y a très peu de coquilles, moins que dans certains livres édités par des professionnels, et les caractères sont généreux et de lecture aisée. Bon, je vais peut-être essayer de faire autrement pour le diffuser, mais personnellement rien ne me presse, si les hommes ne veulent du livre ni via ce site ni via la librairie, je ne vais pas essayer de les forcer, cela viendra en son temps, incha’Allah, un jour viendra où ils seront heureux de le trouver – et même de trouver son édition originale.

L’être humain n’est pas fait pour le péché mais pour le oui non mêlé, le oui qui est un pur oui. Le oui qui accueille Dieu comme la mère accueille son nouveau-né, ce oui sans restrictions qui est la source de toute l’attitude à venir de l’enfant, ce oui de qui naissent des saints, pour le salut du monde.

 

En lisant « Le Sceau des saints », de Michel Chodkiewicz (2)

au Jardin du Luxembourg hier, photo Alina Reyes

 

Poursuivons notre lecture avec des passages du troisième chapitre (La sphère de la walâya [sainteté, « rapprochement »]) de ce livre (éd tel gallimard) fondé sur la théologie d’Ibn Arabî.

Contrairement à ce que pensent ceux qui s’imaginent que ce sont les hommes qui inventent leur Dieu, tous les hommes adorent un seul et même Dieu, puisqu’il n’en est qu’un. Mais chaque forme d’adoration est une science bien distincte des autres, propre à donner un éclairage particulier, enseigné aux hommes par Dieu lui-même sur lui-même. Cela n’exclut pas les passerelles, mais requiert une vision claire du fait que chacune a son domaine propre, qui peut être approfondi à l’infini. C’est dans cet approfondissement que tous les chercheurs de Dieu communient, comme peuvent se comprendre tous les pêcheurs du monde, comme ils communient en vérité, quelles que soient leurs méthodes de pêche. Et c’est par cet approfondissement qu’ils déblaient pour toute l’humanité le chemin du salut.

« Nous avons fait mention précédemment du célèbre questionnaire de Tirmidhî. Ibn Arabî y répond dans le long chapitre LXXIII des Futûhât. La première question est ainsi posée : « Quel est le nombre des demeures (manâzil) des saints ? » Ces demeures, écrit Ibn Arabî, sont de deux sortes : sensibles (hissiya) et spirituelles (ma’nawiyya). Le nombre des premières – qui se subdivisent à leur tour en sous-catégories – est « supérieur à cent dix ». Le nombre des secondes est de deux cent quarante-huit mille, qui appartiennent en propre à cette communauté et que nul n’a atteintes avant elle. Ces « demeures spirituelles » se rattachent à quatre types de sciences : la science « de chez Moi » (ilm ladunnî, allusion au verset 18 : 65 où cette science, qui est donc en relation avec le Je divin, est attribuée à Khadir), la science de la Lumière (ilm al-nûr), la science de l’union et de la séparation (ilm al jam’wa l-tafriqa) et la science de l’Écriture divine (ilm al-kitâba al- ilâhiyya). » (p. 63-64)

« Le « regard vers Lui », c’est-à-dire l’étendue de la vision de Dieu à laquelle l’homme peut aspirer étant déterminée par la représentation préalable qu’il s’en faisait, la plus parfaite, celle des « prophètes d’entre les saints », ou des afrâd, appartient aux êtres qui « possèdent toutes les croyances ». Il ne s’agit pas ici, bien entendu, d’une simple addition des représentations mentales correspondant à ces croyances mais d’une réalisation effective des modalités de connaissance et d’adoration spécifiques de chacune d’elles. » (p. 65)

Voilà le degré que devront viser les Pèlerins d’Amour. Un degré de connaissance élevée, contre l’ignorance qui engendre ratiocinations agnosticistes et tentations de mépriser les autres religions. Viser ce degré et l’atteindre ne peut se réaliser que dans l’abandon.

à suivre

 

À partir d’une simple petite lettre, le faux et la mort, ou le vrai et la vie

Sano di Pietro

 

« Une seule goutte d’eau a fait cela », écrivait Victor Hugo, contemplant l’énorme cavité du cirque de Gavarnie.

Selon Robert Redecker, le but de Jean-François Mattéi est de « dépasser le nihilisme, en passer la ligne, remettre les pas sur le chemin de la pensée, fixer l’étoile et s’abandonner à l’élan de la source ». Noble objectif, et sans doute cet intellectuel, invité récemment, en compagnie de Julia Kristeva, au catholique « Parvis du Cœur » à Marseille, a-t-il des moments de lucidité, inspirés par ses très nombreuses lectures académiques. Mais ils sont malheureusement non articulés, non cohérents, ne faisant pas une pensée mais une illusion de pensée, et participant donc à l’extension du nihilisme. Quand, interrogé par Élisabeth Lévy pour le magazine Le Point, en avril 2008, il déclare : « Autant le dire clairement : pour moi, il y a non seulement une spécificité, mais une supériorité de la culture européenne. Les autres cultures ont des signes, des images, des mots, mais les Européens inventent le concept. Or concept vient de capere, qui signifie « prendre avec soi ». L’Europe prend l’Autre pour l’identifier à elle-même, mais, en prenant l’Autre, elle fait disparaître son altérité. D’où sa mauvaise conscience »… quand il déclare cela, nous pouvons retenir comme juste sa vision de la mauvaise conscience de l’Europe – mauvaise conscience que par ailleurs il refuse d’assumer, en s’opposant à toute repentance. En effet, d’autres intellectuels le notent aussi, l’Europe n’a rien inventé, elle a tout pris ailleurs. Il en résulte une mauvaise conscience qui ne provient pas seulement de cette captation, mais du fait que toujours, après avoir capté, elle a trahi et renié. Développant tout à la fois un universalisme logiquement issu de ses sources, et une repli honteux et caché sur le sentiment de son infériorité fondamentale (puisqu’il lui a fallu tout emprunter – car si la Grèce a inventé l’Europe, elle n’est pas européenne, mais grecque, de même que la Chine est chinoise), l’Europe se drape dans l’arrogance des honteux en croyant idolâtriquement à sa supériorité. Voici, par exemple, une pensée humble mais articulée, une pensée qui trouve la sortie du labyrinthe sans issue dans lequel J-F Mattéi croit que nous vivons, parce qu’il y vit lui-même – ainsi que beaucoup d’autres, il est vrai.

« On se souvient qu’Oedipe a tué son père à un carrefour en forme de À, le gamma grec, bifurcation entre le désir et le meurtre » déclare Julia Kristeva dans un entretien avec Alain Braconnier pour Cairn Info. On se souvient aussi qu’Alan Sokal et Jean Bricmont, dans Impostures intellectuelles, démontrent que la dame est accoutumée d’une « utilisation de termes techniques mathématiques ou physiques, qui seraient destinés, selon eux, à impressionner un lecteur qui ne possède pas les connaissances permettant de juger du bien fondé de l’utilisation de ces termes » et « ne maîtrise pas les termes mathématiques et physiques qu’elle emploie » (Wikipédia). Ici je voudrais juste faire remarquer que la lettre grecque gamma n’a en aucun cas une forme de A, mais se rapprocherait plutôt de notre y : γ. Or prendre une lettre pour une autre, un mot pour un autre, une réalité pour une autre, rompre le lien de vérité entre le signifiant et le signifié, le sujet et l’objet, c’est ce que faisaient les gens de Babel, comme je l’ai montré dans Voyage. Faussez la source, et tout ce qui en découle est faux. Voici une pensée encore plus simple, plus humble et mieux articulée, puisqu’elle coule de source, elle coule de Dieu.

Y a-t-il quelque chose à ajouter ?

Non, mais citons encore un extrait – très représentatif de la fantasmagorie à prétention scientifique que développe J. Kristeva depuis toujours – du même entretien, pour mieux sentir les dérives immondes auxquelles le faux conduit, dans cette analyse de la relation entre la mère, l’enfant et le père, et voyons si vraiment il y a compatibilité entre la vision chrétienne, ou même simplement humaine, de cette relation, et ce langage torturé, torturant :

« … j’avance que la mère et l’infans se constituent, dans les périodes précoces de l’existence du bébé, comme “des ab-jects” : ni sujets ni objets, mais pôles d’attraction et de rejet, ils amorcent l’ultérieure séparation dans le triangle oedipien ; à ceci près que dans la modalité de la subjectivation en question, logiquement et chronologiquement antérieure à l’oedipe, l’interaction des “ab-jects” s’appuient sur l’ “identification primaire”, “directe et immédiate”, avec le père de la préhistoire individuelle… » Voilà ce qui se fait passer pour un humanisme, et que j’appelle une singerie. Malheureux enfants dont on convainc les mères que leur relation avec eux tient de l’abject, comprenant l’attraction mais aussi le rejet. J’ai eu quatre enfants, et je sais, Dieu merci, que la vérité est toute autre. C’est que, comme pour tous les bienheureux pauvres de cœur, ma pensée et ma vie ne viennent pas du néant de la déconstruction de l’être, suivi du néant de sa reconstruction artificielle, mais de l’amour, qui est plénitude et donne plénitude.

 

Refuser le nihilisme : accepter de le voir

tout à l'heure devant le collège des Bernardins, photo Alina Reyes

 

La cathédrale de Nantes a été vandalisée. Le ministre de l’Intérieur fait part de son émotion et de son indignation aux catholiques, l’Église appelle à l’apaisement « pour ne pas exacerber les tensions ». Les profanations de mosquées sont légion, comme le diable, mais il ne me semble pas avoir lu quelque déclaration de M. Valls pour exprimer sa sympathie aux musulmans, et ces derniers n’ont eu nul besoin qu’un imam les appelle au calme pour rester calmes.

Rester calme doit-il pour autant équivaloir à fermer les yeux ? Les tags nazis se multiplient de mois en mois sur les mosquées, victimes également d’envois orduriers. En quelques semaines voici aussi trois attaques spectaculaires contre des églises : le suicide d’un intellectuel d’extrême-droite à Notre-Dame de Paris ; la violation de la chapelle du Val-de-Grâce pour y tourner un clip vidéo, le Saint-Sacrement se trouvant sur l’autel, et le prêtre étant évacué de force ; et maintenant cette vandalisation de Saint-Pierre de Nantes, avec signes nazis, précédée d’un tagage de la cathédrale de Limoges. En quelques semaines, un jeune homme est mort sous les coups d’un néo-nazi à Paris, tandis qu’à Argenteuil une jeune fille voilée a été violemment agressée par un autre skinhead, qui l’a lâchée quand un homme est intervenu pour la secourir alors qu’elle était au sol – suite à quoi la police n’a rien fait d’autre que recommander à la victime de ne pas ébruiter l’affaire. Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire, comme les trois singes ?

De puissantes forces nihilistes ont été à l’œuvre tout au long du vingtième siècle à travers les œuvres de l’esprit. Elles continuent à produire leurs effets dévastateurs, d’autant plus aisément qu’elles ne sont pas identifiées comme nihilistes, ou même qu’elles se font passer pour humanistes. Ceux que j’appelle singes ne sont pas des personnes, mais comme disait saint Paul les puissances et les dominations spirituelles que nous devons affronter, et qui agissent à travers certains hommes et femmes, certains discours qu’elles ont investi d’une façon ou d’une autre. Détourner le regard ou se montrer complaisant avec les expressions ou manifestations du mal, c’est se soumettre à elles, qui œuvrent  à la destruction du monde. La mission de chaque être humain, c’est de sauver le monde, chaque jour. De débusquer le mal et de l’anéantir, empêcher sa nuisance. Quand trop d’hommes manquent à cette mission, le mal gagne du terrain, il finit par investir tout l’espace, et viennent des temps d’horreur, servis par des êtres humains déshumanisés. Nous devons sauver nos frères, les hommes victimes de la peste qui avance, mortelle mais aussi révélatrice, et autant que possible ouvrir les yeux des hommes tombés dans l’idolâtrie, dans la singerie de la condition humaine qu’ils croient devoir démonter comme une horlogerie et remonter à leur façon.

Les prophètes anciens nous ont laissé des avertissements et des enseignements lumineux. Mais ils n’ont pu porter de jugement sur les formes spécifiques du mal dans notre temps complexe, et c’est pourquoi beaucoup d’hommes pourtant instruits par les prophètes demeurent aveugles et désarmés devant des langues et des pensées séduisantes contemporaines, dont ils ne voient pas la portée malfaisante. Dieu n’a pas abandonné l’homme, il lui fait parvenir des paroles sûres pour aujourd’hui. Il ne reste qu’à attendre que l’homme veuille bien essayer de les écouter.