Save a day

(J’ai inventé cette chanson en rêve cette nuit, avec l’air. J’ai ouvert les yeux en la chantant, je me suis levée, j’ai noté. Le rêve était beau, il y avait un grand nombre de gens du monde entier et tout le monde était en joie en entendant la chanson, jouée au piano par J. avec de beaux accords).

Refrain :

Save a day

Earth is coming down in the dark

Worlds are fleeing through the true night

Hearts are beating

Save the day

See the shadows

How they’re fleeing

through the true face

of our deep heart

Come on the light

need our true love

to save the day

R

Save just one day

and we arise

from the long night

stand up, walking

and awakening,

saving our life,

the entire day

R

Let’s save our souls

If they come back

they’ll need the light

to stay alive

and one more time

falling in love

with the day

R

Albert Camus, Les Amandiers

« Savez-vous, disait Napoléon à Fontanes, ce que j’admire le plus au monde ? C’est l’impuissance de la force à fonder quelque chose. Il n’y a que deux puissances au monde : le sabre et l’esprit. À la longue le sabre est toujours vaincu par l’esprit. »

Les conquérants, on le voit, sont quelquefois mélancoliques. Il faut bien payer un peu le prix de tant de vaine gloire. (…)

Il suffit alors de connaître ce que nous voulons. Et ce que nous voulons justement c’est ne plus jamais nous incliner devant le sabre, ne plus jamais donner raison à la force qui ne se met pas au service de l’esprit.

C’est une tâche, il est vrai, qui n’a pas de fin. Mais nous sommes là pour la continuer. (…)

Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste, le bonheur significatif pour des peuples empoisonnés par le malheur du siècle. Naturellement, c’est une tâche surhumaine. Mais on appelle surhumaines les tâches que les hommes mettent longtemps à accomplir, c’est tout.

Sachons donc ce que nous voulons, restons ferme sur l’esprit, même si la force prend pour nous séduire le visage d’une idée ou du confort. (…)

Quand j’habitais Alger, je patientais toujours dans l’hiver parce que je savais qu’en une nuit, une seule nuit pure et froide de février, les amandiers de la vallée des Consuls se couvriraient de fleurs blanches. Je m’émerveillais ensuite de voir cette neige fragile résister à toutes les pluies et au vent de la mer. Chaque année, pourtant, elle persistait, juste ce qu’il fallait pour préparer le fruit.

Ce n’est pas là un symbole. Nous ne gagnerons pas notre bonheur avec des symboles. Il y faut plus de sérieux. Je veux dire seulement que parfois, quand le poids de la vie devient trop lourd dans cette Europe encore toute pleine de son malheur, je me retourne vers ces pays éclatants où tant de forces sont encore intactes. Je les connais trop pour ne pas savoir qu’ils sont la terre d’élection où la contemplation et le courage peuvent s’équilibrer. La méditation de leur exemple m’enseigne alors que si l’on veut sauver l’esprit, il faut ignorer ses vertus gémissantes et exalter sa force et ses prestiges. Ce monde est empoisonné de malheurs et semble s’y complaire. Il est tout entier livré à ce mal que Nietzsche appelait l’esprit de lourdeur. N’y prêtons pas la main. Il est vain de pleurer sur l’esprit, il suffit de travailler pour lui.

Mais où sont les vertus conquérantes de l’esprit ? Le même Nietzsche les a énumérées comme les ennemis mortels de l’esprit de lourdeur. Pour lui, ce sont la force de caractère, le goût, le « monde », le bonheur classique, la dure fierté, la froide frugalité du sage. Ces vertus, plus que jamais sont nécessaires et chacun peut choisir celle qui lui convient. Devant l’énormité de la partie engagée, qu’on n’oublie pas en tout cas la force de caractère. Je ne parle pas de celle qui s’accompagne sur les estrades électorales de froncements de sourcils et de menaces. Mais de celle qui résiste à tous les vents de la mer par la vertu de la blancheur et de la sève. C’est elle qui, dans l’hiver du monde, préparera le fruit.

(1940)

in L’été

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Dépasser

tailleur-de-bifacePeinture G.Tosello

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Marchant, il me semblait écrire pour ma thèse. Pédalant dans la côte contre le vent, également. Je dis il me semblait : je sentais que je faisais cela dans ce mouvement de ma pensée en train de commencer un nouveau voyage. Ulysse une fois arrivé ne reste guère. J’avais mis un e, écrit arrivée, et tapant plus vite que mon ombre je l’ai enlevé avant même qu’il n’apparaisse. J’écoute de savants professeurs, des hommes sûrs, je lis lentement, je remodèle, sculpte mon cerveau, y compris en marchant, en faisant du vélo, des photos. Préparer le matériau. Comme toujours, je suis mon propre matériau. Je prépare mon corps, ma pensée, pour la longue nuit d’amour et l’aube avec ma promise, la poésie (les textes de mon corpus). Je pars d’une certaine façon de la mort de l’homme annoncée par Foucault*. En fait c’est un dépassement. Je pars de mon propre dépassement, et du dépassement de l’homme accompli dans le premier voyage. Je vois les choses autrement. Autrement qu’elles ne sont approchées d’habitude. Ma méthode est autre. Elle œuvre en moi seulement pour le moment, il faut encore évider le bloc de pierre avant de songer à ciseler vraiment la forme, cette forme que je ferai apparaître à partir de la mort de l’homme, de son dépassement.

*Foucault s’est expliqué plus tard sur sa fameuse expression de Les mots et les choses – on peut sur ce sujet écouter ici en vidéo les cours d’Alain de Libera (Inventio subiecti) (qui parle aussi notamment de Me Eckhart, sans faire les (énormes) contresens que j’ai entendus l’autre jour ailleurs. Faire confiance à ses propres lectures, puis à celles de personnes fiables – ou bien se passer de culture intellectuelle, car mal comprise elle fait plus de mal que de bien).

*

« La haine du théâtre ». Réponse à François Lecercle sur son séminaire consacré aux affaires Castellucci et Exhibit B

Capture du 2015-11-04 19:00:19*

Cher Monsieur,

J’ai assisté hier, à la Maison de la Recherche, à votre très intéressant séminaire sur « la haine du théâtre », en auditeur libre (je commence juste à préparer une thèse de doctorat en Littérature comparée). N’étant pas sûre de pouvoir revenir, je voudrais vous adresser quelques remarques sur les cas dont vous avez parlé.

Celui de la pièce de Castellucci « Sur le concept du visage du fils de Dieu », d’abord. Des points de détail qui ont leur importance : les islamistes qui ont manifesté de concert avec les intégristes catholiques ne portent pas la haine des chrétiens et ne combattent pas contre eux sur leurs sites – contrairement à ce qui arrive souvent aux chrétiens, même non intégristes. Traditionnellement et depuis sa fondation, l’islam a toujours été beaucoup plus respectueux des autres religions que le catholicisme, et cela perdure malgré la folie meurtrière des Daech et autres terroristes politiques. Ce qui a rapproché ces islamistes français du combat de Civitas en l’occurrence, c’est comme vous l’avez mentionné une certaine adversité à la laïcité, et aussi, d’un point de vue spirituel (car ces extrémistes des deux religions ont tout de même un point de vue spirituel, même s’il peut nous paraître souvent ou entièrement erroné), leur rejet du blasphème, y compris du blasphème envers Jésus, l’un des plus grands prophètes de l’islam. Le blasphème blesse les musulmans dans leur chair, comme nous serions blessés si quelqu’un injuriait nos enfants. Il ne s’agit pas là d’idéologie. Pour autant, les musulmans assez éduqués dans leur foi savent demeurer paisibles même face à la provocation.

Je n’ai pas souvenir que des évêques aient eu à l’époque des paroles extrêmement violentes, comme vous l’avez dit – ou bien c’est que nous ne supportons plus que des paroles enrobées de sucre, spécialité de toutes sortes de clergés. Certains ont essayé de défendre Jésus et on peut légitimement trouver qu’ils ne s’y sont pas bien pris. J’avais été surtout frappée par les accommodements de la presse catholique envers cette pièce, accommodements qui comme souvent chez ces personnes tenaient de la délectation morose, quand il ne s’agissait pas de battre sa coulpe en se trouvant aussi minable, et quasiment en s’en félicitant, que les personnages de la pièce. Pour ma part, j’aurais souhaité voir émerger un débat de fond sur ce dont la pièce parlait. À savoir : que signifie le fait de jeter de la merde sur le visage du Christ ?

Personne ne s’est occupé de cette question, et il me semble qu’ainsi la pièce a été méprisée aussi bien par ses détracteurs que par ceux qui la soutenaient. Castellucci disait quelque chose, mais personne n’a écouté. En vérité, de tous bords chacun a participé à jeter de la merde, de la fausse parole, de la parole dénuée de sens, sur le visage de l’Homme. La pièce montrait ce que fait chaque jour le monde, et le monde, et notamment ses élites, se sont regardés en ce miroir sans rien y voir, s’y sont même regardés avec un plaisir malsain. En rabaissant le débat implicitement proposé par la pièce à une question de censure, on a des deux côtés fait obstacle à la possibilité d’un réel questionnement sur la pièce. Les scandalisés ont servi malgré eux l’intérêt de ce monde qui a intérêt à occulter la vérité. Mais ils ont du moins eu le mérite de réagir, de montrer par leur outrance qu’il y avait là quelque chose de scandaleux. En fait, comme toujours en art, c’est le monde révélé par l’œuvre qui était scandaleux, non l’œuvre elle-même. Mais si nous voulons garantir la liberté d’expression des artistes, ne faut-il pas garantir aussi celle des citoyens, leur droit de réponse à l’expression des artistes ? Dans un sens, ces protestataires ont fait leur devoir, celui de montrer que le théâtre n’est pas un passe-temps pour gens civilisés, mais remet en question nos comportements. Ils ont été les agitateurs dont le monde a besoin, ils ont rempli ce rôle que des artistes trop protégés ne remplissent plus guère. La preuve en est que grâce à eux, on continue à évoquer cette pièce – sans malheureusement aller davantage au fond des choses. Et c’est ainsi que l’on continue à jeter chaque jour de l’ordure sur le visage de la Vérité.

Les mêmes remarques sont valables pour la contestation à laquelle a donné lieu l’installation Exhibit B. Il me semble avoir signé la pétition contre ce spectacle quand je l’ai reçue, mais je n’en suis pas sûre, ayant cherché quelques jours après la trace de ma signature et ne l’ayant pas trouvée – de toute façon, j’ai hésité au moment de signer, et quelques jours après, voyant que l’affaire tournait à la volonté de censure, j’ai écrit aux initiateurs de la pétition pour leur exprimer mon désaccord et dire, sur internet aussi, que je regrettais mon premier mouvement de soutien à leur protestation. Pour autant, le questionnement qu’ils soulevaient était loin d’être méprisable, et là aussi il ne mérite pas d’être jugé trop vite comme raciste ou extrémiste. Il faut comprendre que des gens traumatisés par l’horreur historique que leurs peuples ont subie puissent développer une sensibilité particulière, que ne peuvent pas éprouver ceux qui ont été à l’abri de telles horreurs. Imaginons qu’un fils de nazi organise une exposition de juifs dans des positions dégradantes en camp de concentration. Nous aurions beau dire qu’il s’agit de dénoncer la Shoah, aurions-nous le droit de traiter de racistes et d’extrémistes ceux des juifs qui se déclareraient choqués par une telle exhibition de leur humanité bafouée, et d’autant plus choqués qu’elle viendrait d’un descendant de leurs bourreaux ? Le fait est que de telles expositions sur les juifs n’existent pas, parce qu’il y a une autocensure des artistes, sensibilisés par le juste et puissant combat que les juifs ont mené et continuent de mener pour éviter ce genre de choses. Je ne dis pas qu’Exhibit B était raciste ou mal intentionné, je dis qu’il faut comprendre qu’un tel spectacle fasse débat, que cela est même sain et naturel. Le plus grand scandale, me semble-t-il, est le refus d’écouter la souffrance des gens, de faire comme si les enfants des victimes, victimes elles-mêmes d’un racisme qui perdure, n’avaient pas le droit d’éprouver autrement les choses que les enfants des racistes. Il en irait de même pour une exhibition de femmes dans des positions dégradantes : même bien intentionnée, elle ne manquerait pas de blesser certaines femmes, d’autant plus si elle était faite par un homme – il ne faudrait pas voir là de leur part un sexisme à l’envers, mais une répugnance à se voir possiblement instrumentalisées par un représentant de leurs oppresseurs historiques (c’est d’ailleurs le cas avec les Femen, que certaines femmes, dont je suis, jugent véhicules d’une image dégradante de la femme, soutenue par des médias largement dominés par des hommes).

« Rien n’est sacré, tout peut se dire », écrivait Raoul Vaneigem. J’en suis entièrement d’accord. Si tout peut se dire, tout doit pouvoir aussi être dit en réponse. Et ce qui est dit doit être réfléchi, par le locuteur et par ceux qui entendent son message. « La libre parole », pour reprendre le titre d’un de ces journaux qui diffusaient des caricatures infâmes de juifs dans la première moitié du siècle dernier, si elle n’est pas pensée et critiquée sérieusement, peut contribuer beaucoup à l’œuvre de dévastation de la haine, en la préparant et en la justifiant. Encore une fois, je souligne que les juifs par leur juste combat ont fait et font en sorte que de tels messages racistes à leur égard n’aient plus droit de cité. Les autres victimes d’oppression de masse ont toute légitimité à mener un semblable combat, dût-il comporter ses errances. Ni Castellucci ni Bailey n’ont évidemment des intentions haineuses, mais leur travail porte des interrogations qui nécessitent d’être approfondies. Ce n’est pas leur rendre hommage que de n’y pas réagir, ou de n’y réagir que par des considérations esthétiques ou de « bons sentiments ». Parmi ces bons sentiments, celui qui consiste à déclarer qu’en démocratie toute censure est irrecevable oublie le fait que la censure demeure pourtant, et puissamment. Dans nos sociétés il s’agit d’une censure en creux, par l’occultation. Aussi bien les instances publiques dispensatrices de subventions que les médias financés par des industriels peuvent délibérément jeter aux oubliettes un artiste qui ne convient pas à leur point de vue sur le monde, pour ne pas dire à leur idéologie.

Voilà, ma réponse est finalement un peu plus longue que je ne l’avais prévu, et j’espère que vous ne m’en voudrez pas de la publier sous forme de lettre ouverte sur mon blog – l’un des derniers espaces où la censure ne s’exerce pas. Je vous remercie d’avoir donné lieu par votre rappel de ces affaires à cette réflexion que je vous partage. Je partage aussi avec vous l’amour du théâtre, qui nous aide à penser le monde dans lequel nous vivons.

Bien cordialement,

Alina Reyes