Journal du jour

1Neuf heures pile, j’arrive à la Sorbonne pour la deuxième journée d’un colloque sur La Fortune des Rougon, destiné aux agrégatifs, et où il a été question la veille, notamment, de l’influence de Hugo sur Zola

*2Vers treize heures, déjeuner de deux petits pains au lait au jardin du Luxembourg
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puis sur le chemin du retour, en allant chez Gibert trouver une grammaire d’occasion7* 814 heures, retour à l’amphi Guizot pour la suite du colloque, les étudiants et les professeurs arrivent9« La Grèce antique se dévoile à l’Archéologie »

*1017 heures passées, le colloque est terminé, le soir tombe. Je rentre à pied. Un ours blanc sur le mur de la mairie du 5e regarde les passants. En face, toujours la glace (voir note précédente). J’ai fait aussi des photos nettes, mais je préfère celle-ci, avec son flou.11aujourd’hui à Paris, photos Alina Reyes

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Ice Watch : douze photos des douze glaces du Panthéon, de jour et de nuit

1 2 3 4 5 0 6 7 8 9 10 11l’horloge de glace est une oeuvre éphémère d’Olafur Eliasson réalisée avec des morceaux d’iceberg du Groenland à l’occasion de la COP21

Chaque bloc de glace a une texture différente, c’est très beau

… et mouille les pavés

aujourd’hui à Paris, photos Alina Reyes

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4 jours plus tard, le 8 décembre, je suis repassée voir les glaces, elles fondent sous la pluie

Virginia Woolf, L’art du roman

« Et il se peut que parmi les prétendus romans il y en ait un que nous ne saurons guère comment baptiser. Il sera écrit en prose, mais dans une prose qui aura beaucoup des caractéristiques de la poésie. Il aura quelque chose de l’exaltation de la poésie, mais beaucoup de la trivialité de la prose. Il sera dramatique et pourtant pas une pièce de théâtre. Il sera lu, non joué. De quel nom le nommer – la question n’a pas grande importance. Ce qui est important c’est que ce livre que nous voyons à l’horizon pourra exprimer peut-être certains de ces sentiments qui semblent pour l’instant rejetés par la poésie pure et simple et ne pas trouver plus d’hospitalité dans la forme dramatique. Essayons donc de faire plus intime connaissance avec lui et d’imaginer quels pourraient être son champ et sa nature.

Tout d’abord on peut hasarder qu’il différera du roman, tel que nous le connaissons maintenant, principalement parce qu’il prendra du recul devant la vie. Il donnera comme fait la poésie, le contour plutôt que le détail. Il fera peu usage de ce merveilleux pouvoir de rapporter les faits, l’un des attributs de la fiction. Il nous racontera très peu de choses sur les maisons, les revenus, les occupations des personnages ; il aura peu de parenté avec le roman social ou le roman de mœurs. Dans ces limites il exprimera les sentiments et les idées des personnages avec précision, avec acuité, mais vus sous un angle différent. Il ressemblera à la poésie dans la mesure où il ne donnera pas seulement, ou pas principalement, les relations des gens entre eux et leurs activités communes, comme le roman l’a fait jusqu’à présent, mais les rapports de l’esprit avec les idées générales et son monologue dans la solitude. Car sous le règne du roman nous avons scruté de tout près une région de l’esprit et laissé le reste inexploré. Nous en sommes venus à oublier qu’une large et importante part de la vie consiste dans nos émotions devant les roses et les rossignols, l’arbre, le coucher du soleil, la vie, la mort et la destinée ; nous oublions que nous passons beaucoup de temps à dormir, rêver, penser, lire, tout seul. Nous ne sommes pas uniquement occupés par les relations personnelles ; toutes nos énergies ne sont pas absorbées par le souci de gagner notre vie. Le roman psychologique a été trop porté à limiter la psychologie à celle des relations personnelles ; nous aspirons parfois à échapper à l’incessante, à l’impitoyable analyse de l’amour qui naît et de l’amour qui finit, de ce que Tom éprouve pour Judith et de ce que Judith éprouve ou n’éprouve pas complètement pour Tom. Nous aspirons à quelque commerce plus impersonnel. Nous aspirons aux idées, aux rêves, aux imaginations, à la poésie. »

Extrait d’un texte initialement publié dans le New York Herald Tribune le 14 août 1927. Traduit de l’anglais par Rose Celli

Texte annonçant un roman toujours à venir, alors que notre époque d’industrialisation de la littérature est retombée dans le roman profane, trop profane – mais un roman déjà là aussi, pour qui le cherche (voyez mes livres sur ce site, y compris Voyage, avec leurs structures bien particulières).

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Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard

« …le sommeil est ce que veulent les […], et ils haïront toujours celui qui voudra les réveiller, fût-ce pour leur apporter les plus beaux cadeaux ; et, entre nous, je doute fort que le nouveau royaume ait beaucoup de cadeaux pour nous dans ses bagages. Toutes les manifestations […] sont des manifestations oniriques, même les plus violentes : notre sensualité est un désir d’oubli, nos coups de fusil et de couteau, un désir de mort ; désir d’immobilité voluptueuse, c’est-à-dire encore de mort, notre paresse, nos sorbets à la scorsonère ou à la cannelle ; notre aspect méditatif est celui du néant qui veut scruter les énigmes du nirvâna. De là vient le pouvoir arrogant qu’ont certaines personnes chez nous, de ceux qui sont à demi éveillés ; de là le fameux retard d’un siècle des manifestations artistiques et intellectuelles […] : les nouveautés ne nous attirent que quand nous les sentons bien mortes, incapables de donner lieu à des courants vitaux ; de là, l’incroyable éphémère de la formation actuelle, qui nous est contemporaine, de mythes qui seraient vénérables s’ils étaient vraiment anciens, mais qui ne sont rien d’autre que de sinistres tentatives de replonger dans un passé qui nous attire justement parce qu’il est mort. »

traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro

J’ai éludé entre crochets les mots Siciliens et siciliennes afin que chacun puisse voir ce diagnostic s’appliquer à bien d’autres que les Siciliens du livre, chez soi et chez autrui, individuellement ou collectivement.