Poésie de première jeunesse

De la montagne, la semaine dernière, j’ai rapporté des lettres (j’en ferai une note) et des manuscrits d’enfance, d’adolescence et de mes premières années après mes vingt ans. Des petites fictions, certaines pas trop mal, et de la poésie, souvent très mauvaise mais avec de temps en temps quelque chose. Par exemple, dans l’enfance, ce deuxième quatrain d’un sonnet :

Tout palpite ; car tout est encore bien frêle
Après le rude hiver ; et le printemps, pareil
À cet éclatant bouton d’or, à son réveil
Rayonnant de jeunesse et de vie, étincelle.

À l’adolescence, ces quatre vers libres d’un petit poème intitulé « Delphes » :

c’est le temple du petit poème
le poème du petit temple
le petit poème de mon cœur
le petit temple de ma vie

Et aussi toute une série de poèmes cosmiques, écrits en rouge, par exemple :

je tombe dans un tourbillon immense
puis son courant m’emporte toujours plus haut
je tourne infiniment à une vitesse folle
la mort me frôle et fuit
effarouchée par les flammes de ma vie

ou bien :

le vent a soufflé fort sur l’âme de la lune
les étoiles se sont allumées
et le soleil a éclaté d’une lumière noire
mon cœur est une comète enflammée
sa course est folle dans l’intemporel
et sa flamme brûle toujours tout à l’infini

Dans mes vingt ans, encore moult poèmes cosmiques, comme :

… Regarde-la s’effondrer et soudain se relever en riant, d’un rire tellement énorme, vois sa bouche démesurée qui crache par secousses des trillions d’étoiles et le ciel tout entier. Comme c’est beau ! la grande bouche ! qui rit ! des nébuleuses et des soleils et des comètes ! Dieu !
Ah ! le grand cri…
Reviens, mon âme, reviens, mon sang, maintenant je veux chanter tout bas.

Il y a aussi une chanson avec une fille aux jambes emplies de vent, et des textes d’amour comme :

L’été viendra, tu verras,
et il sera un beau corps nu,
endormi dans un champ de coquelicots,
en plein midi

ou encore :

la nuit se tait entre mes murs.
mon lit est vide.
Quand viendras-tu m’attendre ?
Je te veux sur la plage, je veux prendre avec toi
les chemins d’étoiles
les avenues océaniques
je veux, devant la Nuit entière,
devant la Mort,
serrer ton corps entre mes bras
– et j’aimerais leur faire envie.

et encore des choses métaphysiques, comme dans ces quatre petits vers :

j’ai ouvert la pomme
j’ai trouvé un ver
le rêve a sa route
dans ma tête troué

ou cela :

j’ouvre la nuit
en jaillit la vie

*

photographiée à 19 ou 20 ans (photo développée dans notre chambre noire) par J.-Y.

photographiée à 19 ou 20 ans (photo développée dans notre chambre noire) par J.-Y.

Espé, lycée : entraves à la liberté

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*

La tutrice de l’Espé qui a initié une « procédure d’alerte » à mon encontre, c’est-à-dire qui m’a dénoncée fallacieusement à l’académie afin d’empêcher ma titularisation, nous dit un jour benoîtement en cours qu’elle pouvait être une vraie salope pour se venger de quelque chose qu’on lui avait dit. C’était peu après que j’avais protesté, toujours en cours, sur le fait qu’elle refusait par principe de parler de la vérité des textes, vérité qu’elle refusait de voir (je l’ai raconté ici au début de cette année scolaire). Comme elle n’est pas du genre à dire des gros mots en public, elle ne prononça pas salope mais dit « une vraie s… », l’air tout réjoui de sa perfidie.

Une autre fois, elle nous déclara qu’elle pouvait rien qu’en nous regardant savoir si nous étions de droite ou de gauche et se mit à nous désigner un.e par un.e en nous étiquetant « gauche » ou « droite ». Cela choqua mes jeunes collègues, qui comme d’habitude ne dirent rien car elle détient le pouvoir de nous sanctionner, et moi qui n’ai pas leur âge ni donc un même souci de l’avenir, cette fois je ne dis rien non plus, lasse de protester et préférant le faire exclusivement sur les aberrations entendues quant aux questions de littérature et d’enseignement de la littérature. Mais j’ai vu son intrusivité se renouveler plus d’une fois à mon égard. Un jour, elle m’écrivit qu’elle s’interrogeait sur mes motivations « à venir dans l’enseignement » et qu’elle me soupçonnait de m’y introduire pour en faire la satire.  De façon beaucoup plus sournoise, après avoir assisté à mon cours, elle me parla d’un air dégoûté d’un prétendu fatalisme d’une élève à côté de qui elle s’était assise. Cela sonnait très faux, et je me demandai si elle n’insinuait pas, parce que cette élève est noire et banlieusarde, qu’elle était musulmane, donc fataliste, selon un cliché éculé (d’autant que j’ai entendu à l’Espé d’autres remarques caricaturales sur les élèves musulmanes). Mais lorsque j’ai lu qu’elle faisait mention dans son rapport de mon « voile » (sur les yeux, selon elle), j’ai compris qu’en fait ces allusions islamophobes me visaient (tout un chacun peut voir sur ce site mon rapport à l’islam). Bref, contre mes questionnements sur l’enseignement de la littérature, elle a déployé des attaques personnelles, injurieuses, diffamatoires, mensongères – notamment par la partialité de son rapport, en partie inexact, très incomplet et très orienté, qui peut me valoir un licenciement.

En vérité, c’est ma liberté d’expression qui est sanctionnée. La même chose s’est produite dans mon lycée, où ceux des profs qui savent que j’écris ici ne m’adressent plus la parole, où le proviseur me regarde avec une mine de déterré, où la secrétaire, très charmante au début, me parle maintenant comme à un chien. Comble de l’ironie, ce lycée, abonné à Charlie Hebdo, se rêve en pointe dans la défense de la liberté d’expression. Les gens n’y ont pas des kalachnikovs, mais ils ont tout de même le pouvoir, en groupe, d’exclure, de chasser qui ne pense pas comme eux. Si je ne suis pas titularisée, ce sera une sanction contre ma liberté d’expression, rien d’autre.

Rappelons la loi :

La liberté d’expression est définie par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui dispose que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »

Et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) réaffirme la liberté d’expression en disposant que « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. »

*

Rapport à une académie

« Je consommai beaucoup de professeurs et même plusieurs à la fois » Franz Kafka, Rapport à une académie

La tutrice de l’Espé, inquiétée par le haut niveau d’intelligence (elle n’y a rien compris) et le manque de dressage en cours dans ma classe (la littérature n’étant pas son fort, elle a préféré focaliser toute son attention sur des figurines Leclerc, dit-elle (contrairement à elle j’ignore ce que c’est) avec lesquelles jouaient paraît-il certains élèves), a adressé une « procédure d’alerte » à l’académie. « Mme Reyes, y écrit-elle, s’inscrit à contre-courant des tendances actuelles du système éducatif français ». C’est vrai, au lieu de faire redescendre les jeunes humains à l’état de singes, je les fais monter à l’état d’humains évolués.

Voici la lettre que j’ai adressée par mail aux destinataires de son rapport, inspecteurs et formateurs de l’académie :

rapport à une académie

 

Mesdames, Messieurs, chers collègues,

Je reçois le rapport de la visite que Mme S…F… a effectuée dans ma classe, et qu’elle doit vous transmettre. Il s’agit d’un verdict sans procès, c’est pourquoi je me permets de vous écrire pour vous donner aussi mon point de vue.

Comme ma tutrice universitaire l’indique, je suis volontiers très critique à l’égard de ce que je constate dans cet univers de l’enseignement que j’ai voulu rejoindre et dans lequel je suis très heureuse d’œuvrer. Bien entendu cela ne signifie pas que je rejette tout ce qui s’y fait, loin de là – et je me conforme par exemple aux programmes, je me renseigne constamment sur les méthodes pédagogiques, je continue à m’instruire en suivant des cours et des conférences afin d’apporter le meilleur que je puisse apporter à mes élèves. Mais je suis aussi instruite par une très longue pratique de la littérature, de la lecture et de l’écriture, et j’ai à cœur de protester quand le sens de cette discipline et des textes qu’on y étudie m’apparaît bafoué, soit par des méthodes d’enseignement trop formalistes, soit par manque de réflexion et de pensée – ce qui arrive malheureusement souvent, du fait peut-être d’une certaine routine installée chez certains enseignants ou dans l’institution.

Mme F, je peux le comprendre, est depuis le mois de septembre irritée par mes interventions contestataires dans ses cours ou ceux d’autres formateurs et formatrices de l’Espé. Mais je n’admets pas qu’elle s’en venge par un rapport extrêmement partial sur mon travail, dont par ailleurs elle ignore à peu près tout, ne voulant pas en entendre parler. Certes la classe était un peu agitée lorsqu’elle est venue assister à la première des deux heures de cours que je donne le vendredi à ces Seconde. Je me préoccupe de ce problème depuis la rentrée, et j’ai constaté que je ne pouvais pas instaurer une « dictature », comme l’une de mes collègues de langue dit l’avoir fait avec cette classe pour obtenir le calme – je la comprends, chacun fait de son mieux avec des Seconde la plupart du temps indisciplinées (et j’entends fréquemment dans mon lycée des collègues, professeurs de longue date, s’en plaindre, voire déclarer qu’ils n’en veulent plus, voire même songer à démissionner à cause de ces classes). Mais d’après mon expérience de quelques mois, mieux vaut, pour le cours de français, que j’accepte un peu d' »animation » plutôt que d’obtenir par la force, les punitions, une classe morte en effet. Car je leur demande d’accomplir des exercices intellectuels difficiles, quoi qu’il en semble à Mme F, et qui nécessitent de ne pas brider leur éveil. Je ne prétends pas que je ne préfère pas travailler avec eux les jours où ils sont calmes, mais on ne peut juger de cela sur un cours, c’est l’ensemble du trimestre et même de l’année qui est en jeu et qui donnera les résultats de mon travail. À soixante et un ans et après avoir écrit des dizaines d’ouvrages, animée d’un vif désir de faire passer à des élèves ce que je peux maintenant leur faire passer après tout ce temps de réflexion profonde, j’ai de quoi alimenter une pensée pédagogique (soutenue aussi par le travail de thèse que j’ai engagé – j’en suis à ma troisième année de doctorat), et c’est ce que je fais. Mme F ne peut tout simplement pas comprendre ce que je fais. Je ne demande pas mieux que de l’expliquer, mais encore faut-il que quelqu’un veuille bien l’entendre, au lieu de juger sur le rapport d’une personne, incompétente dans ce cas.

Je vous réaffirme mon bonheur à enseigner, jamais démenti, et ma conviction que mon travail, tout imparfait qu’il soit évidemment, a son excellence et donnera des fruits. Être débutante a ses inconvénients mais aussi ses avantages, à commencer par celui qui consiste à avoir un œil neuf et un désir, un amour intacts. Le caractère expérimental de mon travail (notamment avec des ateliers d’écriture) en fait un travail vivant, que je veille à ne pas déconnecter des exigences du programme et des examens – je leur fais faire des lectures analytiques dans les règles de l’art, je les initie à la dissertation, au commentaire composé, à l’écriture d’invention, je leur fais faire des exercices de questions sur corpus etc., je les fais beaucoup travailler en classe, beaucoup écrire, lire, parler. Je me préoccupe de la formation intellectuelle de mes élèves, d’ouvrir leur regard, sur eux-mêmes, sur autrui, sur le monde. Et je me tiens à votre disposition pour en parler plus précisément si vous le souhaitez.

Merci d’avoir lu ce courriel un peu long,

Bien à vous,

A.Reyes

Puis le jour se lève

Un peu après six heures, j’attends le bus, puis je prends le RER, puis je reprends un bus, cette fois en banlieue, après l’avoir attendu longtemps en plein vent. À huit heures trente, premier cours. Aujourd’hui j’ai dicté une synthèse-résumé que j’avais écrite de l’acte III scène 1 de Dom Juan, après la lecture analytique que nous en avions faite la semaine dernière. D’habitude je ne procède pas ainsi, mais là je voulais qu’ils écrivent tout cela, que cela leur passe par la main. Il a fallu quasiment toute l’heure à la classe de Seconde, agitée ce matin, pour le faire. Les Premières, au cours suivant, calmes, l’ont fait plus rapidement. Je leur ai ensuite montré des extraits de diverses mises en scène ou interprétations, en leur expliquant que je ne voulais pas les limiter à une représentation de Dom Juan, que ce serait le trahir. J’aime leur en parler, leur dire des choses complexes. Beaucoup ont un niveau faible ou très faible, mais justement, c’est important qu’ils entendent des choses d’un niveau élevé, je sais que même ceux qui sont distraits l’entendent malgré eux, que cela passe en eux. C’est important, même si cela reste inconscient ou en partie inconscient, ou apparemment inexploité. J’ai des choses spéciales à dire, alors je fais mon job d’écrivaine, je les dis. Ce n’est pas tous les jours de leur vie qu’ils auront l’occasion d’entendre de telles choses, la parole qui habite en moi veut absolument se donner et je lui obéis, quelles que soient les conditions.

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6 heures du mat

6 heures du mat 2

6 heures du mat 3

6 heures du mat 4

6 heures du mat 5ce matin, photos Alina Reyes

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joie et plaisir d’offrir, de recevoir

piano sorbonne nouvelle

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De neuf heures du matin à dix-huit heures j’étais à la Sorbonne Nouvelle, dans un amphi glacial, à écouter des universitaires parler d’un roman de Flaubert. Quel drôle d’objet, cette Éducation sentimentale, qui montre si bien le pourrissement sous les vêtements. C’est ce que j’aurais pu dire, tiens, si j’en avais parlé aussi. Et puis peut-être cela m’aurait-il donné aussi l’occasion de la mettre en relation avec l’Éducation nationale, fort sentimentale comme elle l’a montré aujourd’hui avec le spectacle pour foules sentimentales, comme dit un autre chanteur, organisé par le pouvoir qui n’en loupe plus une (occasion) pour les manipuler (les foules).

Et puis je suis rentrée et je me suis remise à préparer mes cours. Quelle immense joie, quelle exultation ! Je suis Molière comme je peux être aussi tant d’autres artistes combattants de la vérité, je les suis tous, et j’ai à cœur, à cœur, à cœur de les transmettre. Ces contrepoisons, ces élixirs de vie.

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piano sorbonne nouvelle,le piano à la Sorbonne Nouvelle, ce matin à la pause café, photo Alina Reyes

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