Des chevaux, une mosquée, et dans les rues des visages dessinés

arbre à coeurs

chevaux

visage

visage 2

visage 3

visage 4

visage 5

visage 6

voiture

mosquée

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En chemin vers mon rendez-vous, j’ai rencontré de beaux chevaux montés par deux cavaliers de la Garde républicaine, je suis passée par la Grande mosquée, et j’ai photographié des visages, une voiture et un arbre à cœurs dessinés sur les murs. Le médecin m’a trouvée en très bonne santé mais fatiguée, et m’a conseillé à plusieurs reprises, et encore au moment du départ, de prendre un arrêt maladie d’une semaine pour récupérer. Je ne veux pas laisser les élèves, j’ai refusé de m’arrêter mais je lui ai promis de le faire si nécessaire. N’empêche que l’Éducation nationale est bien peu respectueuse des enseignants, et du même coup des élèves. Au lieu de pouvoir travailler dans des conditions optimales, comme ce serait le cas si j’avais été nommée pas trop loin de chez moi plutôt qu’à quatre heures de transports par jour aller-retour, je dois préparer les cours, corriger les copies etc., et assurer des cours parfois dans un état de grande fatigue, qui ne m’aide pas à gérer les classes. D’autant qu’à soixante-et-un ans et après un traitement anticancer je n’ai pas les mêmes ressources d’ énergie qu’à trente ans. Mais ces gens se foutent de l’humain, ils ne parlent qu’en acronymes et autres sigles, une non-langue que parlent aussi les formateurs de l’Espé, la seule langue qu’ils comprennent, au fond. Heureusement il y a les élèves, encore vivants. Ma joie.

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À propos du caca verbal des 100 soumises du Monde

 

La tribune des cent bourges soumises dans Le Monde, réclamant pour les hommes « le droit d’importuner » les femmes (et pourquoi pas le droit pour les voyous d’agresser les hommes dans la rue ?), rappelle la manifestation des prostituées qui ne voulaient pas qu’on pénalise leurs clients. Elles, au moins, étaient franches : elles ne voulaient pas qu’on leur enlève leur gagne-pain, voilà tout. Et les bourges masculins équivalents des Catherine Deneuve et autres attachées à leurs dominants, les Beigbeder et autres germanopratins bon teint, les soutenaient de leur élégante déclaration : « Touche pas à ma pute ».

Tout cela, c’est le même petit monde. Le monde où l’on se vend et s’achète les uns et les unes aux autres, que ce soit de corps ou par d’autres « services » ou dans le cadre des affaires. Le monde dont le capital est le dieu. La bourgeoise comme la fille du peuple qui tombe dans la prostitution vit de la vente d’elle-même à un ou des hommes. L’institution du mariage est une prostitution policée. Et même pour qui, comme Deneuve, tient à se faire appeler mademoiselle, les hommes sont ceux par qui l’argent rentre, pourvu bien sûr qu’on accepte les inconvénients (les indignités) qui sont indissociables de cette situation.

Quant à prétendre, comme certaines de ces cent signataires toutes d’artifices, que de leur temps elles étaient plus libres que les femmes d’aujourd’hui, j’ai assez vécu et je vis encore assez pour témoigner qu’il n’en est absolument rien. La plupart des jeunes filles et des jeunes femmes d’aujourd’hui, en vérité, ridiculisent par leur émancipation toutes ces ex-jeunes qui, pas plus que maintenant, n’avaient compris à vingt ou à trente ans qu’une femme ne se définit ni ne se réalise nécessairement par rapport aux hommes, et notamment aux hommes de pouvoir. Beauvoir, sur l’autre versant de cette aliénation, rejetait et haïssait toute féminité physique, considérant notamment la grossesse ou l’allaitement avec épouvante. Et c’est entre ces deux grilles qu’étouffaient en vérité beaucoup de femmes prétendument libérées des décennies suivantes : la soumission au regard des hommes et la haine de leur propre corps (voir ce que rêvait d’en faire l’une de ces signataires, Catherine Millet : le faire souiller par des hommes, à la chaîne – capitalisme quand tu les tiens).

Pour paraphraser Brel : les bourgeoises c’est comme les cochonnes, plus ça devient vieille plus ça devient conne #Deneuve&les100soumises #TouchentPasàleursPorcs

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Deux Grimm, trois haïkus

J’ai photographié ces dessins d’illustration de contes de Grimm cet après-midi à l’école de l’image des Gobelins, où ils sont exposés avec beaucoup d’autres jusqu’au 18 janvier. J’ai écrit les trois haïkus hier midi à la fac.

Antoine Bonnet, Rose d'épine. Acrylique, encre de Chine et crayon de couleur, 40x60

Antoine Bonnet, Rose d’épine. Acrylique, encre de Chine et crayon de couleur, 40×60

 

Arbres nus, des pies
sautillent avec des brindilles.
Les voitures roulent.

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Flux des véhicules
Haut dans l’arbre nu un nid
entre quatre voies

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Voix entrecroisées
dedans, la baie vitrée lie
les yeux et les pies

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Mathilde Laillet, Le jeune Géant. Graphite A3

Mathilde Laillet, Le jeune Géant. Graphite A3

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Espé. Déchirer le voile

Le manège des animaux disparus, cet après-midi au Jardin des Plantes à Paris, photo Alina Reyes

Le manège des animaux disparus, cet après-midi au Jardin des Plantes à Paris, photo Alina Reyes

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« Où en sommes-nous avec le temps ? », demandait à André Gide le facétieux Arthur Cravan. « Il est six heures moins un quart « , répondait platement le maître. « Le moyen de cacher un homme ? », interroge un jour Paul Valéry, en présence du même Gide qui, cette fois, se tut.

« Pourtant les réponses ne manquaient pas », commente Jean-Paul Sartre, qui rapporte ensuite cette phrase de Paul Nizan : « Où l’homme s’est-il caché ? Nous étouffons ; dès l’enfance on nous mutile… »

Ainsi commençai-je un jour un article intitulé  « Déchirer le voile », article qui se terminait par ces mots : « Il faut s’entendre à sortir plus propre encore de conditions malpropres, dit Nietzsche, et à se laver aussi avec de l’eau sale, si cela est nécessaire. »

Aujourd’hui je suis retournée à l’Espé (l’institution de formation des profs), que j’avais déserté quelque peu à la fin du trimestre dernier, assez fatiguée par mes quatre heures de transport par jour pour aller enseigner là où j’ai été nommée (dans l’académie la plus éloignée de chez moi) pour estimer que je préférais continuer à vivre plutôt que de mourir d’épuisement pour être allée (deux heures et demie de transport aller-retour) suivre en plus ces « cours », ce non-événement qu’est l’Espé (cf mot-clé). Comme il devait être question du travail écrit que nous devons rendre, mes collègues néoprofs et moi,  comme ce travail portant sur notre propre expérience m’intéresse, et comme d’autre part j’ai pu me reposer pendant les vacances, j’y suis donc retournée. Avant le cours, la tutrice m’a dit : « nous [qui est ce nous, je l’ignore et peu m’importe] aimerions que vous parliez de vos ateliers d’écriture, puisque vous êtes auteure, cela nous intéresse ». C’est donc ce que j’ai fait, à l’oral, comme d’autres qui ont parlé de leur propre travail, de façon informelle. Et quand j’ai terminé, cette « tutrice » s’est permis, tout à fait gratuitement, de proférer une diffamation très grave sur ma façon de pratiquer ces ateliers. Je lui ai demandé de s’en expliquer, elle a refusé. Je me suis levée, je suis partie.

Pour résumer la façon dont je fais travailler mes élèves dans ces ateliers, je peux citer ce passage de l’un de mes livres :

Vient le moment de se jeter à l’eau, le moment soudain où la tentation et la peur de l’abîme cèdent devant sa nécessité, sa beauté d’urgence à accomplir, le moment où tout s’accélère, où, enjambant mon garde-fou je prends mon envol, bondis dans la lumière, où je me sens me précipiter inexorablement vers ma propre sortie, et torrent, rejoindre le torrent qui depuis si longtemps pour moi coule de source.

C’est cela que je leur fais expérimenter.

Ce que les imbéciles, les méchants, les bornés, ceux qui n’auront ni n’incarneront jamais l’intelligence de la littérature ni la littérature elle-même, voudraient empêcher.

Les imbéciles ignorent combien il est dangereux de vouloir entraver un torrent. Et combien il est jouissif et fructueux de le libérer, fût-ce un torrent de larmes.

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Prof, le cœur léger

danseuse !l’un de mes collages du temps où j’avais le temps de m’y amuser ; mais j’en referai, j’ai rapporté un journal de théâtre d’Edimbourg pour ça

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Au retour, dans le bus, puis le RER, puis le métro, deux heures durant, mon livre reste dans mon sac : je savoure ma journée. Fatiguée mais heureuse. Pourtant je n’avais vraiment pas envie d’y aller. D’y retourner. Au lycée. Jusqu’à trois heures et demie du matin pensant à mes travaux d’écriture en cours ou en projet, que le retour à l’enseignement allait retarder alors qu’ils me tiennent tant, tant, tant à cœur. Quand il a fallu se lever, à 5h05, mon heure pour y être à temps pour le premier cours à 8h30, je n’étais pas la reine du monde. Mais finalement ça n’a pas changé : mes élèves aussi me tiennent à cœur, tant et tant. D’ailleurs tout s’est passé à merveille. Il y en a même un qui a demandé à assister une deuxième fois au cours – après celui du premier groupe, dont il fait partie, le même cours pour le deuxième groupe deux heures plus tard – et qui a participé très bien aux deux, avec bonheur. D’autres aussi ont été heureux, comme moi. Je leur fais bien sentir les nuances, les strates de sens dans un texte, et en quoi cela nous concerne tous, cela concerne chacun de nous – et ça les intéresse – je rends grâce au génie de Molière. Ça c’était avec les Seconde. Les Première ont eu à composer un commentaire de texte en deux heures, et je ne les avais jamais vus aussi travailleurs, sérieux, réfléchi.e.s (à part trois qui ont préféré dormir sur leur table au bout d’une heure). Tout cela s’est passé dans le calme mais sans somnolence (sauf pour les trois rois fainéant.e.s), de façon bien réveillée, vivante. Ayant dormi seulement une heure et demie dans la nuit, j’avais eu la bonne idée d’emporter une thermos de café, qui m’a bien soutenue entre deux cours, et j’étais calme comme un Bouddha (avec le presque kilo que j’ai pris pendant les fêtes j’aurais pu poser en Bouddha, en effet). La vie est belle, quoi.

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