Le manège des animaux disparus, cet après-midi au Jardin des Plantes à Paris, photo Alina Reyes
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« Où en sommes-nous avec le temps ? », demandait à André Gide le facétieux Arthur Cravan. « Il est six heures moins un quart « , répondait platement le maître. « Le moyen de cacher un homme ? », interroge un jour Paul Valéry, en présence du même Gide qui, cette fois, se tut.
« Pourtant les réponses ne manquaient pas », commente Jean-Paul Sartre, qui rapporte ensuite cette phrase de Paul Nizan : « Où l’homme s’est-il caché ? Nous étouffons ; dès l’enfance on nous mutile… »
Ainsi commençai-je un jour un article intitulé « Déchirer le voile », article qui se terminait par ces mots : « Il faut s’entendre à sortir plus propre encore de conditions malpropres, dit Nietzsche, et à se laver aussi avec de l’eau sale, si cela est nécessaire. »
Aujourd’hui je suis retournée à l’Espé (l’institution de formation des profs), que j’avais déserté quelque peu à la fin du trimestre dernier, assez fatiguée par mes quatre heures de transport par jour pour aller enseigner là où j’ai été nommée (dans l’académie la plus éloignée de chez moi) pour estimer que je préférais continuer à vivre plutôt que de mourir d’épuisement pour être allée (deux heures et demie de transport aller-retour) suivre en plus ces « cours », ce non-événement qu’est l’Espé (cf mot-clé). Comme il devait être question du travail écrit que nous devons rendre, mes collègues néoprofs et moi, comme ce travail portant sur notre propre expérience m’intéresse, et comme d’autre part j’ai pu me reposer pendant les vacances, j’y suis donc retournée. Avant le cours, la tutrice m’a dit : « nous [qui est ce nous, je l’ignore et peu m’importe] aimerions que vous parliez de vos ateliers d’écriture, puisque vous êtes auteure, cela nous intéresse ». C’est donc ce que j’ai fait, à l’oral, comme d’autres qui ont parlé de leur propre travail, de façon informelle. Et quand j’ai terminé, cette « tutrice » s’est permis, tout à fait gratuitement, de proférer une diffamation très grave sur ma façon de pratiquer ces ateliers. Je lui ai demandé de s’en expliquer, elle a refusé. Je me suis levée, je suis partie.
Pour résumer la façon dont je fais travailler mes élèves dans ces ateliers, je peux citer ce passage de l’un de mes livres :
Vient le moment de se jeter à l’eau, le moment soudain où la tentation et la peur de l’abîme cèdent devant sa nécessité, sa beauté d’urgence à accomplir, le moment où tout s’accélère, où, enjambant mon garde-fou je prends mon envol, bondis dans la lumière, où je me sens me précipiter inexorablement vers ma propre sortie, et torrent, rejoindre le torrent qui depuis si longtemps pour moi coule de source.
C’est cela que je leur fais expérimenter.
Ce que les imbéciles, les méchants, les bornés, ceux qui n’auront ni n’incarneront jamais l’intelligence de la littérature ni la littérature elle-même, voudraient empêcher.
Les imbéciles ignorent combien il est dangereux de vouloir entraver un torrent. Et combien il est jouissif et fructueux de le libérer, fût-ce un torrent de larmes.
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