Ahou ! ahou ! ahou !

Aujourd’hui samedi, ma black plume se lève avec les Gilets jaunes :

Ahou ! ahou ! ahou !

Un nouveau roi est appelé à régner.

Araignée ? quel drôle de nom pour un roi ! Et pourquoi pas Micron, Castagnette ou Chiassa ? Blanquette, BotuHL ou Cul Ferry ? Jacline Mouron, Nanar Tapine, Lavavassale ? Roteur Goulpil, Con Bandit, Leji Dédé, Paris Catch, les Condés, les Tévés ?

Assez !

Le roi est mort,

vive le peuple souverain !

 

Villiers de l’Isle-Adam, lumière pour notre temps

Carnavalet_-_Auguste_Villiers_de_l'Isle-Adam_01Comme annoncé, voici une note sur cet auteur magnifique, qui sera peut-être suivie d’autres.

« Écrivain de race », « poète absolu » selon Verlaine, « exorciste du réel » et « portier de l’idéal » selon Rémy de Gourmont, Villiers de l’Isle-Adam est un auteur incisif, perspicace, d’une exquise et puissante finesse, doué d’une sensibilité aiguë, sauvage, raffinée, un ciseleur de brèves nouvelles hors pair. Ses bien nommés Contes cruels et Nouveaux Contes cruels sont semblables, dans l’esprit, à des pièces shakespeariennes extrêmement condensées. Ils en ont la profondeur métaphysique, l’acuité, la folie à la fois vertigineuse et maîtrisée – mais la bouffonnerie et le rire sont absents de ce théâtre de la cruauté, ou plutôt en sont très sous-jacents, de façon glaciale, dans une ironie aussi discrète que dévastatrice.

C’est que le siècle de Villiers, ce dix-neuvième industrialisé, bourgeois et décadent, pourri par le souci d’argent, traversé de révoltes écrasées dans le sang, est sans doute trop grossier pour son intellect subtil. Sans doute n’y trouve-t-il pas à sourire de la condition humaine – sinistre, trop sinistre, dans une société si vieille, si usée, et une modernité si froide, si déshumanisante. Lui qui aimait mettre en œuvre le choc des temporalités apprécierait sûrement la correspondance que l’on peut ressentir, à la lecture de ses contes, entre son époque et la nôtre, avec leurs sociétés figées par l’exacerbation des classes et des castes et leur fuite en avant hors de l’humain – cet humain qui faisait encore sourire Shakespeare et rire (jaune) Molière – cette fuite, cette marche forcée que figure la « bête humaine » de Zola et que le macronisme met aujourd’hui au pas de l’oie, en avant toute vers le précipice.

Évidemment lecteur de Poe, auquel il se réfère splendidement sans en aucun cas l’imiter, tout en paraissant indifférent aux préoccupations sociales de son temps il en évoque indirectement l’esprit par une écriture imprégnée d’inquiétante étrangeté, dans des textes de très risqué et parfait équilibriste, donnant le sentiment de se tenir toujours au bord de l’abîme. Où le monde est une illusion, la mort et les passions mauvaises rôdent sous les masques de joie ou d’honorabilité, où sous les apparences de paix s’ouvrent des gouffres sans fond.

Villiers de l’Isle-Adam fut peu apprécié du public de son temps et eut une vie difficile (mais l’aristocratie de son caractère l’élevait au-dessus de ces trivialités) ; son génie reste méconnu. Mais pour qui veut comprendre où en est aujourd’hui l’humain, il est l’heure de le lire.

 

"La Gloire tirant Auguste de Villiers de l'Isle Adam de son sommeil éternel" par Frédéric Brou, musée Carnavalet

« La Gloire tirant Auguste de Villiers de l’Isle Adam de son sommeil éternel » par Frédéric Brou, musée Carnavalet

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Tags, clip, couleur au plein air vs le ventre des Mimis

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ces jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

ces jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

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Les secrets qui scellent les pouvoirs sont de misérables secrets – c’est parce qu’ils sont misérables qu’ils sont secrets, et c’est parce qu’ils servent à sceller qu’ils sont de si mauvais secrets, aussi infectés que des kleenex partagés par des bandes de pestiférés. Dans leur livre Mimi, sur Mimi Marchand, « papesse des paparazzis, gardienne des rumeurs », qui se fit photographier faisant le V de la victoire derrière le bureau présidentiel au lendemain de l’élection de Macron, les auteurs évoquent ces « rouages obscurs où se terrent les secrets et où se négocient les alliances qui les préservent. Dans le ventre cliquetant de la machine ».

C’est dans ce ventre cliquetant que se trament les récupérations de certain·e·s Gilets jaunes. Et personne n’est dupe. Qu’importe, ce ne sont là qu’épiphénomènes, capables tout au plus de retarder de quelques instants le flux de l’Histoire, qui va et ira toujours son cours, infiniment plus puissant que les petites affaires des petits humains occupés à tenter de détourner, à l’aide d’instruments aussi malins et dérisoires que toutes les Mimi du monde, ce qui les emporte et les emportera, inexorablement.

Les mouvements populaires ont leurs traits au grand air et leurs airs aux paroles publiquement chantées. Un autre rap (après celui-ci) de la « canaille » (« eh bien j’en suis ») a fleuri :

 

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Macron et autres « élites », politique de la prostitution

oedipe_roi*

Comment ne pas reconnaître dans cette image d’Œdipe aux yeux crevés, au visage en sang, celle de tant de manifestants mutilés par la police de Macron, qui projette son propre désastre sur le peuple ?

Œdipe a l’intelligence froide d’un énarque. Il sait résoudre les énigmes artificielles de la Sphinge, il trouve la formule pour entrer dans la Cité et en devenir le roi. Il a su obtenir, dit-il, « la puissance royale qu’on ne peut obtenir que par les richesses et par la faveur du peuple ». Mais il ignore qu’avec lui, il a fait entrer la peste. Tel est le tableau inaugural de la pièce de Sophocle, qui continue à parler.

« Je te dis que tu ne vois point de tes yeux au milieu de quels maux tu es plongé, ni avec qui tu habites, ni dans quelles demeures », lui dit le devin Tirésias, lui qui, privé de la vue ordinaire, voit au-delà, voit ce que personne ne voit. Pourquoi la peste se déchaîne-t-elle sous le règne d’Œdipe ? Parce qu’il ignore l’homme. Celui qu’il est, celui qui est. Il règne dans l’ignorance. Il croit en ses calculs, qui lui ont permis d’accéder au pouvoir. Il veut étendre son faux bonheur sur la cité. Mais cela ne marche pas ainsi, M. Macron.

« La bonne destinée est ma mère, et le déroulement des mois m’a fait grand de petit que j’étais. Ayant un tel commencement, que m’importe le reste ? », répond-il au chœur qui vient de l’avertir par ces paroles : « Je crains que de grands maux ne sortent de ce silence ». Car ce qui est faussé au départ reste et devient de plus en plus morbide. Il faut rétablir le vrai, la place de l’humain, pour que l’humanité puisse vivre. Au moins, l’Œdipe de Sophocle a le courage de chercher la vérité, de finir par accepter de la regarder. C’est seulement ainsi qu’il peut débarrasser la cité de la peste. Prenez-en de la graine, petits rois. Il n’y a de règne que celui du vivant, de l’humain dans la profondeur de la vie. Ce ne sont pas les richesses ni les faveurs qu’il faut mettre au centre, c’est la vision profonde, le vrai, le juste.

Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron interprétait les revendications des Gilets Jaunes comme une demande d’amour. Puisqu’il leur prend de l’argent, il imagine qu’il lui faut leur donner de l’amour en retour. La logique capitaliste crée la prostitution : tout se vend, tout s’achète, y compris l’amour, y compris les âmes. Alain Minc avait dit de lui, en toute sympathie, que, banquier d’affaires, il excellait dans son « métier de pute ». Peut-être, mais Macron devrait comprendre que les Français dégoûtés de sa politique n’ont aucun désir d’acheter son amour. Que la seule idée de son amour leur est même plutôt répugnante : qui a envie d’être « aimé » de quelqu’un qui le plume pour engraisser ses souteneurs ?

Emmanuel Macron, s’étant peut-être aperçu qu’il prenait un râteau avec le peuple, continue à jouer les séducteurs, cette fois auprès de maires choisis par des préfets. Espérant sans doute quelque transfert freudien via les élus des communes. Tout en continuant à assener au peuple son mépris de classe et en le faisant violenter, tabasser, mutiler, tuer, semaine après semaine, il prétend, en toute perversion narcissique, vouloir débattre avec ceux qui tombent sous les coups de sa police comme sous les coups de sa politique, pour la bonne cause et pour leur bien.

Mais rien à faire, les gens ne veulent pas de son amour, ils veulent que justice soit faite. Que le fruit de leur travail ne soit pas confisqué par l’État pour les privilégiés et les riches qu’il soutient et qui le soutiennent, que cesse l’en-même-temps obscène de la destruction de tous les services publics et de l’augmentation des taxes. Au début, les gens ordinaires, comme moi, sont patients avec les abuseurs ; ils se disent que ça va leur passer ; au fond, ils ont même pitié, comprenant qu’ils sont cinglés, avec leur délire de toute-puissance ; puis ils se rendent compte qu’il n’y a pas moyen de les faire changer de comportement, qu’au contraire leurs abus s’amplifient. Et qu’il ne sera possible de se débarrasser du mal qu’ils font et répandent qu’en se débarrassant de sa cause, qu’ils incarnent.

Les gens ne veulent pas acheter du faux amour (le vrai ne peut s’acheter), ils veulent que soit respectée la démocratie. Que celui qu’ils ont élu pour servir la République ne se prenne ni pour un dieu ni pour un roi ni pour un empereur – de façon d’autant plus dérisoire que, face à l’irruption du réel, quand ses concitoyens exigent des réponses, il s’avère incapable de réagir autrement que de façon apeurée, en se cachant derrière des blindés et des forces de l’ordre en quantité démesurée.

Emmanuel Macron n’assume rien. En difficulté, il déconne, comme il le dit élégamment – des pauvres, bien sûr. En fait, il déconne depuis le début, depuis bien avant son élection, comme le rappelle notamment ces jours-ci le signalement au parquet pour soupçons de corruption dans l’affaire (de trahison) Alstom. Il déclare vouloir rassembler le peuple alors que c’est lui qui est divisé, entre désir de s’affirmer et habitude de se vendre (ou d’acheter autrui, ce qui revient au même), entre volonté de domination et érotomanie masochiste (haï ou méprisé, il se sent aimé, bourreau du peuple il se sent bouc émissaire). Ceux qui ne nous ont donné d’autre choix que d’élire Emmanuel Macron, ceux de sa caste, ont apporté avec lui la peste dans le pays. Même si Macron partait, comme Œdipe dans la pièce de Sophocle, il resterait à la cité la tâche de réparer des dégâts moraux et structurels immenses. Bien au-delà de la personne de Macron et de son existence, ce qui est en jeu est une sortie de la prostitution généralisée des « élites » – fausses élites en réalité, médiocratie instaurée par les alliances iniques du vieux monde en fin de vie. Quel que soit le moment où cela viendra, il faudra beaucoup de courage et d’intelligence pour reconstruire une autre, une tout autre société.

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L’image est extraite du film Œdipe roi de Pasolini.

Ce texte est issu de deux textes précédemment publiés sur mon blog de secours et ici ; le dernier, ayant été révisé et augmenté, a également été publié sur Bellaciao.org et sur Agoravox.fr.

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