Nouveaux galets et silex peints. Penser autrement

 

Nous pensons avec des mots parce que nous utilisons les mots toute la journée, que ce soit pour parler, pour lire ou pour écrire. Mais si nous faisons autre chose tout aussi intensément et longuement, nous pensons avec cette autre chose. Quand je vivais à la montagne, je pensais avec la nature. Cette nuit, après une journée passée à peindre, commençant à penser (à l’islam en l’occurrence) avec des mots avant de m’endormir, j’ai vu la peinture venir se mêler aux mots pour renforcer singulièrement ma pensée. Il ne s’agissait pas d’images peintes qui se seraient mêlées au discours intérieur, mais de gestes picturaux ressentis. Il est difficile de traduire en mots la façon dont la nature ou la peinture produit de la pensée en nous, aussi bien que les mots. Mais je peux du moins dire que je constate que le fait de contempler la nature, d’y vivre, de communiquer avec elle, comme le fait de peindre, produit de la pensée. Au commencement, ce n’est pas « je pense donc je peins (ou je contemple ) », mais « je peins (ou je contemple) donc je pense ». Puis la pensée née du geste, née très concrètement dans l’esprit, aussi concrètement qu’un nouveau-né apparaît soudain dans le monde, à son tour crée un autre geste, chargé de traduire la pensée nouveau-née. Des mythes, des rites, des cultes, des œuvres d’art naissent de cette pensée première. Alchimie des sens.

Après la cartographie mentale, l’histoire et l’amour, le quatrième silex (en fait une concrétion calcaire de 13 cm de long, pleine d’aspérités et laissant seulement quelques points de silex apparent) de ma série « Condition humaine » s’intitule « la pierre philosophale ». La voici, sous ses différentes faces.

 

silex peint 16-min

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Et voici mes derniers galets, de petite taille et peints autrement que les premiers, sur leurs deux faces :

 

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L’ensemble depuis le début, sur ses différentes faces :

galets et silex peints 1-min

galets et silex peints 2-minAlina Reyes

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Tous les galets : ici

Tous les silex : ici

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Signes et traces

Hier à la Bibliothèque universitaire de la Sorbonne nouvelle, photo Alina Reyes

Hier à la Bibliothèque universitaire de la Sorbonne nouvelle, photo Alina Reyes

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Le Street Art est en quelque sorte à l’art des musées ce que l’écriture sur Internet est au livre. Ou ce que la littérature orale est au livre. Ou encore, selon la forme de Street Art considérée, ce que l’écriture automatique est à l’écriture codifiée. Le caractère gratuit, léger, passager, changeant, libre, subversif du Street Art, n’échappe pas à une certaine muséification par la photographie ou le film, mais l’image de ce qui est n’est pas ce qui est, elle en est seulement une trace.

 

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Ce que j’écris ici, comme le Street Art dans la ville, fait signe et signal, petit phare dans un océan de vie. Telles sont l’essence et la mission de tout art, de toute littérature, éphémères ou durables. La particularité de la littérature en ligne, comme celle de la littérature orale, consiste en sa mutabilité. Ce qui n’est pas fixé par l’écrit et plus encore par l’imprimerie a tout loisir de changer, de supporter des variations et des évolutions. C’est vrai pour les notes de blog, ça l’est aussi pour les livres numériques – et j’ai apporté des changements, par rapport à l’édition papier, à plusieurs de mes livres numérisés.

Le caractère work in progress de l’écriture en ligne est un aspect essentiel de mon travail. C’est mon travail. Dans un entretien avec Daniel Abadie dans le magazine Beaux Arts de juillet-août 1985 (n°26), André Masson, qu’André Breton appelait le « peintre à la main ailée », et dont l’influence fut déterminante sur l’École de New York et l’œuvre de Jackson Pollock, dit :

 

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« Oui, inachèvement, métamorphose, changement d’une forme en une autre, c’est le même ordre de pensée. Le dessin automatique évidemment est une chose inachevée. C’est un fragment d’un moment. Je crois qu’un dessin automatique ne peut pas être achevé. C’est quelque chose qui prend forme. Tout ce qui est mouvement fait partie de l’inachèvement, fait partie de la métamorphose. Il y a cela dans l’impressionnisme, comme dans l’expressionnisme allemand et surtout dans le futurisme italien. C’est le même désir d’un monde en changement. Transformation, métamorphose, inachèvement, c’est le cas en fait de la peinture moderne. À côté des œuvres classiques, il y a toujours eu des œuvres qu’on aurait appelées autrefois « en terme d’esquisse ». Cela se voit dans les « bozzetti », ces modèles peints pour les grands tableaux par les peintres du dix-septième ou du dix-huitième siècle, et qui étaient l’inachèvement même. Eh bien, nous préférons ce modèle aux peintures achevées qui étaient souvent, voire toujours, réalisées par l’atelier du peintre. Il faut croire que la notion de métamorphose en art commence avec l’impressionnisme. Ainsi on sent chez Delacroix par exemple une hésitation devant ce problème. Au fond, Delacroix est très moderne, mais il n’ose pas – il a tout de même des références classiques – nous montrer l’inachèvement comme un achèvement, c’est-à-dire l’achèvement d’un moment. C’est pour cela je pense qu’il s’agit d’un problème métaphysique plutôt même qu’esthétique. »

Et il ajoute un peu plus loin :

« Un objet n’est pas éternel, un objet se modifie. Une nature morte pour un cubiste, ça se change en peinture. La mandoline, le compotier, peu importe, se changent en peinture. Cela ne peut pas ressembler au motif, ça veut le transformer. Seul le classicisme, comme je vous le disais, est pour l’achèvement et croit faire des choses qui se tiennent éternellement. La peinture moderne est mouvement et toutes les réactions contre le mouvement sont réactionnaires. »

 

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On pourrait en dire autant de la littérature actuelle, formatée soit par les auteurs eux-mêmes, soit par les « ateliers » des éditeurs. Toute cette littérature, quand elle mérite encore le nom de littérature, est réactionnaire, et mérite les honneurs réactionnaires qui lui sont octroyés : il ne s’agit pas d’art, mais d’art du cercle vicieux.

Passons. Et ouvrons l’œil sur une autre transformation créée par la littérature inachevée, pour reprendre le terme de Masson. La différence entre littérature inachevée, en l’occurrence ce que j’écris ici, et le brouillon, tient au fait que l’une est rendue publique, donc fait signe au monde, tandis que l’autre est destiné à la corbeille (à papier ou numérique). L’écrit en ligne et l’écrit imprimé sont également signes. Et également traces, mais pas de la même chose. L’écrit en ligne, tel que je le pratique ici, est trace de l’auteur – l’auteure en l’occurrence. L’écrit imprimé, tel que je le pratique depuis que j’écris en ligne, est trace de mes écrits en ligne, qui s’y retrouvent partiellement repris, transformés, réassemblés, retravaillés, recomposés, réécrits. Ainsi mon écriture porte-t-elle à la fois en elle l’achèvement et l’inachèvement, la satisfaction et le désir, le pérenne et l’éphémère, l’immuable et le mouvement. Et ainsi, aussi, se trouve-t-elle augmentée d’une autre dimension : elle n’est plus seulement trace, mais trace d’une trace. Non plus seulement trace d’un être, avec son individualité et son ego, mais trace de sa trace, c’est-à-dire de son esprit : esprit d’un esprit.

 

street art 10-minCes jours-ci à Paris 5e, photos Alina Reyes

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Les fantastiques collages de Tomi Ungerer

 

Le corps tout pétri par la séance de yoga kundalini (un kriya censé libérer l’énergie créative qui m’a laissée trop épuisée pour aller écrire mais très heureuse de sentir si fort mes muscles et mes articulations), je suis allée voir les collages de Tomi Ungerer au Centre culturel irlandais. « Depuis cinq ans, je me réfugie dans le collage, les sculptures et les écrits. Il y a aussi le fait que nous sommes dans un monde irréparable, dans l’Apocalypse », déclarait-il en décembre dernier, deux mois avant sa mort, à Libération. L’exposition, qu’il a eu le temps de préparer, s’intitule « En attendant », référence claire à Beckett. Ses œuvres sont d’une beauté presque douloureuse à force d’être parfaite dans sa simplicité, sa monochromie ou quasi-monochromie, sa tristesse insondable sous l’humour discret. Chacune pourrait être un nouvel aphorisme biblique. Au bout des doigts de maître Tomi, le monde qui apparaît, c’est un Job sans paroles. Le malheur n’y est pas attaché à l’homme, comme à Job dans la Bible, mais à son monde (comme on dit aujourd’hui « Macron et son monde » – j’ai fait cette nuit un rêve de mauvais augure pour la France de Macron et son monde, et j’aimerais qu’il ne soit qu’un écho de l’exposition vue hier, plutôt que le résultat, comme les rêves savent en trouver, d’une analyse de la réalité).

Il y a aussi des objets : barreaux de chaise sans siège ni dossier, vieilles portes transformées en paravent aux portraits surannés, pelles rouillées faisant office de visages et de bonhommes. Les collages de Tomi Ungerer sont surréalistes, avec la particularité d’avoir très peu l’air de collages. Il faut les regarder de près pour voir où sont les collages dans ces œuvres qui ressemblent souvent à des dessins. Pourquoi, alors, avoir fait des collages ? N’est-ce pas le fait d’un désir de réparer ce « monde irréparable » ? D’en réagencer les morceaux afin d’y trouver un sens perdu ou introuvé, ou bien d’en révéler le non-sens ? D’inciter les gens à passer à travers les quantités de barres et de barreaux qui encombrent ce monde, à sortir de ses rails morbides ? Un pape y perd la tête, pourquoi ? J’ai mon idée là-dessus : parce qu’il est adulte, trop adulte, comme dirait à peu près Nietzsche. À la journaliste de Libé, Tomi Ungerer parlait du livre qu’il préparait, avec un enfant qui se retrouve seul dans un monde où « tout s’écroule, tout explose. Lui suit toujours son ombre qui lui dit où aller et comment éviter les embûches. Elle lui dit de tourner le coin de la rue et il y a une explosion, puis de la traverser et les buildings s’écroulent. Les enfants dans mes livres n’ont jamais peur. Ils n’ont pas froid aux yeux. » Il est là, le salut.

Voici quelques-uns des collages de cette exposition, à voir jusqu’au 5 juillet au Centre culturel irlandais à Paris.

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La condition humaine, 3 (silex peint)

 

Décidément la mode est au négationnisme. Honte à ceux qui ont commémoré le Débarquement en ignorant les Russes, sans lesquels nous ne parlerions plus français. Start-up nation, nouveau nom de la collaboration. Ô têtes de cons, inutile d’aller vous chercher chez vous : 25 millions de Russes morts à la guerre contre le nazisme vous feront de l’autre côté l’accueil que vous aurez mérité.

Pour se nettoyer, encore, du spectacle de la misère, voici, après la topographie et l’histoire, un silex (11 cm de longueur) qui parle d’amour.

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Comme pour les précédents, j’ai peint le silex enchâssé dans la craie, cette fois en prenant garde à ne pas me couper à l’arête du nez, très tranchante

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une face, l’autre…

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et comme il tient debout, le voici vu du dessus…

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et vu de face :

silex peint 15-minAlina Reyes

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Angot & co, la possibilité du déshonneur. Et pour l’honneur, du Street Art

 

Les vendu·e·s volontaires estiment qu’il n’est pas bien terrible d’être vendu. Telle Christine Angot vendant son anticharme à la télé : selon elle, les Noirs déportés et esclavagisés étaient bien nourris (comme elle est bien payée) donc leur esclavage (comme sa servitude) valait bien mieux que d’être menacé de mort. Outre l’ignominie de ce négationnisme, son ignorance crasse des réalités historiques et la bêtise de sa comparaison entre Shoah et esclavage, ses propos révèlent bien le fond de non-pensée de tous ces polichinelles achetés par le système : mieux vaut, pour eux, se vendre qu’être mort médiatiquement.

Angot au départ avait la possibilité d’une œuvre comme Houellebecq eut la possibilité d’une vie. Ils ont préféré bouffer à la gamelle, télé, légion d’honneur et autres colifichets qui leur mangent l’intelligence jusqu’au trognon. La servitude volontaire n’est pas le fait du peuple mais celui des courtisans et des princes de ce monde, tout et tous inféodés à sa gueule puante.

Allez, quelques œuvres de Street Art parmi celles que je n’avais pas encore photographiées dans le treizième arrondissement, pour se nettoyer du spectacle de la misère.

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street art 1-minJ’adore quand le Street Art se balade, sur camion ou sur métro et autres trains

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street art 2-minÇa dit quoi ? Ben, c’est comme avec les animaux, faut le sentir

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street art 3-minune fresque de Jorge Rodriguez-Gerada et des Parisiens en mouvement

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street art 4-minInvader ? Et la lumière est

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street art 5-minMon reflet dans une porte vitrée, une œuvre de Street Art encore plus éphémère que les autres

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street art 6-minla Joconde d’Okuda

à Paris 13e ces jours-ci, photos Alina Reyes

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