Puissante tribune de Virginie Despentes dans Libé sur le césar donné à Polanski.
Une voix bien plus forte et vivante que celle des soutiens, hommes et femmes, largement boomers, de ce système tel qu’il est et auquel ils et elles ont dû se soumettre pour en être et y faire carrière.
À remarquer cependant, comme cela a déjà été fait, que les seules femmes qui ont pu parler et être écoutées jusqu’à présent sont des femmes qui sont elles-mêmes intégrées dans ce monde : Springora, Haenel, Despentes sont des femmes en position de force, qui ont, comme ceux qu’elles peuvent se permettre d’accuser, des réseaux, des relais dans la presse, etc. Pour avoir dénoncé ce système et ce monde, et notamment l’écrasement des jeunes, des femmes et des immigrés par le vieux pays que nous continuons à subir, cela en 2007 dans mon roman Forêt profonde (quelques années après mon Poupée, anale nationale qui avait déjà beaucoup irrité, comme mon Lilith), j’ai été tout simplement bannie de l’édition et des médias, mon livre a été occulté et j’ai été diffamée. 2007, c’était trop tôt sans doute pour que ma parole puisse être admise, il a fallu MeToo pour que cette sorte de parole puisse bénéficier d’une écoute. Mais il y a autre chose, au moins deux autres choses : une parole prosaïque, si virulente soit-elle, est toujours moins difficile à recevoir, plus acceptable, qu’une parole violemment poétique comme la mienne ; et des protestataires malgré tout intégré·e·s sont toujours mieux reçu·e·s qu’une anarchiste asociale et irrécupérable comme moi.
Faut-il qu’il y ait des gens qui parlent pour et dans leur époque, et d’autres, en avance sur leur époque et pour plus tard ? Ainsi fonctionne encore le vieux monde, comme au XIXe siècle où Zola put signer un retentissant J’accuse (qui finit quand même par lui coûter la vie) tandis que Rimbaud, à l’écart, lui, laissa à l’humanité future son génie renversant. Je ne pense pas pour autant qu’il n’y ait pas d’autre société possible qu’une société où les artistes sont soit des assis (socialement), soit des maudits (socialement aussi). Dans un monde autrement construit, il n’y a pas nécessité d’une telle lamentable séparation. Je travaille contre toutes sortes de séparations et tandis que le monde du cinéma comme le reste de la société se fissure, tandis que les agents de cette tour de Babel qu’est notre société se retrouvent de plus en plus privés de parole commune, celles et ceux qui n’y existent pas préparent les outils d’un prochain habitat.
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