Le dépassement du temps perdu

Je vais te parler en toute franchise, dit Ulysse à Eumée, avant de lui inventer une histoire précurseuse de toute la littérature picaresque. Un peu avant, il a bien dit qu’il avait en horreur les gens qui parlent faussement. C’est que sa fable n’est pas une histoire fausse, c’est une façon de dire autrement la vérité. La vérité des hommes qui ont beaucoup vécu et qui ont tout perdu. Quand j’étais bénévole auprès de personnes à la rue, j’entendais ces sortes de récits. Dans une autre vie, j’ai été ceci ou cela, j’ai vécu ici ou là dans le monde. Et puis, comme le dit Ulysse, tout ça s’en est allé. C’est pourquoi j’étais auprès de ces personnes, parce qu’une chose semblable m’était arrivée aussi, même si j’avais la chance de ne pas être à la rue. Et puis c’est ce qui arrive à tous les mortels, d’avoir été et de n’être plus. C’est un grand sujet de l’Odyssée : douze chants pour dire comment survivre quand ce qui fut n’est plus, et les douze suivants pour dire comment retrouver non pas ce qui fut, mais ce qui est, la présence bien réelle à ce qui est.

alinareyes