o popoï, rois et mendiants, société de dévoration

Au début, j’ai fait comme tout le monde, j’ai traduit cette interjection hyper courante dans les dialogues de l’Odyssée, au début d’une prise de parole, par « grands dieux ! ». C’est ce que dit le Bailly, tout en précisant que cette traduction courante repose sur une erreur – sans en proposer d’autre. Mais enfin Zeus s’exclamant « grands dieux », on n’y croit pas trop, pas plus que le Roule-l’œil (Cyclope) et autres brutes humaines, et même Dévor (Ulysse), non, je ne vois pas que ce soit leur genre, pour une raison ou pour une autre. En fait ce qui serait naturel aujourd’hui, ce serait de traduire par « oh putain », ou, pour les personnages plus polis, « oh punaise ». Ne serait-ce qu’à cause du p initial, consonne occlusive de tout bon début d’exclamation. D’abord j’ai changé tous les « grands dieux » en « ô popoï », laissant l’exclamation en grec, puis finalement, comme après tout les Grecs sont des méridionaux, j’ai changé les « popoï » en « peuchère ». J’aime assez entendre Zeus s’exclamer « peuchère », et les autres aussi, ça apporte de la légèreté à toute la comédie et à toute la tragédie. Mais pour ma part, à la maison, dans la vie de tous les jours, j’ai adopté « ô popoï ». Un code sourire entre O et moi.

Et désormais je n’écrirai plus ma traduction ni mon roman ni rien d’important sur mon ordinateur, puisque les voleurs, les violeurs de verbe, y entrent de force, sales morpions qui n’ont de vie qu’à mater celle des autres, d’œuvre qu’à piller celle d’autrui. Certes ce n’est pas nouveau, mais je pensais qu’avec le temps ils s’étaient guéris de cette obsession paranoïaque. Le pire est que tant de gens croient pouvoir faire plier quelqu’un à force d’abus et d’obstacles, de mensonges et de manipulations, de pillages et de destructions, de harcèlement et de rétorsions, etc. Ils ne savent décidément pas du tout ce qu’est la liberté. Peuchère, quels petits mortels. Ceux qu’Homère appelle les kakoi, ceux qui font kaka, les choses mauvaises ou basses.

Je me suis remise à courir ce matin. À jeun, et après quinze jours d’interruption, ce fut un peu dur, mais enfin c’est reparti et c’est bon. Mon tatouage cicatrise à merveille, mon sein est un bon nid pour la chouette d’Athéna, elle y est heureuse comme je suis heureuse de sa présence (et je la fais voler aussi, en bougeant, en écrivant… elle vit avec les mouvements de mon corps, ma respiration…). Homère raconte mon nom, Alina Reyes, le nom de la nouvelle de Cortazar, où je l’ai trouvé, avec, comme le personnage de Cortazar, Dévor* en voyage transformé en mendiant, mais pas vraiment finalement puisqu’il y a une suite et qu’il redevient roi. Es la reina y, comme dit Cortazar : l’être flue.

*Pour celles et ceux qui n’ont pas lu ma note précédente, où je l’explique : Dévor, c’est le nom d’Ulysse dans ma traduction. Ma traduction qui doit parler à la société de dévorations en tous genres que l’humanité est devenue, et l’aider à s’en sortir.

alinareyes