Sales paroles, sales actes

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La mosquée d’Aix-les-Bains, incendiée le 8 janvier dernier. Les actes islamophobes ont augmenté de 110% au cours des deux dernières semaines

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Obama appelle l’Europe à mieux intégrer sa population musulmane, et à ne pas se contenter de répondre aux problèmes par la force. « Notre principal avantage, dit-il, est que notre population musulmane n’a pas de problème à se sentir américaine (…) Il y a certaines parties de l’Europe où ce n’est pas le cas. Et c’est probablement le plus grand danger auquel l’Europe doit faire face. » Faudra-t-il que les Américains refassent un « débarquement » sur nos plages pour venir au secours de l’Europe rongée par ses démons ? Le fait est que les chiens sont lâchés, et qu’ils sont décidés à sauter à la gorge, encore et encore, de tous ceux qu’ils perçoivent comme des étrangers s’approchant de la propriété privée de leurs maîtres – migrants violentés par la police (la même que les manifestants acclamaient le 11 janvier dernier à Paris), réfugiés internés, roms chassés, et concitoyens musulmans. Les sales actes étant accompagnés et soutenus par les sales paroles de nombre d’intellectuels. Chaque jour en apporte son lot. Aujourd’hui je lis qu’Alain Finkielkraut a déclaré sur Itélé que « l’islamophobie est la moindre des choses dans la situation actuelle ». Imaginons quelqu’un déclarer à la télé, quand Israël bombarde Gaza, que l’antisémitisme est la moindre des choses dans la situation actuelle ; ou bien, quand on rapporte la multiplication d’achats d’enfants illégalement nés de mères porteuses, que l’homophobie est la moindre des choses à l’heure actuelle. Etc. Personne ne pourrait se permettre de telles déclarations contre une partie de la population, mais contre les musulmans, elles se multiplient. Michel Houellebecq, en Allemagne où il est reçu en star (et où sévit le puissant mouvement islamophobe Pegida (lancé maintenant en France par l’écrivain Renaud Camus), qui a tué un réfugié musulman la semaine dernière), déclare que son livre n’est pas islamophobe (n’hésitant pas à se dédire puisque précédemment il avait déclaré « j’utilise le fait de faire peur » avec l’islam), mais qu’on a le droit d’écrire un livre islamophobe (remplacez islamophobe par antisémite et sachez que vous n’aurez jamais l’occasion de voir l’auteur d’un tel livre dans les médias). L’explosion des déclarations et des actes islamophobes n’empêche pas Michel Onfray de déclarer sur son blog que « la France est islamophile au-dedans ». Quelque part sur facebook, un internaute commente : « BHL, Finkielkraut, Onfray, ces « philosophes » sont un indicateur que la France est devenue fasciste ». Disons que si l’on ajoute à cette banalisation de la parole et des actes haineux et stigmatisants les alertes lancées par Amnesty International, Human Rights Watch et la Ligue des Droits de l’Homme contre les dizaines d’arrestations qui ont eu lieu ces deux dernières semaines pour « apologie du terrorisme », certaines suivies de plusieurs mois de prison ferme, comme pour ce débile léger ayant déclaré, ivre, que l’attentat à Charlie l’avait fait « bien rigoler », il y a en effet de quoi s’inquiéter de la pente sur laquelle ce pays est en train de glisser. Oui, le voilà, le plus grand danger. Le retour de l’antisémitisme qui vise aujourd’hui ces autres sémites que sont les musulmans, et qui jadis dirigé contre les juifs, conduisit l’Europe à la mise en œuvre du nihilisme total.

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De bonnes nouvelles malgré les troubles

À Brest, la mosquée a été recouverte d’une guirlande de cœurs par des habitants, de façon anonyme, en signe de fraternité avec les musulmans. L’opération a été reprise par l’association Coexister sur d’autres mosquées (17 dans 8 villes), comme à Clichy, au Kremlin-Bicêtre, à Angers, et sur la mosquée et la synagogue de Strasbourg.

Au Mans, deux prêtres sont allés spontanément « garder » la mosquée vendredi en se postant devant son entrée, dans la rue, pendant toute la prière.

La nationalité française a été accordée à Lassana Bathily, musulman malien qui avait spontanément mis à l’abri les clients de l’épicerie casher porte de Vincennes.

À Paris, une étudiante de l’École des Barreaux, agressée verbalement – parce qu’elle était voilée – par un avocat venu donner un cours de droit, a été soutenue par tous ses camarades. Le directeur de l’école a aussitôt congédié l’avocat hystérique.

À Paris, la manifestation islamophobe qui devait se tenir ce dimanche, organisée par Riposte Laïque en lien avec le mouvement allemand Pegida (qui a causé la mort d’un homme), a été interdite, suite aux appels du MRAP et de militants antifascistes.

Plus de 60 millions de Français ne se sont pas précipités pour acheter Charlie Hebdo, le dérisoire credo de ces temps.

La Cour Pénale Internationale ouvre un « examen préliminaire » à une enquête pour crimes de guerre israéliens l’été dernier en Palestine.

J’en oublie sûrement, et les mauvaises nouvelles sont plus visibles, mais bon, ce qui est bon est bon.

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Le chagrin des pauvres, et Charlie, au bout de sa morgue

Des morts. Des dizaines de blessés. Des manifestants en colère. Des drapeaux français brûlés. Tout ça pour quoi ? Était-il vraiment nécessaire de heurter les musulmans une fois de plus, ils ne souffrent pas assez dans ces pays, ils ne sont pas assez opprimés, il faut vraiment les enfoncer encore, du haut de notre prospérité ? Il fallait vraiment satisfaire l’orgueil des dessinateurs et autres revanchards, ça vaut plus que tout ? Plus que le chagrin des pauvres, plus que la vie ? Je l’ai dit, je ne considère pas que le blasphème doive être jugé par les hommes, mais ici en vérité c’est moins la question du blasphème qui est en jeu que celle de l’arrogance d’une petite bande d’Occidentaux, de Français ex-colons, qui s’arrogent le droit de se moquer, à travers leur Prophète, d’hommes et de femmes qui sont humiliés depuis très longtemps par les tribulations de l’histoire, particulièrement à vif en ce moment. Et nous aussi les Français nous sommes pris en otage par le petit jeu puéril et malsain d’une élite parisienne médiatico-intellectuelle pleine de mépris pour ce qui n’est pas comme elle, et qui ne veut pas voir plus loin que le bout de sa morgue, et s’obstine dans des attitudes et des agissements qui n’amènent que du malheur.

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La vie d’un homme ne vaut-elle pas celle d’un autre ?

Si un seul des caricaturistes de Charlie Hebdo avait été tué, l’émotion aurait été considérable aussi. Toute la presse en aurait parlé, toute la classe politique se serait emparée du sujet. Rappelons-nous par exemple l’émotion suscitée par l’assassinat de Daniel Pearl. Car ces assassinats sont aussi symboliques : à travers des dessinateurs de presse ou des journalistes, c’est la liberté d’expression qui est visée.

Au début de cette semaine à Dresde, un jeune réfugié érythréen et musulman a été poignardé à mort par des néo-nazis. La presse allemande et la presse britannique en parlent longuement, mais en France personne n’en parle. Ni les médias généralistes, ni même les médias musulmans (je n’en ai trouvé référence que sur une page d’antifas, Soyons sauvages). Cet assassinat n’est-il pas pourtant lui aussi hautement et dramatiquement symbolique ?

Pourquoi ce mutisme ? Les Français seraient-ils pris d’une frénésie de ne pas voir ? De se raccrocher, pour ou contre, à un seul mot d’ordre et de ne plus rien voir qui n’entre pas dans le cadre de ces œillères ? Nous avons beau chanter, ou refuser de chanter, la Marseillaise, nous ne pouvons pas, saisis par la peur malgré nos dénégations, nous replier sur nous. Il nous faut voir le tableau de plus loin. La montée des néo-nazismes dans toute l’Europe. Ne pas voir l’assassinat de Khaled Idris est un signe de xéno-indifférence, d’indifférence à ce qui ne touche pas directement la France, à ce qui ne semble pas nous toucher directement, de quelque bord que nous soyons dans ce drame. De la xéno-indifférence à la xénophobie, il n’y a qu’un pas. Ouvrons les yeux, toute l’Europe marche sur la même falaise, et le bord n’est pas loin.

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Contre le « délit de blasphème »

On ne peut blasphémer que Dieu, puisque lui seul est saint. Le blasphème est une affaire entre le blasphémateur et Dieu, elle ne regarde personne d’autre. Le blasphème ne peut faire aucun mal à Dieu – rien ni personne ne peut lui faire du mal -, il ne fait du mal qu’au blasphémateur – à lui de se débrouiller avec sa haine, son injure faite au principe même de la vie. Le blasphème n’a pas à être jugé par la justice des hommes. Il regarde la justice de Dieu, c’est tout.

Les caricatures ordurières du Prophète ne sont pas des blasphèmes, et si on considère qu’elles insultent Dieu à travers son Prophète, c’est une affaire entre le caricaturiste et Dieu, c’est tout. Ceux qui considèrent que Dieu a interdit de représenter les prophètes doivent aussi considérer que la transgression d’un tel interdit, comme le blasphème, est une affaire entre le transgresseur et Dieu, et non une affaire que les hommes doivent régler à la place de Dieu. Mais ces caricatures ne sont pas cela, ou pas principalement cela. Principalement, elles sont des injures faites, à travers la figure de Mohammed, sémite, arabe et prophète de l’islam, aux sémites, aux Arabes et aux musulmans.

Il s’agit là d’une affaire d’hommes. D’une incitation à la haine entre hommes. Et cela, les hommes doivent se charger de le réglementer et de le juger. Nos lois interdisent l’appel au racisme, ne le considérant pas comme liberté d’expression mais comme délit. Les régimes répressifs usent depuis longtemps des caricatures pour asseoir leur domination sur les peuples, en les divisant et en incitant les uns et les autres à la haine, soit agressive, soit défensive. C’est une manipulation qui fait aujourd’hui passer la caricature ordurière des musulmans pour une caricature religieuse. En réalité, nous sommes bien sur le terrain du politique, comme le prouve la montée des néo-nazismes un peu partout en Europe. Et c’est sur ce terrain que nous devons nous placer et demander justice.

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Un musulman poignardé à mort en Allemagne

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Khaled Idris, Érythréen vraisemblablement assassiné par des néo-nazis à Dresde, où des manifestations anti-islam se déroulent depuis octobre.

Lire l’article de l’AFP ici.

J’ai trouvé cette information cette nuit. La presse anglo-saxonne en parle abondamment (voir par exemple l’un des articles du Guardian), mais la presse française se tait. Sujet trop sensible ?

Liberté d’information, où es-tu passée ?

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voir aussi : La vie d’un homme ne vaut-elle pas celle d’un autre ?

Quelques nouvelles du front

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Christiane Taubira estime qu’en France on a tout à fait le droit de représenter Mohammed comme le fait Charlie Hebdo, de façon ordurière ou en tête de bite comme sur sa dernière Une à cinq millions d’exemplaires. Mais elle a trouvé normal que Minute soit condamné à 10 000 euros d’amende pour l’avoir qualifiée en Une de « maligne comme un singe ». Mohammed ne vaudrait-il pas Christiane ? C’est ce que pense, apparemment, l’intelligentsia de notre beau pays.

A-t-on jamais stigmatisé les Basques dans leur ensemble parce que quelques-uns d’entre eux posaient des bombes ? A-t-on jamais stigmatisé tous ceux qui votent soit à droite soit à gauche parce que certains groupuscules d’extrême-droite ou d’extrême-gauche ont commis des attentats terroristes ? Non : si on stigmatise les musulmans, c’est par racisme.

Le pape, le patriarche des Coptes et le patriarche de l’église latine de Jérusalem se sont déclarés, plus ou moins directement, contre les caricatures du Prophète par Charlie Hebdo.  Il faut apprécier la parole de ces chrétiens qui parlent pour une affaire qui touche en ce moment les musulmans, mais le blasphème n’est pas interdit dans notre pays, qui respecte la liberté d’expression. Par contre l’incitation à la haine, le racisme et l’antisémitisme ne sont pas considérés comme liberté d’expression mais comme délits. Il faut donc montrer qu’en fait il s’agit de racisme, que ce sont les musulmans qui sont visés via le Prophète ou directement, et c’est là qu’il faut combattre, puisque le droit est de ce côté. Encore faut-il que les pouvoirs publics reconnaissent la nécessité de le faire respecter.

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Valeurs Actuelles, autre champion de l’islamophobie, ne veut pas être en reste en ces temps où l’on ne parle que de Charlie. Le magazine a donc publié sur son site une vidéo où l’on apprend cette chose affreuse et terrifiante : dans la bibliothèque de l’Institut du monde arabe, il y a plein de livres de la culture islamique !!! Les grands livres de la tradition musulmane s’y trouvent, y compris les traités de droit ou charia. Ah mon Dieu, ils auraient dû créer une section Enfer pour les y mettre, comme on faisait jadis pour les ouvrages pornographiques ! Et il faudrait penser aussi à expurger la Bibliothèque Nationale de tous les livres d’auteurs dont la pensée ne nous semble pas correcte. Allez, un grand autodafé ! Et vive la liberté d’expression !

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… j’ai trouvé les images sur la page fb de Julien Salingue