Iliade, chant IV, v.422-456 (ma traduction) : la guerre

La splendeur continue. Je vous laisse entendre :

*

Quand, sur la rive, le flot marin aux mille bruits, par vagues
Sur vagues, se soulève, ébranlé par le Zéphyr,
D’abord il enfle en haute mer, et ensuite se brise
Sur la terre ferme en grondant sourdement, et contre un cap
Dresse sa crête courbe à l’écume salée, qu’il crache ;
Ainsi, bataillons sur bataillons, les Danaens, sans trêve,
S’ébranlent vers la guerre, chacun aux ordres de son chef ;
Les autres vont en silence, et l’on ne dirait pas
Qu’ils sont si nombreux, avec dans la poitrine une voix ;
Par crainte des chefs ils se taisent ; autour de tous brillent
Les armes rutilantes revêtues pour marcher en ligne.
Les Troyens, eux, comme les brebis à l’étable d’un riche
Se tiennent par myriades quand on trait le lait blanc,
Poussant à l’appel de leurs agneaux d’incessants bêlements,
Les Troyens, de même, élèvent leur vacarme incessant
Par leur vaste armée : tous n’ont pas même langue ni accent,
Et ils mêlent leurs langages, venant de pays divers.
Arès anime les Troyens, Athéna aux yeux de chouette
Les Argiens, avec Terreur, Panique, et Discorde aux fureurs
Acharnées, du meurtrier Arès la compagne et la sœur,
Qui d’abord se dresse peu, et qui ensuite a la tête
Enfoncée dans le ciel, tandis qu’elle marche sur la terre ;
Encore elle vient, de même pour tous, jeter la querelle
À travers la foule, faisant enfler la plainte des hommes.
Bientôt ils arrivent à la rencontre les uns des autres,
Heurtant leurs cuirs, leurs lances, et leurs colères d’hommes
Cuirassés d’airain ; les boucliers bombés s’entrechoquent,
Un énorme tumulte s’élève. Des lamentations
Et des cris de triomphe montent de ceux qui se font
Tuer et de ceux qui tuent ; le sang coule sur la terre.
Comme les torrents dans la montagne, gros des pluies d’hiver,
Affluent et mêlent dans la vallée leurs eaux puissantes,
Jaillies du creux d’un ravin aux sources abondantes –
Le berger dans la montagne entend leur fracas à distance –
Ainsi de la mêlée montent les cris et les souffrances.

Iliade, IV, 273-282 (ma traduction) : 10 des 15 693 rangs armés du poème

Il arrive aux Ajax, en traversant les guerriers en masse ;
Une nuée de fantassins les suit, ils passent leurs armes.
Comme un chevrier, du haut d’un rocher, perçoit un nuage
Arrivant sur la mer au souffle du Zéphyr, et le voit
Apparaître de loin plus noir encore que la poix,
Avançant sur la mer, amenant une forte tempête –
Tremblant à sa vue, il pousse dans une grotte ses bêtes ;
Ainsi avec les Ajax s’avancent au ruineux combat
De robustes nourrissons de Zeus en bataillons serrés,
Sombres, hérissés de lances et de boucliers.

sans rival parmi les mortels (Iliade, III, v. 217-224, ma traduction)

Il restait là, debout, les yeux baissés, fixés à terre,
Sans mouvoir son sceptre ni en avant ni en arrière,
Le tenant immobile, avec comme un air stupide ;
Il semblait être en colère, ou avoir perdu la tête.
Mais quand sa grande voix sortait de sa poitrine,
Avec des mots pareils à des flocons de neige en hiver,
Aucun mortel avec Dévor ne pouvait rivaliser,
Et ce que nous admirions en lui n’était plus sa beauté.

Le catalogue des vaisseaux

« L’illustre Hippodamie sous Piritoos le conçut,
Le jour où ce dernier punit les Monstres velus. »
Homère, Iliade, II, 742-743 (ma traduction)

Comment ne pas être absolument réjouie en traduisant Homère ? J’en suis au fameux « catalogue des vaisseaux », où le poète expose, en centaines de vers, les forces grecques et troyennes en présence. Comme tout catalogue, fût-il signé d’Homère, ce n’est sans doute pas le plus intéressant à traduire, et pourtant il recèle d’innombrables perles. Et je lui accorde le même soin qu’au reste du poème, et je m’en réjouis autant.

Par ailleurs ce catalogue des vivants me rappelle celui des morts, que j’ai traduit dans l’Odyssée, lors de la descente aux enfers ; il s’agissait là de quelques dizaines de vers seulement, et l’exposé était différent, mais entre les deux on peut voir une béance, qui est celle de l’histoire, que pourraient résumer ces deux vers plus haut cités.

J’aurai terminé de traduire ce long deuxième chant ce soir ou demain matin. Je me sens comme ces chefs tirant sur l’eau une longue suite de vaisseaux, et ces vaisseaux sont des mots.

Athéna guerrière : Iliade, II, 445-458 (ma traduction)

Autour de l’Atride, les rois nourrissons de Zeus s’élancent
Pour ranger les hommes, avec Athéna aux yeux brillants,
Portant la précieuse égide, incorruptible et immortelle,
Dont les cent franges toutes d’or voltigent dans le vent,
Bien tressées et valant cent bœufs, chacune d’elles ;
Apparaissant soudainement, elle parcourt les rangs,
Les poussant à marcher ; dans chaque torse, la déesse
Fait se lever le cœur de combattre et lutter sans trêve.
Et tout d’un coup, leur devient plus douce la guerre
Que le retour, sur les nefs creuses, au pays de leurs pères.
Comme un feu aveuglant consume une immense forêt
Au sommet d’une montagne, et qu’au loin brille sa lumière,
Ainsi dans leur avancée l’éblouissante clarté
De l’airain merveilleux monte au ciel à travers l’éther.

*

La beauté terrible de l’Iliade remplit d’indicible.

Virgile et Lucifer

« Dis les vers du Ménale, ma flûte, avec moi.
Le Ménale a ses forêts et ses pins qui parlent,
Toujours, il écoute les amours des bergers,
Et Pan, qui fit parler les roseaux en premier.
Dis avec moi, ma flûte, les vers du Ménale. »
Bucoliques, VIII, 21-25

Un chant à la tonalité sombre, que j’ai commencé à traduire hier et fini ce matin. L’enchanteur Virgile connaît aussi les forces obscures et les égarements morbides de l’esprit et de ce qu’on nomme parfois l’amour. Poète total, comme tout vrai poète. Chant d’envoûtement, d’encerclement, aux refrains obsédants, placé sous le signe de Lucifer, qui est en latin le nom de l’étoile du matin, « porteuse de lumière », autrement nommée Vénus, mais qui a bien ici la tonalité maladivement ambiguë que nous connaissons à l’adjectif luciférien.

Ne me reste plus qu’à traduire les deux derniers chants pour avoir une vue d’ensemble du tableau saisissant peint par Virgile dans cette œuvre plus complexe qu’il ne pourrait y paraître.

Virgile, Bucoliques, églogue 3 : la joute poétique (ma traduction)

J’avais donné, toujours au fur et à mesure de ma traduction, le début de la première églogue, puis la deuxième en entier, et voici maintenant, de la troisième, un large extrait : celui de la joute poétique qui suit la dispute des deux bergers poètes, assis dans la prairie, réglant leurs différends à coups de vers dont les habituelles traductions en prose rendent mal la vivacité et la virtuosité – j’ai fait de mon mieux, devant souvent terminer mes alexandrins par des assonances plutôt que par des rimes, mais enfin l’idée est là.

*

DAMÉTAS

Premier, Jupiter ; tout est plein de Jupiter :
Il veille sur les terres ; il a soin de mes vers.

MÉNALQUE

Moi, Phébus m’aime ; toujours chez moi du laurier,
Des présents pour lui, l’hyacinthe douce et pourprée.

DAMÉTAS

Galatée, la jeune enjouée, me jette un fruit,
Et voulant être vue, vers les saules s’enfuit.

MÉNALQUE

Amyntas, ma flamme, à moi s’offre de lui-même :
Mes chiens ne connaissent mieux Délie elle-même.

DAMÉTAS

J’ai des présents tout prêts pour ma Vénus : je vis
Où d’aériennes palombes firent leur nid.

MÉNALQUE

J’ai envoyé au garçon dix pommes dorées,
Lui enverrai dix autres cueillies en forêt.

DAMÉTAS

O que de mots Galatée m’a dits, et quels mots !
Vents, aux oreilles des dieux, n’en touchez-vous mot ?

MÉNALQUE

Pourquoi m’aimer si, toi chassant le sanglier,
Amyntas, moi je reste à garder les filets ?

DAMÉTAS

Envoie Phyllis, Iollas, c’est mon anniversaire ;
Viens, toi, quand je sacrifie aux fruits de la terre.

MÉNALQUE

Phyllis, ma préférée, pleurait quand je partais,
Répétant « Adieu, Iollas, adieu, ma beauté. »

DAMÉTAS

Triste aux bergeries le loup, aux moissons le givre,
Aux arbres le vent, à moi d’Amaryllis l’ire.

MÉNALQUE

Doux l’humide aux semis, l’arbousier aux chevreaux
Le saule aux brebis, Armyntas à mon propos.

DAMÉTAS

Pollion aime, quoique rustique, notre Muse :
Paissez une génisse pour qui vous lit, Muses.

MÉNALQUE

Pollion fait des vers nouveaux : paissez un taureau
Déjà cornu, levant le sable du sabot.

DAMÉTAS

Qui t’aime, Pollion, vienne où tu te réjouis :
Que le miel coule, et pousse l’amome pour lui.

MÉNALQUE

Qui ne hait Bavius, qu’il aime, Mévius, tes vers,
Attelle des renards, trouve des boucs à traire.

DAMÉTAS

Vous qui cueillez des fleurs, des fraises nées à terre,
Fuyez, enfants ! un froid serpent caché sous l’herbe.

MÉNALQUE

Gardez-vous, brebis, de trop avancer : la rive
N’est pas sûre, le bélier, encor, s’y lessive.

DAMÉTAS

Tityre, éloigne les chèvres de la rivière :
À temps, je les laverai à la source claire.

MÉNALQUE

Groupez les brebis, enfants : si leur lait tarit
Sous la chaleur, nous presserons en vain leur pis.

DAMÉTAS

Hélas ! combien maigre est au pré gras mon taureau !
Même amour est ruine du pâtre et du troupeau.

MÉNALQUE

Eux – l’amour n’en est cause – n’ont plus que leurs os :
Je ne sais quel œil fascine mes doux agneaux.

DAMÉTAS

Dans quels pays, dis – tu seras mon Apollon –
Le ciel ne dépasse pas cinq mètres de long.

MÉNALQUE

Dans quel pays, dis, poussent des fleurs où s’inscrit
Le nom des rois – et tu auras pour toi Phyllis.

*

ici une traduction de l’églogue entière, en prose

à suivre !