Parole de l’Épée

Hier soir, rue de la Clef, Paris 5e. Photo Alina Reyes

 

J’ai songé hier : comme si on demandait à un ancien déporté de retourner vivre à Auschwitz, en lui assurant que le camp a été bien réaménagé. Pourtant je l’ai fait. Ces deux ou trois dernières années de communication souterraine par Internet et autres, communication pleine de mensonges, de pièges, de manipulations, de perversions, de falsifications des relations humaines, ont été des années du mal, dans la continuité du mal que j’avais déjà dû combattre auparavant et auquel on s’était encore donné. Toute cette stratégie était, est une stratégie du mal, contribuant à étendre le mal parmi les hommes. C’est parce que je sais qu’elle ne concerne pas que ma personne, qu’elle est courante et fait d’innombrables victimes dans le monde et dans l’Église, que, au lieu de m’en retirer, je suis allée au front pour la combattre et la dénoncer, révéler sa mauvaiseté aux yeux mêmes de ceux qui la pratiquaient. Je ne pense pas avoir réussi. Je crois qu’ils demeurent pour la plupart et en grande partie convaincus du bien-fondé de faire le mal en vue d’un prétendu bien. Je crois que j’ai échoué à convertir leur regard, j’ai échoué pour ce temps, leur temps, mais pas pour l’avenir. Parce qu’il faut du temps à l’homme dénaturé, souvent plusieurs générations, avant de pouvoir retrouver le sens du vrai. Mais finalement cela se fait.

J’ai rêvé cette nuit que, au camp de concentration, je descendais par une gaine d’aération, en une longue descente, en sautant de palier en palier. Puis je me mettais sous une nappe, et les gardes-chiourme me prenaient pour un paquet de linge sale. Ensuite j’étais dans un train, regardant filer le paysage et cherchant quelle serait la façon la plus juste de représenter la Trinité, en indiquant bien la place respective des trois Personnes en Dieu, et l’Unité absolue de Dieu, en lui seul à la fois Créateur, Rédempteur et Sanctificateur. Puis je me mettais à peindre.

Ce que l’homme doit faire, c’est répondre à l’appel, répondre à sa vocation. Ce qu’il doit savoir c’est qu’il lui faudra pour cela refuser de s’acquitter de faux devoirs, mais aussi renoncer à accomplir certains devoirs qui sont plus que des devoirs. Dieu a besoin, pour le servir, d’hommes qui acceptent de vivre avec une épine dans la chair, et plus que cela même, avec une épée dans le cœur. Une épée qui ouvre la voie à la vie éternelle, pour tous ceux qui veulent écouter sa parole et la suivre.

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Reflets

une vieille vitrine en face de la Mosquée de Paris. Photo Alina Reyes

 

Le changement c’était ce matin. Ils sont partis, grande fille à cheveux longs et pattes d’éph, et son petit voyou de mari à rolex. Ils sont arrivés, monsieur tout le monde et madame petite bourge à mise en plis. Voies impénétrables du progressisme.

Il a mis en garde contre l’antisémitisme, mais pas contre l’islamophobie ni contre la christianophobie. Il n’y a qu’à dire que nous trois, fidèles des religions apparentées au Livre, sommes en quelque sorte tous des sémites d’origine. Et qu’il a voulu nous protéger tous de ceux qui n’aiment pas ceux qui aiment Dieu. Non, ce n’est pas vraiment ça ?

Ce matin pendant que tout le monde dormait j’ai écrit une scène d’orage. À midi en ouvrant ma boîte gmail j’ai découvert que le fond en était changé en ciel d’orage. Et maintenant voici qu’il est redevenu bleu et blanc, sur ma boîte mail et en vrai, à ma fenêtre. C’est sur celui-ci que nous pouvons compter, le vrai ciel, bon à en manger.

 

Passants

Paris, 13e. Photo Alina Reyes

 

Tout passe, Dieu incarné le premier. Ce qui est faux tombe dans la mort et n’en sort que pour la deuxième mort. Ce qui est vrai, même éphémère, est éternel. Principe de la Résurrection : le vrai et l’éphémère sont les conditions du passage dans l’éternel. Rapport trinitaire entre le Principe, l’Incarnation et le pouvoir-action de l’Esprit.

Le faux est éphémère parce qu’il est faux, donc non viable, mortel. Le vrai peut être éphémère en tant qu’épiphanie, expression dans un temps donné de l’immuable qui tout en devenant et donc se transformant, trouvant expression dans une autre forme et un autre temps, demeure.

L’homme doit apprendre à reconnaître et vivre le vrai, donc l’éternel, dans l’éphémère de sa condition et de son existence. À savoir qu’une union vraie est à jamais vivante, même si elle paraît rompue selon les bornes de la loi ou du regard social. « Ils ne furent plus qu’une seule chair » : il suffit d’une fois, l’union est inscrite dans l’éternité, et doit être respectée à ce titre. De même l’art éphémère, chant, danse, peinture du corps, street art, œuvres de sable… exprime avec puissance l’éternité. Justement par son refus de s’inscrire dans une durée capable de dépasser la vie humaine mais nécessairement limitée malgré tout par le temps, nécessairement inscrite de façon corruptible sur des supports corruptibles. L’art tente de lutter contre la corruptibilité, tout en sachant qu’il n’y parviendra pas, que même d’habiles restaurations ne lui rendront pas la vie éternelle. Une restauration, quel que soit le domaine dans lequel elle a lieu, est de l’ordre de la renaissance, non de la résurrection. C’est la grandeur de l’art, de tenter la traversée des siècles. Mais l’art éphémère, s’il est souvent moins grand art, est plus grand seigneur, dans le sens où il fait fi de l’aspiration humaine de se dépasser soi-même, pour se soumettre entièrement à la transcendance qui le dépasse et à laquelle il fait don gratuitement de soi, sans désir de s’inscrire dans une « éternité » humaine, mais en révélant dans un jaillissement son oui à notre condition, ce oui qui est seul capable en vérité de la dépasser.

 

Fête

Paris, 13e arrondissement. Photo Alina Reyes

 

J’aime le vent, la pluie, la fête,
l’annonce de l’heureuse tempête.
Les eaux montent aux rivages du monde,
lumineuses, poissonneuses, salées
comme les oiseaux blancs qui crient
de plaisir, suspendus et surfant
au-dessus de l’immensité enceinte,
cité grosse de vie. Alertés par ils ne savent
quoi
des passants un instant hésitent
et le bord des trottoirs se met à ressembler
au creux de la vague qui de très loin approche.
Sortez des maisons de vos pères, enfants, femmes et hommes !
Courez joyeux aux carrefours, retrouvez-vous
debout sous les voiles liquides, que vos têtes,
que vos paumes levées reflètent
la lumière et déploient le nouvel arc-en-ciel.