Regarde le ciel

Je pense tous les jours à mes élèves. Je leur dédie la note de ce jour.

tag regarde le ciel

La plainte stupide déposée contre moi a été classée sans suite. Tout de même, le droit existe et la censure a ses limites. Je voudrais savoir comment vont se sentir certain.e.s profs de lettres lorsqu’il va leur falloir parler de la cabale des dévots contre le Tartuffe – toutes proportions gardées entre Molière et moi, mon affaire et la sienne, sa pièce et mon blog, son génie et le mien. J’ai pris ces photos, dans l’ordre où elles apparaissent, entre la bibliothèque et le commissariat, puis au retour du commissariat. La grâce ne démissionne jamais, encore faut-il savoir bouger un peu la tête et les yeux.

ailes

oiseau pecheur

coeur et filles

arc en cielaujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes

*

Mêler les sangs

vaguesHier, après être revenue sur L’homme qui plantait des arbres puis leur avoir passé et commenté Le vieil homme et la mer, j’ai dit à mes douze élèves de Seconde (ceux qui ne sont pas partis en classe de ski) que j’étais écrivaine et qu’ils pouvaient me poser des questions. Nous y avons passé une petite heure, puis l’un d’eux m’a demandé un autographe… sur son exemplaire de Dom Juan. Voilà qui m’a plu, c’était mêler un peu de mon sang à celui de Molière. Vivent les noces !

Le soir il m’a fallu exactement trois heures pour revenir du lycée. Les perturbations sur les lignes sont monnaie courante. Comme, le matin, j’avais mis deux heures (la moyenne « normale ») pour y aller, j’ai donc passé cinq heures dans la journée dans les transports en commun. Personne ne peut travailler à la fois bien et longtemps dans ces conditions, ni sans y perdre la santé. Certains de mes collègues me disent que je n’avais qu’à déménager là où j’ai été placée. Mais alors ce serait aux trois personnes avec lesquelles je vis de passer quatre à cinq heures par jour dans les bus, RER, métro et autres transiliens pour se rendre à leur travail et à leurs études, à Paris ? La situation est impossible dans tous les cas. La faute en est à l’Éducation nationale, qui n’avait qu’à m’envoyer plus près de chez moi, dans l’académie de Créteil qui manque aussi cruellement de profs, mais cette grosse machine est impotente, tant dans son organisation que dans sa pédagogie (« Aujourd’hui Camus est mort » ai-je lu hier sur le compte twitter d’une prof réfractaire -je ne suis pas la seule- avec ce lien vers cet article désespérant qui donne des envies de distribuer de grandes baffes réveilleuses mais qui enchanterait les profs de l’Espé en supprimant la littérature de leur enseignement et avec elle, toute question profonde sur le sens des textes. Ma tutrice, à l’Espé : « on ne peut pas laisser dire que l’Arabe dans L’Étranger de Camus n’a pas de nom ». Moi : « c’est pourtant la vérité ». Elle : « mais ça aurait l’air de dire que Camus était raciste ». Une prof de lettres, chargée de former d’autres profs de lettres. On en est là). (De même l’un des Dalton de l’académie, l’autre jour, quand je lui ai dit que j’étais épuisée par les trajets inhumains qui m’étaient imposés : « je ne peux pas vous laisser dire ça, l’académie est très soucieuse du bien-être de ses employés ». Le credo de ces gens est décidément de ne pas laisser dire. « Si je croise ce type, je lui fous mon poing dans la gueule », me dit mon compagnon. « Pour moi, il n’y a pas de différence entre ces gens-là et des salopards de fascistes », ajoute-t-il, connaissant bien la façon dont s’est comportée la fonction publique sous l’Occupation.)

J’écris avec mon sang, celui de Molière et de tant d’autres auteurs, le sang du poète, le sang du témoin qui traverse les âges, toujours vivant dans tous ses visages, toujours présent, toujours parlant.

*

« Tout flue »

mosaique 3

mosaique 2

mosaique 1

*

Alors que je prépare, comme je l’ai fait pour mes Seconde, le récapitulatif du travail que j’ai accompli avec mes Première, ma colère contre l’Éducation nationale monte autant que les eaux de la Seine, mais elle va redescendre en même temps puisque lundi sera mon dernier jour de prof. L’autre soir, une scène dans une série allemande, Dark, m’a laissée rêveuse au point que je fus tentée de la repasser en boucle : on y voyait un prof de lettres expliquant à une classe de lycéens le sens profond d’un texte de Goethe (une profondeur de sens telle que, j’en ai fait l’expérience, les profs de l’Espé n’en ont pas la moindre idée), et les élèves écouter et prendre des notes par eux-mêmes, sans qu’il soit nécessaire de les encadrer comme des attardés (dans l’infantilisation des élèves et des profs de la pédagogie française). Bon, c’était un film et j’ignore si cela se passe réellement comme ça en Allemagne, mais j’ai des témoignages directs de collégiennes françaises qui ont étudié en Angleterre et vous récitent à n’en plus finir, enthousiastes, des vers de Shakespeare, ayant à quatorze ans, à l’âge où en France les élèves sont encore invités à « étudier » en classe des livres « jeunesse », étudié à fond dans leur high school une pièce entière de Shakespeare, dans tous ses détails et avec tous les sens profonds que l’on peut y trouver et dont elles parlent avec émerveillement. L’une d’elles se retrouvant cette année, à quinze ans, en Seconde dans un lycée français, s’y ennuie au point de songer à quitter l’école pour étudier seule plutôt que de continuer à subir le bas niveau (en sciences aussi) qu’elle y constate, par comparaison avec ses années précédentes d’études en Finlande puis en Angleterre. De même qu’on a fait voir aux Seconde de mon lycée un spectacle « théâtral » fait d’un pot-pourri de Maupassant, sa classe a assisté à un spectacle théâtral d’un pot-pourri de Molière : symptômes de la destruction du sens qui règne dans l’enseignement français. Elle a même dû protester contre l’affirmation du responsable de la troupe, qui prétendait que contrairement à Molière, Shakespeare n’avait pas écrit en vers. Tout cela est infiniment triste.

Mais tout flue, comme disait Héraclite, et demain, après-demain et les jours suivants seront d’autres jours.

la garde de nuit

pierres

mouffetard 4

mouffetard 2

mouffetard 1

mouffetard 3hier et aujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes

*

Faillite de l’Éducation nationale

vu du Transilien, avant-hier en allant au rectorat, photo Alina Reyes

vu du Transilien, avant-hier en allant au rectorat, photo Alina Reyes

*

Le problème n’est pas la suppression du bac ou la sélection à l’entrée de l’université. Le problème est de savoir comment des élèves sont parvenus, comme les miens, en Seconde générale ou en Première technologique, en croyant dur comme fer que Molière est un auteur de romans (ils sont nombreux à le croire, et vous avez beau les détromper, ils continuent à le dire, ne comprenant absolument pas la différence entre roman et théâtre, vous expliquant que puisqu’il a fait des livres, c’est un romancier), ou que Molière est un auteur qui a vécu « il y a quelques années » (écrit très sérieusement dans un commentaire de texte), ou encore « au Moyen Âge », etc. Je ne vais pas recenser ici des perles, je n’aime pas du tout ce principe, je donne seulement un ou deux exemples pour faire comprendre l’ampleur du problème – en orthographe aussi c’est la catastrophe : qu’a compris de sa langue un élève qui écrit « ne ceresse que » ? Comment se fait-il que certains lycéens, y compris comme je l’ai observé en Seconde générale ou bien l’année où ils doivent passer le bac de français, sachent à peine lire et écrire, soient incapables de lire un texte de plus d’une page, et même parfois comprennent tout le contraire de ce que dit un texte d’une page écrit dans une langue simple ?

Le problème est que la sélection à l’entrée de l’université arrive là comme un pansement sur une jambe de bois. Puisqu’on a été incapable de donner une base correcte, une instruction moyenne, à tous les élèves, le diplôme obtenu aux alentours de 90% ne signifie plus rien et l’impossibilité de suivre un enseignement supérieur doit être sanctionnée par une autre sélection. Le problème est d’empirer le problème en le cachant sous le tapis, au lieu de s’atteler à le traiter, et à éduquer chaque enfant comme il mérite de l’être, comme la société doit le faire si elle ne veut pas régresser et sombrer.

Durant ma courte mais intense vie de prof, je me suis engagée corps et âme pour, tout en suivant les programmes, commencer à apprendre aux élèves ce qu’on ne leur apprend pas : à réfléchir par eux-mêmes. Leur apprendre à réfléchir, c’est leur donner les moyens de comprendre et de progresser. Mais j’ai pu constater au lycée comme à l’Espé, l’institution qui forme les profs, que ce principe en est complètement absent : l’intelligence des profs est elle-même bridée, voire sanctionnée. L’Éducation nationale est un univers concentrationnaire de la pensée. En tout cas pour ce qui est de la littérature, on l’y assassine. Tout est rangé en cases, rien n’a de sens. Malheureusement, la preuve en est faite tous les jours, tant sur le terrain que dans les études qui pointent la dégringolade des résultats de l’école française par rapport à celle des autres pays.

C’est pour avoir fait ce constat et pour avoir lutté contre les mauvaises pratiques et pour une autre vision de l’enseignement que j’ai été sanctionnée, tant dans mon lycée qu’à l’Espé où je me suis opposée à l’infantilisation qu’on voulait m’imposer, nous imposer – par les voies hypocrites et sournoises de petites vexations, abus de pouvoir, refus de dialogue… C’est ainsi que, faute de pouvoir me répondre sur le fond, des tutrices, des collègues ou le proviseur ont établi des rapports mensongers sur mon compte, afin de me faire passer, auprès de la hiérarchie comme parfois auprès des élèves, pour une enseignante qui ne faisait pas son travail. Sans me décourager, j’ai demandé un entretien à l’académie afin de pouvoir rétablir quelques faits dans leur vérité et surtout m’expliquer sur ma façon d’enseigner. Me disant parfois que si les tuteurs et autres responsables auxquels j’avais eu affaire jusqu’à présent n’étaient pas bien malins, c’est qu’ils avaient justement été choisis pour cela, pour leur conformisme, leur absence de pensée, qui les rendait dociles à l’administration ; mais qu’au sommet il se trouvait peut-être tout de même des gens un peu plus intelligents. J’ai pu constater qu’il n’en était rien ; non seulement j’ai dû endurer leurs incessants reproches et leurs sermons en langue de béton, mais à aucun moment je n’ai pu m’expliquer sur ma pédagogie. Ils ne veulent rien en savoir. Celle qui sort du rang doit être condamnée, c’est tout.

Comment ces personnes peuvent-elles être à ce point fermées et soutenir une institution tellement en faillite ? Il faut peut-être relire Le Conformiste d’Alberto Moravia, ou simplement se souvenir de l’attitude de l’administration française, de la fonction publique, sous l’Occupation. Banalité du mal, comme dit Arendt. Les racines du mal sont toujours vivaces, et prêtes à injecter leur poison dans toute une société.

Instruisons nos enfants, tous nos enfants. En leur apprenant à penser. À être libres.

*

Face à l’Inquisition : ça a chauffé

le terrifiant dino,« Le terrifiant dino » (de béton) du jardin des Plantes, photo coloriée Alina Reyes

*

Un grand inquisiteur et deux grands prêtres – je devrais peut-être dire plutôt trois minipapes – de l’Académie me faisaient face, rangés comme les Dalton. Le grand sec, avec une régularité de bétonneuse tournant sur elle-même, a débité sa langue de béton et ses menaces, régulièrement tout au long de l’heure, suivi des deux autres, tâchant eux aussi de protéger l’Éducation nationale comme si je la mettais en danger de mort. Comme je leur tenais tête, et fort vigoureusement ma foi, le béton qui coulait du grand Dalton a fini par tomber tout effrité : « Je ne pensais pas que c’était à ce point… votre comportement… » « Eh bien, qu’a-t-il donc, mon comportement ? » lui ai-je dit. Mais aucun dialogue n’était possible, ils ne savaient que me resservir, tour à tour, le plat froid de leur discours tout fait, que je refusais de manger. À la fin, déjà debout, je leur ai dit tranquillement qu’il était dommage qu’ils ne soient pas plus ouverts à la discussion. Le grand inquisiteur m’a répondu par une énième menace d’action juridique, ajoutant : « Nous attendons que vous vous comportiez en fonctionnaire responsable et éthique. » « Faites-le donc vous-même, lui ai-je dit, au lieu de menacer ainsi les gens. Vos menaces ne m’impressionnent pas. »

Je suggère à l’Éducation nationale d’interdire aux écrivains l’accès aux concours de l’enseignement. Il y en a de plus dociles ou de moins turbulents que moi, mais c’est quand même risqué. Car le grand souci de ses curés s’est révélé être ce blog. Certes j’ai ma liberté d’expression MAIS. Mais je n’ai paraît-il pas le droit de dénigrer la fonction publique. Ne parlai-je pas il y a quelques jours de totalitarisme ? Bien entendu il s’agit d’intimidation, il reste quand même en France quelque chance de tomber sur des tribunaux qui ont le sens de la démocratie. N’empêche, cette séance d’intimidation hallucinante valait le détour. Il faut le vivre pour savoir ce qu’il en est, du fonctionnement de ces gens. Et comme tout le monde ne peut pas le vivre, je le partage volontiers.

Le clou fut, dans les dernières minutes, le moment où ils me reprochèrent d’avoir signé la feuille de présence hier à l’Espé du mot « Adieu ». HAHAHA ! Hier je n’y étais pas, et j’envoie des bisous à la plaisantine ou au plaisantin qui par cet acte s’est rendu.e complice de mes affreux blasphèmes envers nos bons maîtres.

*