Poisson d’amour et monde d’après, maintenant

"Poisson d'amour", acrylique sur bois, 50x50 cm

« Poisson d’amour », acrylique sur bois, 50×50 cm


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Peignant ce matin mon « Poisson d’amour » à la peinture dorée, la capuche sur la tête (il faisait frais), après mon yoga et dans la paix de ma musique de méditation, j’ai songé que j’étais comme un moine en train de peindre une icône, c’est-à-dire d’écrire, les icônes étant considérées comme une forme d’écriture. En tout cas la peinture est un exercice spirituel. Plus elle l’est, plus elle peut atteindre la grandeur. Il y a de grandes peintures qui sont peu spirituelles, comme celles de Picasso, que j’aime moins depuis que j’aime mieux la grande peinture spirituelle, comme celle de Jean-Michel Basquiat. Le vingtième siècle a mieux compris l’art peu spirituel, ou n’a pas bien compris l’art spirituel, mais le vingtième siècle est derrière nous et nous pouvons le relire autrement qu’il ne l’a été par ses contemporains.

Il y a aussi des peintures spirituelles qui ne sont pas grandes d’un point de vue artistique, peut-être parce qu’elles sont comme la poésie, qui, comme le dit Yves Bonnefoy en parlant de Rimbaud, n’est pas de l’art, mais autre chose. Il est temps de passer à autre chose. J’écoute de la musique nuit et jour.

Un très beau texte de Bonnefoy sur Rimbaud, qui parle aussi bien d’aujourd’hui :

Tags de déconfinement

Ma « parole du jour » est à ces quelques tags que j’ai photographiés dans Paris depuis avant-hier, jour du déconfinement, et qui sont en effet à méditer pour déconfiner le vieux monde. (Le correcteur souligne en rouge déconfiner chaque fois que je l’écris, il ne connaît pas encore le mot, un néologisme que j’ai d’ailleurs inventé la première le 22 mars dernier – invention bien simple et qui tombait à point.
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Extérieur jour : explorer, expérimenter

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Aujourd’hui à vélo jusqu’au bois de Vincennes, où nous avons roulé dans les sentiers sous les arbres et passé un joli moment au bord du lac. Photos Alina Reyes

bakasanaJe suis encore tombée sur la tête en faisant bakasana, la posture du corbeau, mais cette fois j’ai tenu nettement plus longtemps que la dernière fois que je m’y suis exercée. Je me suis exercée aussi ce matin à sirsanana, la posture sur la tête, que je fais pour l’instant avec un pied contre le mur, jambe encore à l’oblique, l’autre en l’air, déjà près de la verticale. Ce sont des postures auxquelles je me suis très peu exercée jusque là, mais le travail d’autres postures au yoga m’aide à mieux les approcher. prasarita-padottanasanaJe pose maintenant aisément ma tête au sol dans la posture des pieds écartés, prasarita padottanasana, où je compte m’améliorer encore. demi-roueJe m’entraîne depuis peu, de temps en temps, au grand écart latéral, et aussi à la roue, que je fais pour l’instant seulement sur la tête (demi-roue, ardha chakrasana), car depuis mes opérations chirurgicales je dois être prudente avec mon bras droit. Je continue à pratiquer chaque jour sarvangasanala chandelle, sarvangasana halasanaet la charrue, halasana, entre bien d’autres asanas, postures d’équilibre debout, etc. Le yoga est un jeu de patience joyeux, aux possibilités et aux variations infinies.

J. en arrivant hier, voyant ma peinture récente, l’a trouvée belle, plus belle en vrai qu’en photo. Je continue à peindre. Comme au yoga, j’explore et j’améliore. Je ne sens plus le même enjeu dans l’écriture, c’est pourquoi j’ai moins envie d’écrire. J’ai le sentiment d’avoir déjà donné le meilleur de mes capacités dans l’écriture. Je répugne à l’idée de faire quelque chose qui ressemble à ce qui a déjà été fait, soit par moi, soit par d’autres. Bien sûr je peux encore explorer et c’est ce que je fais. Mais en explorant je ne peux plus faire ce que je sais faire, ni même faire un peu mieux que ce que je sais faire, ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse c’est de faire tout autre chose, et là il n’y a plus ni route ni chemin ni sentier. Ni but non plus. Donc l’écriture n’est plus sous-tendue ni soutenue par les piliers de l’histoire, de la démonstration, etc. C’est ce que je veux. C’est donc ce que je fais, de la seule façon dont je puisse le faire, en errant librement dans l’espace et le temps. Dans le sixième sens, que les scientifiques appellent proprioception (il y a un documentaire là-dessus sur Arte en ce moment). Le sens de l’extase, ou de l’enstase. Comme dit la sixième tapisserie de la Dame à la licorne, « À mon seul désir ».

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Déconfinement à Paris et avec Tarass Boulba

La nuit dernière, pour me préparer au déconfinement, j’ai commencé à relire le fantastique, comme tous les textes de Gogol, Tarass Boulba. Déconfinement mental garanti : après mes photos de notre humble et bienfaisante balade au bord de la Seine, la première depuis deux mois, je vous propose un passage extraordinaire de ce roman extraordinaire.
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Aujourd’hui à Paris, photos Alina Reyes
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« Plus on avançait dans la steppe, plus elle devenait sauvage et belle. À cette époque, tout l’espace qui se nomme maintenant la Nouvelle-Russie, de l’Ukraine à la mer Noire, était un désert vierge et verdoyant. Jamais la charrue n’avait laissé de trace à travers les flots incommensurables de ses plantes sauvages. Les seuls chevaux libres, qui se cachaient dans ces impénétrables abris, y laissaient des sentiers. Toute la surface de la terre semblait un océan de verdure dorée, qu’émaillaient mille autres couleurs. Parmi les tiges fines et sèches de la haute herbe, croissaient des masses de bleuets, aux nuances bleues, rouges et violettes. Le genêt dressait en l’air sa pyramide de fleurs jaunes. Les petits pompons de trèfle blanc parsemaient l’herbage sombre, et un épi de blé, apporté là, Dieu sait d’où, mûrissait solitaire. Sous l’ombre ténue des brins d’herbe, glissaient en étendant le cou des perdrix à l’agile corsage. Tout l’air était rempli de mille chants d’oiseaux. Des éperviers planaient immobiles, en fouettant l’air du bout de leurs ailes, et plongeant dans l’herbe des regards avides. De loin, l’on entendait les cris aigus d’une troupe d’oies sauvages qui volaient, comme une épaisse nuée, sur quelque lac perdu dans l’immensité des plaines. La mouette des steppes s’élevait, d’un mouvement cadencé, et se baignait voluptueusement dans les flots de l’azur ; tantôt on ne la voyait plus que comme un point noir, tantôt elle resplendissait, blanche et brillante, aux rayons du soleil… ô mes steppes, que vous êtes belles !

Nos voyageurs ne s’arrêtaient que pour le dîner. Alors toute leur suite, qui se composait de dix Cosaques, descendait de cheval. Ils détachaient des flacons en bois, contenant l’eau-de-vie, et des moitiés de calebasses servant de gobelets. On ne mangeait que du pain et du lard ou des gâteaux secs, et chacun ne buvait qu’un seul verre, car Tarass Boulba ne permettait à personne de s’enivrer pendant la route. Et l’on se remettait en marche pour aller tant que durait le jour. Le soir venu, la steppe changeait complètement d’aspect. Toute son étendue bigarrée s’embrasait aux derniers rayons d’un soleil ardent, puis bientôt s’obscurcissait avec rapidité et laissait voir la marche de l’ombre qui, envahissant la steppe, la couvrait de la nuance uniforme d’un vert obscur. Alors les vapeurs devenaient plus épaisses ; chaque fleur, chaque herbe exhalait son parfum, et toute la steppe bouillonnait de vapeurs embaumées. Sur le ciel d’un azur foncé, s’étendait de larges bandes dorées et roses qui semblaient tracées négligemment par un pinceau gigantesque. Çà et là, blanchissaient des lambeaux de nuages légers et transparents, tandis qu’une brise, fraîche et caressante comme les ondes de la mer, se balançait sur les pointes des herbes, effleurant à peine la joue du voyageur. Tout le concert de la journée s’affaiblissait, et faisait place peu à peu à un concert nouveau. Des gerboises à la robe mouchetée sortaient avec précaution de leurs gîtes, se dressaient sur les pattes de derrière, et remplissaient la steppe de leurs sifflements. Le grésillement des grillons redoublait de force, et parfois on entendait, venant d’un lac lointain, le cri du cygne solitaire, qui retentissait comme une cloche argentine dans l’air endormi. À l’entrée de la nuit, nos voyageurs s’arrêtaient au milieu des champs, allumaient un feu dont la fumée glissait obliquement dans l’espace, et, posant une marmite sur les charbons, faisaient cuire du gruau. Après avoir soupé, les Cosaques se couchaient par terre, laissant leurs chevaux errer dans l’herbe, des entraves aux pieds. Les étoiles de la nuit les regardaient dormir sur leurs caftans étendus. Ils pouvaient entendre le pétillement, le frôlement, tous les bruits du monde innombrable d’insectes qui fourmillaient dans l’herbe. Tous ces bruits, fondus dans le silence de la nuit, arrivaient harmonieux à l’oreille. Si quelqu’un d’eux se levait, toute la steppe se montrait à ses yeux diaprée par les étincelles lumineuses des vers luisants. Quelquefois la sombre obscurité du ciel s’éclairait par l’incendie des joncs secs qui croissent au bord des rivières et des lacs, et une longue rangée de cygnes allant au nord, frappés tout à coup d’une lueur enflammée, semblaient des lambeaux d’étoffes rouges volant à travers les airs. »

Nicolas Gogol, Tarass Boulba, trad. Louis Viardot (ebook gratuit sur bibebook.com)
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« Trou blanc, troublant ? » Déconfinement, jour de fête

"Trou blanc, troublant ?" Acrylique sur bois, 40x69 cm

« Trou blanc, troublant ? » Acrylique sur bois, 40×69 cm

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C’est un cosmos, et je l’ai appelé « Trou blanc, troublant ? » parce qu’il s’articule autour d’un trou, un vrai trou naturel dans le bois, que j’ai peint en blanc – plutôt qu’à partir d’un trou noir. Et justement ce jour de déconfinement qui vient est un peu un trou blanc de sortie du trou noir du confinement – vous me suivez ? Un trou blanc qui engendre mille autres trous blancs, et toutes les couleurs.

Bon, je sais bien que ce n’est pas vraiment la fête, ça va être encore dur, pour ceux qui travaillent et pour ceux qui ont perdu leur travail. Mais j’aime tant la fête, je la trouve même dans des choses minuscules, j’ai bien l’intention de l’éprouver pour ma première sortie, sans doute en amoureux, à plus d’un kilomètre de la maison. Loin de moi ce qu’on a appelé la « romantisation du confinement ». À la maison tout s’est passé dans une paix et une entente parfaites, mais n’empêche, quelle lourdeur, ce confinement forcé, et quelle libération, de pouvoir en sortir ! Revoir le monde, et revoir certains proches qu’on n’a pas vus depuis deux mois !

Après avoir fini mon « Trou blanc, troublant ? » aujourd’hui, j’ai vernis mes deux précédentes toiles (celle-ci et celle-là), puis j’ai commencé un autre tableau, de nouveau une reprise d’une ancienne peinture sur bois. J’aime peindre sur bois, mieux que sur toile. Les bouts de bois sur lesquels je peins ne sont pas destinés normalement à être peints, ce sont des rebuts de coupe que j’achète au magasin de bricolage ou que je récupère dans la rue au gré de mes déambulations – ça fait partie de la philosophie de ma pratique. Oh, je vais pouvoir recommencer ! Je travaille avec la nature du bois tel qu’il se présente, ici j’ai utilisé le trou et les nœuds. Je trouve que la peinture est plus belle sur le bois, même si le bois que j’utilise a des irrégularités il y a plus de lisse que la toile, le travail des différentes couches rend mieux même s’il est peut-être plus délicat à discerner à première vue. Pour l’instant je reprends d’anciennes peintures avec la technique des points, c’est une façon de l’explorer. Ça ne veut pas dire que je m’y limiterai désormais, tout est possible, tout est ouvert, j’ai de bonnes chances d’avoir encore quelques décennies devant moi pour travailler et inventer, c’est la joie !