Judas, son baiser de la mort, à autrui et à lui-même infligé

 

« Nous creusons la fosse de Babel » Franz Kafka

Selon les chrétiens, le rôle de Judas était nécessaire, puisqu’il fallait que le Christ soit crucifié. C’est là où je me sépare des chrétiens. Depuis le début – et je l’ai écrit, en ces débuts de ma passagère conversion au christianisme, dans mon livre Voyage (aujourd’hui épuisé, et que je ne veux pas rééditer) – je refuse de croire en la nécessité de la crucifixion, je m’élève contre ce principe de sacrifice humain, qui plus est fondé sur la trahison. La trahison existe, mais elle n’est pas nécessaire, tout au contraire : moins elle existe, mieux nous nous portons.

Les chrétiens ne sont d’ailleurs pas honnêtes sur ce point : d’une part, en persécutant les juifs pendant des siècles parce qu’ils auraient prétendument crucifié le Christ (pourquoi leur vouer tant de haine, s’ils n’ont fait, selon leur vision, qu’accomplir la volonté de Dieu en condamnant Jésus ?) ; d’autre part, en ne voulant pas voir que le Christ n’a rien fait, parce qu’il n’y avait rien à faire, pour sauver Judas. Le sort réservé à Judas dans les évangiles prouve paradoxalement que la faute que lui fait faire la vision chrétienne du monde est sans retour. Comment Judas, après avoir laissé parler le Menteur à travers lui, pourrait-il prétendre inspirer confiance, comment pourrait-il garantir que sa parole serait désormais fiable ? Un aveu fait aux personnes concernées pourrait le libérer en partie du poids de sa faute – rien de plus.

Les judas sont nombreux (cette note fait suite à mes notes précédentes sur l’affaire Griveaux, dont les différents protagonistes se sont révélés traîtres, à commencer par Griveaux lui-même, qui a trahi sa femme et dans une moindre mesure ses électeurs, devant lesquels il se présentait en chantre du mariage). Nul n’est à l’abri d’une traîtrise, commise ou subie. Mais les degrés de traîtrise, et donc leurs suites, diffèrent. Le Logos a ses lois que les borgnes et les aveugles de l’esprit ne voient pas. La seule atténuation du mal qui leur reste possible est d’apprendre à ouvrir les yeux, et à assumer les conséquences de leur pensée si gravement faussée, et de leur geste contre la vérité et la vie.

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Civilisés ?

On n’arrive à rien de bien ni de grand avec l’obsession d’enculer, au figuré, ses adversaires. L’analité est un symptôme de régression, s’y complaire c’est se complaire dans la merde. Que les hommes en fassent ce qu’ils veulent dans leur vie sexuelle, et que leur tête en soit libérée dans leur vie politique. Car la merde est l’équivalent de l’argent, celui qu’on garde ou celui dont on a envie.

« Les caricatures du Prophète et les horreurs sur la Shoah, ce n’est pas pareil », écrit Élisabeth Lévy, sous-entendant que les secondes sont plus graves que les premières. Or les caricatures ordurières du Prophète, telles que les a faites Charlie Hebdo, c’est pire que « les horreurs sur la Shoah ». Nier l’extermination des juifs est une façon mensongère et indigne, dégueulasse, de s’en prendre à une communauté qui n’est plus aujourd’hui victime, grâce à Dieu, mais en grande partie participante d’une domination inique. Ce n’est pas ainsi, par le mensonge, que le combattant pour la justice et la liberté se bat. Injurier le Prophète, c’est s’en prendre aux opprimés, aux victimes des trahisons et des abus de l’Occident durant ces derniers siècles, qui cherchent leur libération et y œuvrent, certes avec des erreurs comme dans tout combat, mais avec le droit au respect et à la compassion. Que des dominants protégés par les pouvoirs publics renouvellent l’insulte séculaire qui leur est faite ne fait que redoubler l’infamie.

On n’arrive à rien de bon ni de beau ni de libérateur avec la souillure, qu’il s’agisse de souiller un chant ou de souiller une communauté. Certains ne semblent pas faire la différence entre la souillure des Femen et la charge cathartique de l’opération poétique « en slip dans le métro ». D’un côté des femmes vendues au diable, comme elles le disent elles-mêmes, de l’autre des hommes et des femmes faisant un geste gratuit, sans complexe, ponctuel et reliant des gens de plusieurs pays pour sortir un instant des habitudes « civilisées » en les mettant en évidence.

Écouté le best-of du très bon spectacle « Pardon Judas » de Dieudonné. Old same story. Judas serait le dévoué, faisant le mal pour la bonne cause. Judas, c’est une histoire de deniers. Vendu au diable pour trente deniers. Mais un talent vaut six mille deniers, et donc bien plus intéressant à faire fructifier. La fin ne justifie jamais les moyens.