Localité, universalité, actualité de la Commune

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Intéressant lapsus d’Alain Badiou dans cet entretien avec Kristin Ross : « on ne peut pas le faire sans oublier que l’ennemi veut le crime », dit-il, en voulant dire le contraire. Or c’est ce qu’il prononce malgré lui qui est vrai.
Un événement comme celui de la Commune n’implique pas le crime en retour, mais le fait que le crime ait lieu est simplement une preuve (non nécessaire) de la réussite de la Commune. Qui, comme tout événement juste, continue à vivre, à être en mouvement – qu’il ait été tué ou non. Simplement cela ne se passe pas dans le monde apparent, le monde que nous croyons réel alors qu’il est mortel et sans cesse mourant, mais dans le monde profond, d’où il s’épiphanise ici et là dans l’espace et le temps, tout en étant à la fois l’un des moteurs et l’un des guides de l’humanité, comme le sont les juments et les jeunes filles dans le poème de Parménide.
Il faut « oublier » que « l’ennemi veut le crime » au sens où : il faut le faire malgré la menace. Il ne s’agit pas ici d’un oubli qui altérerait la vérité, mais d’un oubli qui vainc la volonté de l’ennemi. Un « oubli » qui permet de faire ce qu’il faut faire malgré la menace. Ainsi, malgré la volonté de crime et l’accomplissement du crime, ce qui (de l’événement juste) a été fait, en pensée, en parole ou en action, continue à se faire : rien n’a pu l’empêcher de se faire, rien ne pourra l’empêcher de continuer à se faire, rien ne pourra le défaire qu’il ne s’en renouvelle, qu’il n’en renaisse ou n’en ressuscite. Ce qui lui donne sa force est justement de n’avoir pas cédé à la tentation de se protéger par une organisation qui entrerait d’une façon ou d’une autre en contradiction avec ce qu’il est (comme cela fut fait dans l’instauration des régimes communistes), et qui tôt ou tard assurément le conduirait à sa fin (comme c’est arrivé) : le communisme léniniste ou maoïste est fini, contrairement à l’esprit de la Commune, qui est resté pur, donc viable. La Commune ne s’est laissée ni récupérer, absorber par le système dominant, ni laissée aller à la tentation de se maintenir et de vaincre par un système de domination qu’elle aurait elle-même mis en place. Dans l’un et l’autre cas, elle aurait signé elle-même sa mort, à plus ou moins long terme. Or, nous le voyons bien, elle est toujours vivante – c’est-à-dire non pas identique dans ses manifestations à ce qu’elle fut lors de son apparition, mais identique en son « idée » et changée en ses expressions selon le mouvement naturel, non forcé, de la vie. Et elle est encore toute jeune. Dans son enfance ou sa petite-enfance, même.