Sans commentaire

Mes derniers commentaires « désactivés » sur le site de 20 minutes. Je n’ai pas pensé à en faire des captures d’écran avant, mais je dois dire que j’ai connu autant de bien-pensance et de ciseaux sur le site de France Info (où je ne sais quel bug m’empêche maintenant de commenter, et peu importe) et encore bien davantage sur celui de L’Obs, où du coup je ne vais plus du tout depuis longtemps, car ils me coupaient la parole souvent très abusivement, même quand je faisais l’effort d’y être publiable, « correcte » – mais il faut croire que je suis définitivement incorrecte à leurs yeux, haha ! En tout cas je trouve à ces caviardages un réel intérêt sociologique et politique : bien que la presse se donne l’air de comprendre les nouvelles prises de conscience, elle n’en parle que parce que ça fait vendre, mais reste figée dans la vision d’une « culture saine », comme dit plus bas, à savoir d’un ordre social dépassé, qui reste pour les vieux dominants, aux mains desquels se trouve la presse, sacré.

Sur Gainsbourg :
Screenshot_2021-03-02 Peut-on encore écouter certaines chansons de Gainsbourg sans culpabiliser (1)
Screenshot_2021-03-02 Peut-on encore écouter certaines chansons de Gainsbourg sans culpabiliser,

Sur Abd Al Malik et Baudelaire, les rappeurs et la culture classique, en réponse à un commentaire qui prônait la « culture saine », à savoir le « patrimoine » français représenté notamment par Baudelaire :
Screenshot_2021-02-26 « Nous sommes la France, on a un patrimoine fabuleux », estime Abd Al Malik

Sur les menus sans viande dans les écoles à Lyon :
Screenshot_2021-02-24 On a fact-checké Julien Denormandie sur les menus sans viande à Lyon

* précisons qu’au petit « Pourquoi ? » rouge, aucune réponse n’est jamais faite

Liberté d’oppression

Certains craignent que le terrorisme islamiste conduise les créateurs à l’autocensure. Crainte justifiée. Mais c’est surtout au cœur des hommes que ces terroristes font du mal, en attisant l’islamophobie, le racisme, le rejet de ceux dont ils se prétendent les frères. Quant à la liberté d’expression, elle subit l’oppression d’un bien plus puissant et plus occulte terrorisme, celui de la doxa, comme dit Parménide, de l’opinion dominante, organisée pour entraver la marche et la manifestation de la pensée.

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Liberté d’expression, j’écris ton nom

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à Paris ces jours-ci, photo Alina Reyes

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Je l’ai écrit plusieurs fois, je suis d’accord avec ce que disait Raoul Vaneigem : « rien n’est sacré, tout peut se dire ». Cela signifie aussi, et c’est capital, que tout ce qui se dit peut être contesté. Tout peut se dire, tant que cela ne tombe pas sous le coup de la loi (diffamation, incitation à la haine). Et tout peut se dire en réponse à ce qui a été dit.

La tragédie qui endeuille la France et tous les partisans de la liberté d’expression dans le monde, doit nous inciter à réfléchir sur l’usage qui est fait de ce droit dans notre pays. L’une des dernières fois que j’ai évoqué cette phrase de Raoul Vaneigem, ce fut à propos de l’ingérence caractérisée de Manuel Valls dans les affaires judiciaires de Dieudonné. Le discours de Dieudonné me fait horreur, tous les discours racistes ou sexistes me font horreur, toutes les stigmatisations me révoltent, qu’elles visent des juifs, des Roms, des musulmans ou tout autre groupe humain ainsi essentialisé. Que ceux qui tiennent de tels discours s’attendent à des protestations en retour est tout à fait sain et salutaire. Mais un ministre n’a pas à se mêler, comme ce fut alors le cas, d’intervenir pour précipiter et augmenter la censure de tel ou tel.

Aussi est-il capital que la liberté d’expression soit la même pour tous. Que ses limites soient les mêmes pour tous, et que son droit soit le même pour tous. Si les pouvoirs ne s’attachent pas à cette équité de traitement, ils ne font que semer et augmenter la zizanie dans la société. Pourquoi peut-on s’acharner sur les musulmans, comme Zemmour, Charlie Hebdo (qui s’en prenait aussi avec une grande virulence aux Roms – parlant de leur « tradition coprophage ») ou malheureusement Houellebecq, et avoir tous les honneurs des médias, alors que ceux qui tout aussi honteusement s’acharnent sur les juifs, voire sur les gays, sont systématiquement boycottés, voire éliminés de la scène publique ? Pourquoi une parole haineuse et discriminante serait-elle plus honorable qu’une autre, selon sa cible ? Pourquoi accepter de promouvoir la haine, ce qui revient à la nourrir, et d’autant plus si on la promeut toujours à l’encontre des mêmes catégories de population ? Si bien que beaucoup finissent par croire que si on s’acharne sur ceux-là plutôt que sur ceux-ci, c’est parce que ceux-là le méritent. Fatal cercle vicieux.

Les médias feraient bien d’être un peu moins arrogants quand ils exigent leur droit à la liberté d’expression. Car ils sont les premiers à ne pas respecter ce droit, quand il s’agit de celui d’autrui, de ceux qui ne pensent pas comme eux, ou même tout simplement ne font pas partie de leur milieu. Eux ne tuent pas avec des kalachnikovs comme les assassins des douze personnes de Charlie Hebdo, mais ils disposent de puissants moyens d’exclusion, et en abusent trop souvent. À l’heure où nous renouvelons notre attachement à la très précieuse liberté d’expression, rappelons-nous que la meilleure façon de la respecter est de savoir aussi remettre en question nos pratiques, celles de nos médias et de nos politiques (il y a peu encore, un jeune homme, Rémi Fraisse, a été tué pour avoir manifesté son opinion, et son cas n’est pas isolé, ni en France ni dans le monde dit libre). À mon humble niveau, je sais ce qu’il en est de ne plus pouvoir publier dans la presse parce qu’on a déplu au milieu, et d’être empêché de publier librement dans l’édition parce qu’on est la cible de certaines personnes qui ont décidé de pratiquer leur propre loi pour atteindre leur but. Si nous voulons être dignes face à l’indignité de ceux qui tuent par idéologie, commençons par nous désidéologiser nous-mêmes, et surtout par essayer d’être honnêtes, envers nous-mêmes et les uns envers les autres.

Faut-il encore le répéter ? Oui : la fin ne justifie jamais les moyens.