Trois « contre-prêches » d’Abdelwahab Meddeb

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Retrouvant dans ma bibliothèque une revue Esprit d’octobre 2006, j’y lis trois textes très intéressants d’Abdelwahab Meddeb. Trois « contre-prêches », issus d’un recueil éponyme paru au Seuil la même année. L’un sur L’épreuve des juifs, le deuxième sur L’Islam et la mer, le troisième sur L’imamat des femmes.

Dans le premier de ces brefs essais, Abdelwahab Meddeb commence par établir la distinction entre l’antijudaïsme musulman traditionnel et l’antisémitisme d’origine européenne, qui a essaimé aujourd’hui en terres d’islam. L’antijudaïsme islamique originel est fondé sur une opposition religieuse, qui « a abouti au massacre des juifs à Médine, sous la conduite même du Prophète ». Alors que le « délire » de « l’antisémitisme, lui, est fondé sur l’idée du complot fomenté par les juifs pour parvenir au commandement du monde. »

L’antijudaïsme traditionnel, rappelle Meddeb, « assimilait les juifs à ceux qui ont encouru la colère divine pour avoir désobéi à Dieu et pour avoir manipulé les Écritures qu’il avait révélées à leurs prophètes ». Meddeb convie « l’islam à épurer le contentieux traditionnel en reconnaissant sa dette biblique, (…) en admettant la légitimité théologique et historique du judaïsme ». Ajoutons que cette question demeure très sensible également quant au rapport de l’islam aux chrétiens, également accusés d’avoir falsifié les Écritures et d’avoir désobéi à Dieu. Cela en raison d’un contresens total sur la parole de Dieu révélée dans le Coran. Il faut comprendre et admettre que même le Prophète peut ne pas toujours saisir pleinement le sens de la parole qui lui est transmise. Ne pas l’admettre serait nier que cette parole ne vient pas de lui mais de Dieu, ne pas l’admettre serait réduire un texte sacré, destiné à déployer l’océan de sa signification dans le temps, à une harangue de tribun, lisible au premier degré et destinée à servir des intérêts politiques immédiats. Si Dieu dans le Coran fustige la désobéissance de certains juifs et de certains chrétiens (car à d’autres, il rend hommage) et les accuse d’avoir dénaturé sa parole, ce n’est pas pour stigmatiser les juifs ni les chrétiens, mais pour avertir du danger spirituel que courent ceux qui font mentir la parole de Dieu, quelle que soit leur religion. Quant à la manipulation ou à la falsification des Écritures, elle s’opère chaque fois que quelqu’un, qu’il soit juif, chrétien, musulman ou autre, les interprète et les vit en fonction de ses propres intérêts ou des intérêts de son clan. Il ne s’agit pas là de falsification à la lettre, d’un complot pour remplacer tel mot ou tel passage des Écritures par tel ou tel autres mot ou passage, mais de quelque chose de beaucoup plus répandu et beaucoup plus pernicieux, qui consiste, sans changer quoi que ce soit aux textes, à leur faire dire ce qui contrevient à la Conscience, à la Vérité, à l’exigence du respect d’autrui imposé par la loi de l’Amour, qui est celle du Tout-Miséricordieux.

Dans la suite de son essai, Meddeb rappelle de nombreux, beaux et riches exemples de relations apaisées et même fructueuses entre juifs et musulmans à travers l’histoire, dans les domaines théologiques, culturels et aussi sociaux, en des siècles où les juifs persécutés ou chassés d’Europe pouvaient trouver refuge en terres d’islam. « Aussi n’est-il pas futile de rappeler, plus près de nous, que – malgré sa faible autorité sous le régime du protectorat – le bey de la régence de Tunis comme le sultan du Maroc ont protégé leurs sujets juifs en refusant d’exaucer les demandes pressantes de Vichy en vue de leur déportation. » Il faut restaurer la mémoire de cette convivance judéo-arabe, dit Meddeb, pour « rappeler que l’hostilité entre les deux « communautés » n’est pas une fatalité », tout en reconnaissant que le statut de dhimmi n’est plus acceptable de nos jours.

Et Meddeb conclut ce contre-prêche en rappelant la « lancinance tragique » de « l’épreuve palestinienne ». « Il faut l’avouer : les relations entre Juifs et Arabes se sont gâtées au moment où le recouvrement de la souveraineté juive a été assimilé à la prise d’une terre arabe ». Mais « la reconnaissance des Juifs par l’arabité et par l’Islam doit s’exprimer en faveur de sujets souverains, et non de seconde zone. Les questions politiques et militaires soulevées par le retour à la souveraineté des Juifs et la fondation de l’État d’Israël doivent être traitées en tenant compte de cette reconnaissance préalable, qui exige la mobilisation des énergies au plan théologique, éthique, historique, politique, sans occulter la spoliation palestinienne que cette souveraineté a induite. »

Le contre-prêche suivant traite de la « phobie maritime de l’Islam », en s’appuyant sur des ouvrages de Carl Schmitt (Terre et mer) et de Xavier de Planhol (L’Islam et la Mer). « Tant que le domaine de la domination, écrit Meddeb, a été celui de la terre et des mers fermées (où il est possible de maîtriser le contrôle des côtes), l’Islam a été performant. Il a pu entretenir la tradition des grandes routes de communication et l’enrichir. » L’Islam maîtrise ce qui concerne la propriété et les frontières. Or, dit Meddeb, « ce qui distingue la mer, c’est que juridiquement elle n’appartient à personne, elle est libre d’accès. La conquête de la mer est celle d’un espace disponible. C’est à travers les étapes de cette conquête que se confirme la domination occidentale. »

Un constat qui n’est pas sans lien avec l’essai suivant, sur l’imamat des femmes, où Meddeb cherche un chemin d’ouverture à travers la tradition – très majoritairement hostile à ce que des femmes puissent diriger la prière, mais non unanime cependant sur cette question. Meddeb le démontre en s’appuyant sur la tradition prophétique et aussi sur les écrits d’Averroès et d’Ibn Arabî. Aux indispensables subtilités philosophiques et métaphysiques qu’il expose comme bases de discernement, nous pouvons ajouter ce constat qu’à la réserve islamique envers la mer et l’aventure que représente la mer, correspond sa réserve envers les femmes, dont il veut garder le chemin enveloppé, voilé. Là aussi sans doute pouvons-nous reconnaître un frein à la marche dans le temps des peuples de cette grande religion (comme il en est aussi pour d’autres grandes religions, même si le voilement de leurs femmes est moins visible). Là aussi sans doute nous pouvons nous sentir appelés à mobiliser notre intelligence et notre cœur pour trouver pourquoi nous piétinons ou reculons, et où Dieu nous appelle, et par où il nous invite à y aller.

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Tombent les masques

à Paris, photo Alina Reyes

 

« Quelle prière peule fit Nafissatou Diallo au moment où elle avait le pénis de Dominique Strauss-Kahn entre les lèvres ? » J’ai rarement lu une phrase aussi dégueulasse, aussi misogyne, dominatrice, nihiliste. Pour ne pas dire raciste. Quelque part sur internet, Stéphane Zagdanski se vante de l’avoir écrite. Stéphane, quelle débandade de la pensée, quel mauvais tournant dans ton existence. Comme si on pouvait prier pendant un viol. Esthétique nihiliste rejoignant le dolorisme de ce mauvais catholique entendu hier soir déclarer qu’on n’est jamais aussi près de Dieu que dans la souffrance. Voilà ce qu’adorent les imposteurs, souffrir et faire souffrir.

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Une représentante française des Femen, activistes « féministes », est aussi call-girl, révèle un autre site souvent trouble. Imposture pitoyable, mais pas davantage que celle de ces intellectuels prétendument contestataires du « système », qui bouffent à tous ses râteliers, télé, réseaux, entrepolissages d’égos boursouflés et creux, au service d’eux-mêmes et de ce monde qui leur permet de se donner l’air d’être ce qu’ils ne sont pas.

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Les Indigènes de la République déclarent qu’ils ne veulent pas être des indigènes de la République. Lors de la création des Ni Putes ni Soumises, je fis remarquer le nihilisme d’une telle appellation, qui ne pouvait présager rien de bon. Pourquoi s’appeler par ce qu’on ne veut pas être ? Il y a encore là une façon cachée de s’enfoncer dans l’état que l’on dénonce.

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Voyez Israël, avec son Pilier de Défense destiné à enfumer Gaza et bien au-delà, le monde. Le vrai nom de leur opération est Colonne de nuée, en référence à l’épisode biblique (dont je parlais hier) de la sortie d’Égypte, où Dieu protège son peuple en se tenant dans une colonne de nuée qui sépare le mouvement de libération des forces d’aliénation. Inversion monstrueuse, obscène, blasphématoire. Tsahal ou Hamas ou Washington ou quiconque, n’essayez pas de récupérer Dieu.

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Tous ces glorieux combattants ont pourtant un même ancêtre, Abraham, à qui Dieu a enseigné qu’il ne fallait plus sacrifier les enfants. Tous ces glorieux combattants qui par orgueil désobéissent à Dieu qu’ils prétendent servir, qui par paresse choisissent le combat par les armes plutôt que par l’intelligence, qui les yeux pleins de sang ne voient pas que Dieu leur a dit de sacrifier la bête en eux plutôt que l’enfant, tous ces glorieux combattants, et ceux qui les soutiennent, et ceux qui négligent de retenir leur bras et de les guider dans une autre voie, je les appelle des assassins.

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Le sionisme doit-il être remplacé par un autre nationalisme, islamiste ? À peine déclaré le cessez-le-feu, des va-t-en-guerre bien à l’abri en France ont paru s’ennuyer déjà du spectacle de la mort. Et si on commençait plutôt à rêver de la paix, et à réfléchir à comment la construire ? Un jour ils seront frères et réunis, tous les enfants d’Abraham qui habitent toute la Palestine.

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Un père américain a transformé pour sa petite fille de cinq ans le héros de Zelda en jeune fille, et le but de son aventure en désir de secourir son petit frère. Les esprits conservateurs se moquent, mais une héroïne qui se bat pour sauver son petit frère c’est beaucoup plus courant et vraisemblable qu’un héros qui se bat pour sauver une princesse.

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Michel Onfray, omnimédiatique, déclare qu’il est « un ogre ». Grosse crise d’hystérie ? La crise du milieu de la vie ? La peur de manquer d’être face au trou noir qui vient ? Un peu d’ascèse, ça ira mieux. Contre les tentations style «Grande bouffe », « Je suis partout », ou « Règle du jeu », écoutons donc la leçon des grandes religions, et notamment de l’islam : la règle du jeûne. Profond apaisement garanti.

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Les musulmans les plus influents du monde sont paraît-il le roi d’Arabie, le premier ministre turc et le roi du Maroc, suivis de beaucoup d’autres personnalités diverses. Des musulmans influents, mais sur quoi ? J’aurais plutôt dit : le Prophète, et puis aussi Jésus, Moïse, et tous les autres prophètes dont la parole n’a cessé de combattre pour la vérité. Ils sont si vivants, et leur parole est si vivante, elle seule traverse les siècles et continue à faire vivre le monde. À lui donner espérance en se renouvelant aussi, comme elle le fit par la voix d’un Gandhi et continue à le faire par chacune de nos petites voix, si discrètes soient-elles, quand elles parlent clair, en accord avec ce que nous sommes, vivons et disons. Ce monde depuis si longtemps travaillé par tant de nihilisme serait écroulé, ce monde en pleine grande inversion serait déjà anéanti, sans cette vivante parole de vérité, par laquelle nous devons continuer à le soutenir, piliers humains.

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L’Aïd à la Goutte d’Or


d’un bus de la Petite Ceinture ce matin à l’aube, photo Alina Reyes

 

À sept heures moins le quart O m’a appelée pour me faire entendre le muezzin. Puis, ce matin à l’aube, je suis partie rejoindre A et ses amies à la Goutte d’Or, dans l’ancienne caserne de pompiers transformée en mosquée suite aux polémiques autour des prières de rue. D’abord nous avions prévu de nous retrouver à la mosquée de La Villette, puis changement de programme au dernier moment, j’ai donc pris le bus à la descente du métro. En ce jour de l’Aïd, nous étions douze mille en ce lieu, c’était impressionnant. À l’intérieur serrées les unes contre les autres, et idem du côté des hommes, à se demander comment nous arrivions encore à effectuer les gestes de la prière, conduite par la voix de l’imam dans le haut-parleur. J’ai beaucoup aimé son prêche, il a commencé par rappeler que cette célébration dépassait le temps et serait faite jusqu’à la fin du monde, car elle a lieu dans le ciel, avec les anges, en même temps.

Ensuite nous avons marché pour nous rendre chez l’une d’entre nous, où nous avons retrouvé famille et amis. Je ne connaissais personne mais je connais l’hospitalité de ces gens, et voilà tout était simple et chaleureux, les jeunes hommes riaient avec leur sœur, servaient la table jusqu’à la couvrir de pâtisseries et autres crêpes et spécialités marocaines maison, avec bien sûr les petits verres de thé, tandis que sur l’écran de télé youtube diffusait l’une après l’autre des chansons du groupe Le silence des mosquées. Nous avons parlé du mouton de l’Aïd, du tracas que représente son sacrifice dans des abattoirs surchargés de demandes – mais ils sont tous tellement patients, et même quand ils parlent de problèmes c’est avec un sourire jusqu’aux oreilles. Nous avons entendu le muezzin en direct de La Mecque, par le téléphone d’un proche en pèlerinage, qui a appelé en se déclenchant à son insu. Le temps a passé dans une paix immense puis nous sommes allées dans une autre famille, là il y avait un adorable bébé, Ismaïl, et puis toujours le thé et les pâtisseries et la paix joyeuse quasi surnaturelle. En début d’après-midi nous sommes allées à la prière du vendredi à la mosquée de La Villette cette fois, là aussi il y avait beaucoup de monde, mais moins que le matin où comme à la Goutte d’Or des centaines avaient dû prier dehors. J’étais invitée pour la suite, le dîner, mais je devais rentrer, j’ai repris le métro, c’était vraiment une très belle journée, dans le génie humble et splendide de l’islam.

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Bernard-Henri Lévy, l’antisémitisme et l’islamophobie


plutôt que par une photo du « vieil homme », je préfère illustrer ce texte avec ce portrait d’un nouvel homme, « Pèlerin d’Amour » selon mon sens, ayant accompli 6000 km à pied pour faire son Hajj (son histoire ici)

 

Bien coiffés bien sapés, ils se promenaient dans le Sud marocain à bord d’un 4×4 immatriculé en Suisse, pesant, vaste et rutilant comme un coffre-fort, tout en se plaignant que les gens du crû les considérassent « comme s’il y avait écrit banque sur notre front ». Je dus me retenir de rire ; leur bêtise arrogante me revint à l’esprit en allant lire dans Le Point la chronique de Bernard-Henri Lévy sur le « nouvel antisémitisme ». Encore un enfant gâté qui prête à rire, je lui en sais du moins gré. Le seul fait de voir son sourcil légèrement relevé et son petit air de tartempion des plus sérieux met de bonne humeur comme l’entrée sur scène d’un valet chez Molière. Or donc mon amusement redoubla en le voyant dénoncer l’islamisme qui s’appuie sur « le vieux thème du ‘juif riche’ » ou du « juif maître du monde ». Chacun sait que BHL n’est ni philosophe, ni journaliste, ni écrivain, ni dramaturge, ni cinéaste, mais qu’il est en revanche très riche, très égotiste et très soutenu par d’énormes réseaux, ce pourquoi on le voit et l’entend partout. Chacun sait aussi qu’il s’est vanté d’avoir mené la guerre en Lybie pour servir Israël. Et chacun, sans doute, reste bouche bée ou rit devant l’énorme inconscience qui lui fait dénoncer, sans craindre le ridicule, les clichés qu’il incarne de façon si flagrante. Je plains les petits juifs pauvres et humbles d’être défendus malgré eux par un semblable énergumène, caricature de leur peuple plus cruelle que n’en saurait faire Charlie Hebdo s’ils changeaient de cible, ce qui ne risque pas d’arriver de sitôt.

Mais attention, il est virulent, le personnage ! Il ne s’en prend pas seulement… aux islamistes évidemment, mais aussi à Marine Le Pen. « Lorsqu’elle met sur le même plan le port de la kippa et l’enfermement sous un voile intégral », dit-il, elle « disculpe par avance le nervi tenté de se cogner un enfant juif ». Marine Le Pen a fait ça il y a quelques semaines en Une du Monde, qui en plein pendant les affaires de caricatures islamophobes lui a servi sa soupe sur un plateau d’or, le numéro du week-end avec sa grande photo soignée en couverture et ce titre alléchant : « L’offensive laïque de Marine Le Pen ». Bernard-Henri Lévy est membre du conseil de surveillance du Monde (quel titre merveilleux non ?), il n’était certainement pas en désaccord avec cette opération puisque à ce moment-là c’était bien les musulmans qu’elle enfonçait un peu plus.

Mais voyons de plus près sa petite phrase mensongère. Non BHL MLP ne parlait pas du voile intégral mais du voile ordinaire, celui qui simplement couvre les cheveux, c’est celui-ci qu’elle voulait interdire dans la rue, ainsi que la kippa parce qu’il faut bien que la loi soit la même pour tous. Vous faites donc son jeu en déformant ainsi ses propos, en faisant accroire qu’elle n’est pas si sévère envers les musulmans, ou bien qu’il n’est de voile qu’intégral, et que les vraies et seules victimes de racisme sont les porteurs de kippa, les juifs. Ah vous êtes un beau témoignage de victime, Monsieur Je-fais-et-dis-partout-tout-ce-que-je-veux-grâce-à-mon-argent-et-mes-réseaux.

Et puis, si vous voulez parler de voile intégral, croyez-vous que voir une femme en niqab soit plus triste que voir un petit garçon à papillotes, kippa et costume engoncé ? Si vous voulez voir les extrêmes, n’y en a-t-il pas aussi chez vous ? Au moins la femme est-elle adulte et le plus souvent c’est elle qui choisit son vêtement, ce qui n’est pas le cas de ces petits. Et puis, continuons encore. Croyez-vous qu’une femme comme celles de votre monde, chirurgiquées, apprêtées à coups de fric et d’innombrables heures en instituts et boutiques, affamées et parfois sans enfants pour tenter de garder une silhouette juvénile « vendable » (d’une façon ou d’une autre), soit plus libre qu’une femme qui choisit de se voiler afin de faire passer son rapport à l’absolu avant quelque nécessité de séduire ?

Mais quelque chose est encore bien plus malhonnête et grave dans l’entreprise que vous et vos amis du même avis, à peu près le seul qui ait accès à la grande presse, déployez en ce moment, cette entreprise qui consiste à dénoncer le « nouvel antisémitisme » porté par l’islamisme et les habitants des banlieues. Non, on ne peut pas parler de l’antisémitisme sans parler de l’islamophobie, alors même qu’elle bat son plein, y compris de la part des médias, des politiques et de l’État. D’autant qu’au plus profond l’islamophobie est un antisémitisme, non seulement parce que linguistiquement les Arabes sont sémites autant que les Juifs, mais, et cela découle du même fait, parce que l’antisémitisme est une phobie de ceux qui sont réputés pour être proches du Dieu unique, celui que reconnaissent le plus fortement les Juifs et les Musulmans. Et leur hostilité réciproque, quand elle existe, et elle existe pour des raisons politiques et particulièrement en lien avec le problème capital posé par l’État d’Israël, est largement due à un Occident ni juif ni musulman mais tout à la fois chrétien et déchristianisé, qui a été si hostile aux juifs et maintenant aux musulmans que nous en sommes là où nous savons, au Moyen Orient et en Europe.

Ceux qui parmi nos bons bourgeois de culture chrétienne disaient volontiers jadis leur antisémitisme, aujourd’hui souvent se déclarent au contraire, pour des raisons politiques, philosémites. Leur antisémitisme, constitutionnel de leur christianisme, n’a pas pour autant disparu, il s’est seulement reporté sur l’islam. D’où vient l’antisémitisme ? De la chrétienté, qui l’a enraciné, nourri et mis en œuvre pendant des siècles, et qui maintenant se rachète à bon prix sur le dos des Arabes et des musulmans en soutenant l’État factice et voyou d’Israël. Oui il s’agit bien là de la cause majeure du « nouvel antisémitisme » que vous dénoncez tout en niant sa cause. Car voyez-vous, de même que vous êtes lié à votre peuple, les musulmans aussi ont une histoire et sont solidaires des leurs. Cet antisémitisme-là n’a pas les mêmes racines viscérales que celui de l’Occident chrétien, il est avant tout le fait d’une intense exaspération de peuples multi-bafoués par l’Occident au cours des deux derniers siècles, et qui voient dans la colonisation toujours empirant de la Palestine par Israël l’ultime crachat de mépris que leur envoie une civilisation judéo-chrétienne qui a semé durant tout le dernier siècle un désordre effroyable et des crimes inouïs dans le monde, qu’elle prétend pourtant continuer à gouverner – que vous ne cessez vous aussi, monsieur Lévy, de vouloir gouverner avec elle, en prônant et réalisant l’ingérence, afin de réorganiser le monde selon votre point de vue – n’était-ce pas ce que vous vouliez dire quand vous déclarâtes que l’œuvre de votre vie était de faire réécrire le Coran par un juif ? Permettez qu’une Européenne convertie à l’islam vous réponde qu’à entendre vos vaniteux discours elle rit d’abord, mais ensuite, de cœur avec ses frères et sœurs musulmans, elle souffre de voir notre pays laisser s’exposer une aussi crasse bêtise et une si désastreuse outrecuidance. Cessez donc de vous rêver dieu à la place de Dieu, Solal à la petite semaine, chroniqueur de votre propre chroniquerie, vous n’impressionnez pas Allah, ni, vieil homme au sens biblique, les peuples qui sont en train de vivre les convulsions de l’enfantement d’un nouvel homme.

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