Qu’allèrent faire nos frères néandertaliens dans la grotte de Bruniquel ?

Cet article paru dans The Conversation est issu de mes recherches pour ma thèse de Littérature comparée en cours.
image-20160701-18306-1dzmh73Les stalagmites en cercles témoignent d’une vision géométrique, d’une aptitude à la mathématique, à l’abstraction. AFP, A

Alina Reyes, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités

En 2003, lors d’un entretien télévisé avec Philippe Lefait, Jim Harrison raconte avoir donné au poète amérindien Lance Henson La poétique de l’espace de Bachelard. « C’est curieux », lui a-t-il dit après l’avoir lu, « Bachelard pense comme un Amérindien. » Et Harrison ajoute : « Je ne connais pas un auteur amérindien qui n’écrive pas pour construire une maison pour son âme. »

Les primates et d’autres animaux peuvent fabriquer des outils. Les humains, eux, impriment des traces. Traces qui sont à la fois pour eux et pour les autres (dans l’espace et dans le temps), des preuves de leur humanité, de leur capacité à dépasser l’utilitaire – même si l’écrit est aussi un outil de communication, de recension, de comptage. L’écriture ne se limite pas à servir de signifiant d’un objet extérieur : elle est identifiée par tout humain qui la rencontre même sans pouvoir la déchiffrer comme la manifestation qu’il y a, à sa source, un objet intérieur, un protosujet que, telle une matrice, elle contient et transforme de sujet en sujet. Originellement, l’écriture dépasse le signe : elle est construction, maison pour l’âme qu’elle abrite et engendre dans un même mouvement.

Une coquille striée de zigzags réguliers.

Les plus anciens signes gravés connus à ce jour datent d’environ 500 000 ans. Leur découverte, en 2014, fut un coup de tonnerre dans la science tempétueuse de la paléontologie. Il s’agit d’un zigzag, fort bien tracé dans l’épaisseur d’une coquille. Il nous est impossible de connaître le sens donné par nos lointains ancêtres à leurs gravures et peintures. Mais de même que nous pouvons lire Homère sans qu’il nous ait jamais confié ses intentions, nous pouvons toujours lire les traces d’eux-mêmes que nous ont laissées les hommes dits préhistoriques.

Une coquille est le contenant, la maison d’un vivant. L’analogie est universelle. Quand une telle « maison » naturelle est transformée par l’homme, par son esprit et par sa main, elle devient maison de l’âme : Ghost in the shell, comme le dit le titre d’un célèbre manga de science-fiction. Une coquille gravée il y a 500 000 ans, bien avant que l’homme ne soit Homo Sapiens, transforme la maison d’un vivant (le mollusque) en maison d’une âme (humaine). Par-delà le sens (ou l’absence de sens) que voulait donner à ces traits l’être qui les fit, que ces traits fussent ou non des signes, le seul fait qu’ils aient été tracés est une preuve de l’humanité de celui qui les traça.

La grotte, écrin du geste et de l’œuvre

Qu’allèrent donc faire nos demi-frères néandertaliens lorsque, il y a à peu près 176 000 ans, ils descendirent et cheminèrent longuement dans l’étroit labyrinthe souterrain de la grotte de Bruniquel puis, au creux d’une salle profonde, cassèrent et disposèrent en cercles, dressées, des stalagmites ? La découverte de constructions humaines aussi anciennes provoqua lors de son annonce il y a quelques semaines un séisme chez les paléoanthropologues. Jamais personne n’avait imaginé que des humains aussi anciens, a fortiori ancêtres des Néandertaliens réputés moins culturellement développés que les Sapiens Sapiens, étaient capables de penser et bâtir un tel ouvrage. À quel usage, dans quel but ? C’est ce que nous ne saurons pas.

Mais encore une fois, cela ne signifie pas que leur geste, et le résultat de leur geste, soient illisibles. La coquille et la grotte sont toutes deux des contenants. L’un porteur d’une gravure sur sa face extérieure, l’autre d’une sculpture, d’une installation au sens moderne du terme, dans son intérieur. Une âme se cache à l’intérieur de la coquille gravée. Une âme se dresse à l’intérieur de la grotte, écrin du geste et de l’œuvre. D’un côté la conscience du contenant, de l’autre celle du contenu. Traits en zigzags et stalagmites en cercles témoignent d’une vision géométrique, d’une aptitude à la mathématique, à l’abstraction. Quels qu’aient pu être les usages de ces élaborations – que nous continuerons à ignorer malgré toutes les supputations –, elles demeurent en tant que telles, et en tant que telles continuent à parler.

La construction circulaire de Bruniquel modélisée en 3D.
CNRS, Author provided

Que cette première architecture ait eu ou non un usage, et quel qu’il ait pu être, ne change rien au fait qu’à un niveau plus profond, et plus élevé, l’être de cette construction souterraine de la nuit des temps fut et reste d’être une maison pour l’âme. Ce fut et c’est de dire la présence de l’âme, comme les traits sur la très ancienne coquille. « L’être qui se cache, écrit Paul Valéry dans L’Homme et la coquille, l’être qui « rentre dans sa coquille », prépare « une sortie ». Cela est vrai sur l’échelle de toutes les métaphores depuis la résurrection d’un être enseveli jusqu’à l’expression soudaine de l’homme longtemps taciturne […] Il semble qu’en se conservant dans l’immobilité de sa coquille, l’être prépare des explosions temporelles de l’être, des tourbillons d’être. »

L’homme écrit pour habiter

L’être s’extrayant du primate signe sa sortie, son être humain, sur une coquille puis dans une grotte. Il ne se singe pas lui-même, il ne singe pas le monde non plus, il le transforme en y imprimant sa marque, son point de départ. La coquille et la grotte disent l’intériorité et l’extériorité. L’être qui y apporte son sceau par ce geste affirme sa conscience et conçoit sa liberté. Il ajoute dans ces ossements du monde, dans l’os du monde, l’antériorité et la postériorité, et même la postérité. Par la gravure comme par la découpure des stalagmites, il fait une entaille dans le temps grâce à laquelle le temps cesse d’être un cercle fermé, grâce à laquelle il ne se clôt pas sur le passé et s’ouvre aux possibles.

L’homme écrit, ou commence par tracer des traits, pour s’inscrire dans l’espace et dans le temps : il écrit pour habiter. Cette inscription, cette écriture, qu’elle soit faite de bâtonnets régulièrement tracés dans une coquille ou de bâtons de stalagmites géométriquement dressés dans une grotte, devient habitation au sein de laquelle une autre écriture peut mûrir, qui rassemble et rassemblera toujours de nouveau le geste et la mémoire du geste, qui se rebâtira en permanence, chaque fois unique et neuve, par et pour chaque nouveau lecteur, et via chaque lecteur par chaque nouvelle lecture.

Nous ne sommes pas condamnés à tout ignorer de la langue de nos si lointains ancêtres : car c’est celle des poètes de tous les temps et de tous les univers. C’est la nôtre, aussi profond en nous que la grotte de Bruniquel. Et il nous suffit d’y descendre pour l’entendre résonner et nous inciter, encore et toujours, à nous extraire de là, puisque nous nous y sommes reconnus, comme l’enfant s’extrait de la matrice. Afin de devenir un homme, un être humain, un être toujours en redevenir – non ce qu’il fut, mais ce qu’il envisagea confusément d’être. Les stalagmites dressées de la grotte de Bruniquel se présentent à nous comme un miroir où nous ne nous reconnaissons pas clairement lorsque, abasourdis, comme dans tout chef-d’œuvre, nous n’y sommes pas encore.

The Conversation

Alina Reyes, Doctorante, littérature comparée, Maison de la Recherche, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Les treize d’El Sidron

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Sept adultes, femmes et hommes, trois adolescents, trois enfants. Des Néandertals. Tous ont été mangés par d’autres Néandertals, il y a 49 000 ans dans les Asturies. Antonio Rosas, paléontologue, était ce soir au Collège de France pour présenter ce cas sur lequel il travaille : les restes trouvés dans une cavité des galeries de la grotte d’El Sidron, ossements et morceaux d’os de cette famille, portent de très évidentes traces de boucherie et de dents humaines qui les ont mâchonnés. Que s’est-il passé ? Étaient-ils morts avant, dans quelque accident par exemple ? Il semble plus vraisemblable qu’ils aient été massacrés, puis mangés rapidement – certains morceaux ont été laissés, d’autres emportés – après avoir été découpés avec des outils taillés sur place dans un même bloc. Aucune trace de feu, ils ont été dévorés crus.

Le fait qu’il n’y ait quasiment pas de restes d’animaux indique que le lieu n’était pas celui d’un campement, seulement celui de ce repas cannibale. Il semble, dit Antonio Rosas, que le cannibalisme était largement pratiqué par nos ancêtres – on en trouve des indices sur d’autres sites, quoique moins spectaculaires qu’à El Sidron. D’après ce qu’on a pu observer des formes plus récentes de cannibalisme, on distingue l’endocannibalisme, cannibalisme à l’intérieur du groupe souvent motivé par des pratiques funéraires ou des rituels, et l’exocannibalisme, qui peut avoir pour but la conquête de trophées d’ennemis. Le cannibalisme peut aussi tout simplement avoir pour cause la faim – cela s’est encore produit lors du fameux accident d’avion de 1972 dans les Andes. Nous ne saurons pas pourquoi cette famille a été mangée par d’autres humains. Nous pourrons nous rappeler ce que disait Jean-Jacques Hublin dans l’heure de cours précédant l’exposé d’Antonio Rosas : les Néandertals avaient d’énormes besoins en calories. Autour de 5000 par jour et par personne, soit le double de l’homme moderne. Pour un groupe de 25 personnes, cela représentait un renne quotidien. Que faire lorsque le renne venait à manquer ? Les Néandertals ont disparu alors qu’ils prospéraient, on ne sait pourquoi.

Beaucoup d’hommes modernes aujourd’hui, dans la société de consommation, ont beaucoup trop de besoins, aussi.

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(le cours et le séminaire seront prochainement en ligne, comme y sont déjà les précédents, ici sur le site du Collège de France)

Le monde fantastique des Néandertaliens

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image trouvée ici (où d’éminents préhistoriens évoquent les peintures rupestres)

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Ayant compris, après avoir rédigé ma première note, qu’en fait tous les cours et séminaires se retrouvent en vidéo sur le site du Collège de France, je préfère de beaucoup conseiller de s’y référer directement, pour éviter toute approximation ou erreur. Cette fois je voudrais juste évoquer l’enchantement produit dans mon esprit par l’évocation, aujourd’hui en live, de la vie des Néandertaliens en Eurasie, depuis au moins quatre cent mille ans et jusqu’à il y a trente à quarante mille ans. Un long temps, partagé entre plusieurs périodes de glaciation et des intervalles interglaciaires (nous en vivons un en ce moment, la fin de l’Holocène). Au cours de ces périodes les paysages changeaient considérablement en fonction du climat, pouvant compter près de deux tiers de forêt et plus d’un tiers de prairie en période tempérée, alors qu’en période glaciaire il pouvait ne plus y avoir de forêt, seulement des paysages arctiques et de la prairie.

« C’étaient les plus grands chasseurs de tous les temps », dit Patrick Auguste, archéozoologue qui présentait ses travaux après le cours de Jean-Jacques Hublin. « Parfaitement adaptés à leur milieu, à leur territoire ». Une reconstitution d’artiste montre leur musculature particulièrement puissante. Ils vivaient par petits groupes, très peu nombreux en tout, vraisemblablement pas plus de quelques milliers dans toute l’Eurasie, huit cents par exemple pour toute la moitié nord de la France. Et ils étaient entourés d’un bestiaire extraordinaire. Un garde-manger, certes, mais qu’il fallait mériter. Car les bestiaux de cette époque étaient de tailles impressionnantes. L’aurochs, leur principal gibier, faisait deux mètres au garrot. Chasser un tel animal demandait une excellente coordination des chasseurs, donc probablement un langage, et une très bonne connaissance de l’animal. Et puis il y avait tous les autres, une gigantesque diversité animale. En période interglaciaire des hippopotames se baignaient dans la Tamise (les îles britanniques n’étant pas encore séparées du continent européen), et voisinaient en Eurasie cerfs, daims, macaques, éléphants de forêt, aurochs, rhinocéros de prairie, rhinocéros de forêt, sangliers… En période glaciaire, c’étaient mammouths laineux, rhinocéros laineux, rennes, bisons des steppes, chevaux des steppes, bœufs musqués, antilopes saïga… Et la faune ubiquiste, qui s’adaptait à différents paysages : petits équidés, cerfs mégacéros (deux mètres au garrot, bois pouvant atteindre 3,50 mètres d’envergure), chats sauvages, ours des cavernes, loups, lions des cavernes (ressemblant plutôt à des tigres mais avec près de 2 mètres au garrot !) Oublions l’imagerie des mammouths au milieu des glaces, chacun de ces animaux a besoin de 500 kg de fourrage par jour, ils vivaient dans la steppe.

Voilà dans quelle splendeur et dans quelle liberté se mouvaient les Néandertaliens, d’un campement à l’autre. Évidemment leur petit nombre les rendait fragiles, mais ils ont quand même traversé plusieurs centaines de milliers d’années. Ils devaient avoir une connaissance extrêmement fine de leur extraordinaire environnement, éprouver des sensations extrêmement fines aussi à son écoute.

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Collège de France : Jean-Jacques Hublin et Bence Viola sur les Dénisoviens et Néandertals dans l’Altaï

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bhier soir au Collège de France

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“L’évolution est une histoire d’extinctions”, a rappelé Jean-Jacques Hublin vers la fin, au moment des échanges avec le public. Beaucoup d’hommes du passé n’ont pas de descendance aujourd’hui : c’est le cas des Dénisoviens et des Néandertals, qui se sont éteints, mais dont certains gènes continuent à nous habiter, ou du moins à habiter certaines populations. Ainsi va la fascinante histoire de la vie.

C’était la première fois hier soir que j’allais assister à un cours au Collège de France. Quelle merveille nous avons là : rappelons que ces enseignements de très haut niveau, donnés par des chercheurs très éminents, sont ouverts à tous, gratuitement. Le bonheur de la science et de la recherche en leurs multiples domaines, dans la rigueur et l’humilité, une satisfaction puissante et rare. Voilà ce que j’appelle le luxe républicain, le savoir, la pensée offerts à tous – cela se passe aussi tout simplement dans les bibliothèques municipales, par exemple, où chacun peut emprunter de quoi nourrir son intelligence à volonté. Je ne vais pas tenter de retranscrire le cours et le séminaire ni de les résumer, simplement donner quelques éléments, en espérant ne pas trahir ce qui a été dit, tant par Jean-Jacques Hublin, responsable du cours de l’année, “Paléoanthropologie du genre Homo : les hommes intermédiaires”, et par Bence Viola, venu spécialement de Toronto pour le séminaire qui a suivi sur “Dénisoviens et Néandertals dans l’Altaï”.

Rappelons que l’homme de Néandertal est issu d’une migration de nos ancêtres africains sur le continent européen il y a environ cinq cent mille ans. Il a ensuite voyagé au Proche Orient et en Asie Centrale, et vécu jusqu’à il y a environ trente mille ans, laissant 1 à 3% de ses gènes à l’homme moderne, sauf en Afrique. Les Dénisoviens sont un groupe frère des Néandertaliens, découvert dans la grotte de Dénisova, dans l’Altaï, au cœur de l’Eurasie, et identifié génétiquement en 2010.

L’homme de Dénisova, qui doit son nom au saint ermite qui habita la grotte, est surtout une petite fille de cinq ou six ans, dont le seul reste trouvé, un minuscule bout de phalange, a permis une analyse génétique précise, qui a donné des résultats très étonnants. Déjà deux dents de sagesse d’adultes, retrouvées dans la même grotte, dont la température relativement basse et constante a permis la préservation des restes humains (quoique beaucoup aient été grignotés par des hyènes) présentent des particularités morphologiques et une taille (très grande) qui les rapprochent d’un homininé extrêmement ancien, comme l’Australopithèque (4 à 1 million d’années). Or, bien que la grotte présente une stratigraphie complexe, rendant les datations problématiques, les restes humains trouvés dans la couche 11 ne datent pas de plus de quelques dizaines de milliers d’années.

La petite fille de Dénisova aurait vécu il y a environ 80 000 ans. Son ADN mitochondrial ne ressemble en rien à celui de l’homme de Néandertal, ni à celui de l’homme moderne – mais à celui d’un ancêtre séparé depuis un million d’années. Son ADN nucléaire donne des résultats complètement différents de son ADN mitochondrial, et montre que Dénisoviens et Néandertaliens sont des groupes frères, séparés il y a 381 000 à 473 000 ans, peu de temps après la séparation des ancêtres de l’homme moderne et des ancêtres des Néandertaliens, qui aurait commencé il y a 650 000 ans selon les dernières estimations. Environ 6% de l’ADN des Dénisoviens est présent aujourd’hui chez les Papouasiens, en Nouvelle-Guinée, et 3 à 5% chez les Australiens, chez les peuples de l’est de l’Indonésie, des Fidji, de Polynésie, des Philippines. Il est probable que les hommes modernes, en allant vers l’Australie il y a environ 50 000 ans, aient rencontré les Dénisoviens sur leur chemin, et emporté avec eux un peu de leur matériel génétique. Car les espèces paléontologiques ont été interfécondes, avec degrés d’introgression du matériel génétique faibles. Il pourrait y avoir eu des Dénisoviens ailleurs en Asie, les recherches n’en sont qu’à leurs débuts et l’identification des restes trouvés par le passé n’est pas facile car on ne connaît les Dénisoviens que par leur génome, et non par leur morphologie. Il faudrait donc faire l’analyse génétique de certains restes possédés pour savoir s’ils sont dénisoviens. D’autre part les Chinois sont restés d’ardents défenseurs du modèle multirégional, modèle aujourd’hui abandonné par le reste de la communauté scientifique : ils pratiquent une paléontologie locale, ne prenant pas en compte les migrations mais envisageant l’évolution de l’homme en Chine comme purement locale. Il se pourrait que les Dénisoviens aient été présents aussi dans cette partie de l’Asie, mais depuis leur découverte aucun article scientifique chinois ne les a mentionnés… Quoiqu’il en soit, les recherches sont en cours, et la recherche est justement l’esprit des cours du Collège de France.

L’Asie centrale, entre Himalaya et taïga, déserts, montagnes immenses, steppe, marais de Sibérie… est souvent considérée comme une fin du monde, mais c’est aussi un grand carrefour du monde, connexion entre l’Est et l’Ouest par où passe la route de la soie, notamment par Samarkand, en Ouzbékistan. (Et je pense à La prose du Transsibérien de Blaise Cendrars !) Les Dénisoviens y étaient sans doute déjà présents quand sont arrivés les Néandertaliens, il y a plus de 100 000 ans. Ces derniers étaient mobiles et avaient un taux d’occupation des sites très faibles. À Dénisova, ils mangeaient les poissons de la rivière, comme le révèlent les restes trouvés sur place, et l’analyse du tartre sur leurs dents, dont les isotopes d’azote sont élevés. D’autres recherches sont menées dans des grottes proches, celles de Chagyrskaya, qui témoigne d’une occupation intense, et celle d’Okladnikov. Des outils du Moustérien y ont été trouvés, sans doute œuvres de Néandertaliens.

Un beau bracelet trouvé dans la couche 11 de la grotte, celle des Dénisoviens, interroge : ces gens étaient-ils capables, déjà, d’un tel art ? Ou bien est-il l’œuvre d’hommes plus récents, mélangée à leurs restes ? C’est une belle question, et ce que j’ai aussi trouvé très beau, c’est, notamment, les cartes de la terre, magnifique, avec ses habitants d’il y a quelques dizaines de milliers d’années encore : homme moderne en Afrique, homme de Néandertal en Europe, homme de Dénisova en Eurasie, et les trajets de leurs déplacements, de leurs migrations, de leurs rencontres.

Le cours peut être écouté en vidéo sur le site du Collège de France – ainsi que beaucoup d’autres cours.

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