Globale ou syllabique ? Éducation Nationale, le grand déni

grafLe ministre de l’Éducation nationale parle de restaurer la méthode syllabique d’apprentissage de la lecture, aussitôt les syndicats se récrient, prétendant que la globale n’est plus employée depuis « des décennies ». Il y a quinze ans, j’ai découvert avec une énorme consternation que le livre de lecture de mon fils, entrant au CP, lui demandait de « photographier les mots », avec petit dessin d’appareil photo à l’appui au-dessus des mots, avant qu’on lui ait seulement appris les lettres – cela viendrait, plus ou moins, plus tard. J’ai cherché et acheté un livre de méthode syllabique, à l’ancienne, et je lui ai appris à lire de cette façon, ce qui l’a beaucoup soulagé car il était désemparé par cette méthode qualifiée de semi-globale (qui a toujours cours) qui est tout simplement un interdit de penser. Sur la lancée, préférant prévenir que guérir, j’ai appris aussi à son petit frère à lire ainsi alors qu’il était encore à la maternelle (du coup, sachant déjà lire, il a pu prendre un an d’avance en primaire et depuis il a fait et fait d’excellentes études).

À la même époque, j’ai été invitée à dîner, avec quelques autres personnes, par la ministre de l’Éducation nationale alors en poste. J’en ai profité pour évoquer ce problème. Tous ses conseillers m’ont alors soutenu, comme le font les syndicats aujourd’hui, que cette méthode n’était plus employée depuis des décennies. J’avais beau leur parler du petit appareil photo du livre, ils niaient. Ce n’est pas tout, disent les syndicats d’enseignants, d’apprendre à déchiffrer, il faut aussi enseigner aux enfants à comprendre ce qu’ils lisent. Certes, mais comment le comprendraient-ils, s’ils sont incapables de le lire, comme un grand pourcentage d’entre eux à leur arrivée au collège ? La méthode syllabique ne fait pas qu’apprendre à déchiffrer. Comme les mathématiques ou l’apprentissage des langues, elle éduque le cerveau, le rend capable de déchiffrement non seulement des lettres mais du sens des textes, et de la complexité du monde. La globale est la méthode de la passivité, de la réception des images comme devant la télévision, de la destruction de la capacité à penser.

Tout semble fait pour empêcher les élèves de penser. Les programmes sont surchargés, il faut toucher à tout sans rien apprendre en profondeur. Ce n’est pas de l’apprentissage, c’est du zapping, et il n’en reste quasiment rien. Je ne crie pas à la décadence de l’éducation, car il y a très longtemps que le problème se pose, même s’il semble s’accentuer dramatiquement. Où ai-je appris la littérature ? Certainement pas au lycée, il y a plus de quarante ans. La méthode Lagarde & Michard n’était pas non plus apte à enseigner la lecture. Mais du moins n’avais-je aucun problème à déchiffrer un texte, et partant, à lire tous les livres que je voulais, sans souci des programmes. De même en mathématiques j’avais acquis assez d’outils pour le calcul à l’école primaire, mon cerveau était assez exercé pour aborder l’algèbre en sixième. Ce que j’ai vu avec la scolarité de mes derniers enfants, qui étaient en primaire au début des années 2000, c’était un programme aux yeux beaucoup plus gros que le ventre, où tout n’était qu’effleuré, dans toutes les matières. Pour autant, les enfants étant ce qu’ils sont, intelligents par nature, beaucoup arrivent à développer leurs capacités malgré les mauvaises méthodes d’apprentissage qu’ils subissent. Mais beaucoup, trop écrasés à la fois par le milieu social et par l’école, ne s’en sortent pas. Et nous n’avons pas le droit de nous y résoudre. Il en va de leur avenir et de notre avenir, de l’avenir de tout le pays, que chaque talent puisse se développer au mieux.

Dans quelques jours c’est la rentrée. Certifiée de l’année, je sais dans quel lycée j’ai été affectée, mais comme tous mes nouveaux collègues sans doute, j’ignore quelles classes me seront confiées et quel programme je devrai leur enseigner. On voit là tout le décalage entre des programmes venus d’en haut, contraignants, et l’impréparation, voire l’improvisation auxquelles sont abandonnées les enseignants. Si j’avais à faire moi-même un programme d’enseignement pour telle ou telle classe qu’on m’aurait dit me confier, je l’aurais préparé avec joie. Mais je me sens traitée comme un élève à qui l’on veut apprendre à lire en lui disant de photographier les mots : comme quelqu’un dont on veut nier l’intelligence et l’autonomie. Les programmes officiels du lycée, que j’ai consultés dans l’espoir d’y trouver des indications, sont si vastes qu’il faudrait y passer vingt ans avec une classe pour les aborder un peu sérieusement. Une situation déplorablement absurde.

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S’habiller stylé pour 1 à 5 euros

Beaucoup sont déjà au travail, beaucoup y retournent. Dès ce lundi matin, 28 août, je serai chaque jour requise par mon nouveau métier d’enseignante, entre réunions dans des universités et pré-rentrée dans mon lycée en banlieue. Après avoir pas mal travaillé cet été (pour ma thèse), je prends une journée de repos et je songe à la mode. L’important n’est pas de la suivre, mais de la faire.  Et de même qu’on peut aller en bibliothèque ou chez les bouquinistes plutôt que d’acheter les « livres de la rentrée », on peut composer son propre style et acheter de façon plus économique et plus écologique des vêtements de récupération, dans les friperies, les vide-grenier et les boutiques solidaires. Tous les pantalons, hauts, jupes, vestes, que j’ai photographiés ci-dessous m’ont coûté entre 1,50 et 5 euros pièce. On peut aussi faire ou arranger soi-même des accessoires, comme ces femmes de la vidéo qui suit, dans leur merveilleuse collaboration de dentellières à Berlin (n’oublions pas de nous servir de nos mains).

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jupe,

jupe

haut,,,

haut,,

haut,

haut

gilet

haut,,,,

pantalon,,

pantalon,

pantalon

robe

veste,,

veste,

veste*

Et voici la vidéo sur la styliste Ann-Kathrin Carstensen et son label Rita in Palma. Dans son atelier à Berlin, des femmes turques tressent des collerettes arachnéennes, des bijoux, des loups et des dessous chics, dans une très belle ambiance humaine et féminine. Cela me donne envie de refaire de la dentelle au crochet moi aussi, comme ma grand-mère m’avait appris à le faire, avec du fil de coton. Ces savoirs-faire artisanaux sont beaux, il faut les sauvegarder plutôt que de les confier à des machines comme le voulaient les banquiers de cette entrepreneure exemplaire.

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Saussure et Chaussures

Chaussures anciennes que je porte rarement mais que j'aime garder

Chaussures anciennes que je porte rarement mais que j’aime garder

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« Pour l’illustration de notre propos, il est suggestif de faire remarquer que Saussure observe dans l’acte de raconter un moment où le mot plein de sens direct se transforme en « mot pur ». Précisons que le « mot pur » en question ne désigne rien d’autre qu’un mot privé de contamination référentielle. Délié de l’origine référentielle, il fonctionne pour ainsi dire comme pur signifiant. On verra que c’est l’oubli qui tient un rôle primordial dans ce passage d’un mot impur au mot pur. N’est-ce pas l’oubli d’une « scène originaire » qui fait de la sémiologie saussurienne un système des valeurs pures ? Autrement dit, le référent historique ne fait irruption dans la sémiologie saussurienne qu’à condition qu’il soit ensuite oublié, sinon évacué. Ne peut-on pas dire dans ces conditions que la mythographie saussurienne est une tentative de retrouver l’objet perdu dans la « scène originaire »? « Le crochet extérieur où pendre la légende » est un crochet fragile, et cela à cause d’un facteur oubli, à savoir d’un facteur temps. C’est à partir du moment où la trace mnémonique d’un référent historique s’estompe au cours du temps que la mythologie devient de plus en plus pure. »
Yong-Ho CHOI, Le temps chez Saussure, thèse de Doctorat, Université de Paris X-Nanterre, 1997

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Chaussures que je porte et vais porter à la rentrée

Chaussures que je porte et vais porter à la rentrée

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Si ceci ne sont pas pas des chaussures, pour paraphraser Magritte, ceci n’a-t-il pas quelque chose à voir avec des mots purs, porteurs virtuels de légendes et de mythologie ?
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Antigone et Ismène chez Sophocle, Jean-Michel Folon et Bom.K dans le 13e

"La porte", fresque de Jean-Michel Folon au 180 rue Nationale (1985)

« La porte », fresque de Jean-Michel Folon au 180 rue Nationale (1985)

L’une a choisi la mort pour sauver l’honneur, l’autre a choisi la vie pour sauver la vie. L’une sans l’autre ne vaudrait rien. Antigone et Ismène sont les deux faces d’une même médaille, une médaille qui ne se reçoit pas d’autrui, la médaille intérieure que chaque humain peut gagner, les deux valves d’un même cœur.

fresque de Bom.K boulevard Vincent Auriol, métro Nationale

fresque de Bom.K boulevard Vincent Auriol, métro Nationale

hier à Paris, photos Alina Reyes

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autres notes sur Antigone ;

parmi les autres fresques que j’ai photographiées dans le 13e, les récentes ; d’autres ; d’autres ; d’autres ; d’autres

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