Figures au fil des rues

Dans les rues, toutes sortes de figures sur les murs et ailleurs vous font signe. Voici celles que j’ai vues aujourd’hui en chemin, dont une belle fresque nouvelle signée Solus au Centre culturel irlandais, et pour finir mes photos d’identité « conformes », sans lunettes et oreilles dégagées, pour renouvellement de mon passeport.

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invader

street art

ghost

edouard vaillant

solus

figure

photo d'identitéaujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes

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Nous accusons le patriarcat

Screenshot-2017-10-31 Euterpe ( Euterpeaventure) TwitterCes femmes – et ces hommes – qui refusent haut et fort la célébration médiatique des violeurs, des pédophiles, des assassins, sont l’honneur de la société comme Zola le fut avec son J’accuse.  Le patriarcat, le sexisme, la culture du viol sont d’autant plus ancrés que beaucoup en sont les collabos, devant tout au système. Ils ne voient pas combien ils sont vieux et dépassés, dépassées. Netflix l’a compris en déprogrammant la série House of Cards où jouait Kevin Spacey, après des révélations sur des attouchement qu’il a infligés jadis à un jeune adolescent – et il faut lire ce témoignage du frère de l’acteur, sur leur père violenteur et violeur, pour voir l’enchaînement du mal dans le système patriarcal. D’autres comme Woody Allen restent sur le devant de la scène mais dégoûtent. Nous n’acceptons plus de voir célébrée la tête des tortionnaires. La Cinémathèque française et des médias et journalistes collabos ne démordent pas de leur volonté de fermer les yeux sur cette question, sur le dégoût que provoque la vision de violeurs ou violenteurs d’enfants ou de femmes. Ils ne font que prouver ainsi leur mépris des enfants et des femmes, réduits à l’état de viande pour cannibales sexuels, avec la complicité de la vieille société. Dont les fondements patriarcaux sont en train, enfin et heureusement, de s’écrouler.

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Voyage au centre du ciel

Sans me vanter il fait frais, et je me réchauffe en écrivant ma thèse, que je trouve magnifique. C’est la littérature qui est magnifique. Je lui rends hommage en la pénétrant, et c’est aussi la révéler, à l’heure où l’industrie culturelle et éditoriale aveugle les lecteurs en posant ses déjections sur les étals. La littérature falsifiée n’a aucune profondeur, elle est plate comme un écran de mauvais cinéma et fait écran à la vérité. La littérature est au fond du puits, pourrait-on dire en paraphrasant Démocrite. C’est au fond que se trouve l’eau pure, et que je vais la puiser, dans ce puits plein de suie qui descend jusqu’au ciel.

 

Changement d’heure : winter is coming (for the pigs)

 

Ce n’est plus seulement la honte qui change de camp, c’est aussi la trouille. Le déluge des témoignages de femmes se poursuit, les révélations pleuvent. Celle qui concerne Tariq Ramadan est aussi emblématique que celle de la pédophilie dans l’Église. Sans doute certain.e.s savaient, mais entre certain.e.s et tout le monde, il y a une sacrée différence. J’avais dit à ce monsieur, il y a quelques années sur facebook, qu’il avait grand tort de se faire idolâtrer – tous mes commentaires étaient supprimés. Qu’il relise le Coran, s’il sait un peu lire, il comprendra ce qui lui arrive. Et que ses idolâtres réfléchissent à leur idolâtrie. Je leur ai bien dit, aussi, qu’il fallait comprendre la religion autrement qu’à la lettre, et que le porc interdit, c’était avant tout le porc intérieur.

On s’en prend plus violemment aux religieux et c’est normal, car leur crime est double puisqu’ils se posent en autorités morales, voire en représentants de Dieu. Mais il y a des gourous malfaisants dans toutes sortes de domaines, et certains que les bien-pensants ne songeraient pas à attaquer.  Des politiques, des  journalistes, des écrivains, des artistes, autres sortes d’autorités morales, de gens qui se font souvent plus ou moins idolâtrer, et qui comptent des abuseurs, des violents, des sadiques – que leurs violences ou leurs crimes s’expriment physiquement ou plus sournoisement, en solo ou en groupe. La révélation viendra pour chacun à son heure. Et ils auront pour cachot la honte, longtemps encore après leur mort.

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La dessinatrice

dessinatrice

Elle était en train de dessiner un arbre au crayon dans le jardin alpin du jardin des Plantes. Les deux fillettes dessinaient et peignaient sur des feuilles par terre. Un homme en passant s’est arrêté pour observer le feuillage de ce sequoia (metasequoia glyptostobroides, arbre découvert récemment, en 1941 – celui-ci est né en 1948, venu d’Amérique ; il reste probablement encore des arbres à découvrir). Aujourd’hui à Paris, photo Alina Reyes

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Heureusement il y a les Académiciens

à la Butte aux Cailles, photo Alina Reyes

à la Butte aux Cailles, photo Alina Reyes

L’actualité n’est pas gaie, entre la situation internationale, le crime génocidaire contre les Rohingyas qui se poursuit, le malaise grandissant de l’Europe, et ici en France l’anniversaire de l’assassinat de Rémi Fraisse par la police française, l’addiction de Macron aux insultes aux pauvres – maintenant aux Guyanais sur lesquels il lâche son mépris de père Noël des riches… Mais au moins nous avons des clowns en habit vert pour nous faire rire un peu, un instant. « À l’unanimité de ses membres » flapis, dans la séance d’hier, l’Académie a déclaré solennellement que « la langue française se trouve désormais en péril mortel ». On pourrait croire qu’ils nous rejouent la querelle des Anciens et des Modernes, mais alors avec que des anciens, et qui n’ont d’antique que la carcasse. Laquelle est bel et bien en péril mortel. Allons les ronchons, cessez donc de prendre ce qui vous guette et ne vous loupera pas en effet, votre proche destin, pour celui de la langue française, qui en a vu bien d’autres et vous enterrera tou.te.s.

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Poe, Magritte, et les lettres en leur tracé

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Un extrait de ma thèse, en majeure partie écrit ce matin à partir de cinq heures :

Ce que Magritte paraît avoir compris, en lisant Poe, de la démultiplication de l’être par la représentation, la création de personnages, c’est que celles-ci mettent en évidence une inter-diction de la reproduction de la réalité par l’art, par la diction placée à la fois comme miroir et comme mur ou rideau (the white curtain évoqué dans les dernières lignes du roman de Poe) entre la réalité et l’œuvre. L’art, la littérature, ne sont pas des reproductions de l’être mais des mécanismes à réveiller la conscience de l’être. Mécanismes comparables à l’allégorie de la Caverne de Platon, faite pour réveiller la conscience des hommes face au mur de représentations humaines qui ne sont pas plus des êtres humains que la pipe ou la pomme peintes par Magritte ne sont une pipe ou une pomme.

Poe « écrit sur les inter-états (interstates) », dit Paul Auster. Et jouant sur le mot interstate qui signifie aussi autoroute : « c’est juste une narration roulante (just a rolling narrative) », ajoute-il, la plupart du temps débarrassée des dialogues et des descriptions de ce qu’on appelle le réalisme contemporain.1 La narration de Poe roule telle une logique implacable d’un état de l’être à l’autre, même quand cette logique se dissimule telle sa « lettre volée » dans une énigme que le texte ne semble pas résoudre mais au contraire opacifier, brouiller voire disperser ainsi que dans The Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket, où le récit est entrecoupé de passages documentaires longs comme des traversées encombrées d’interminables banlieues de la littérature et parcourt de nuit des énigmes violemment éclairées par les phares du véhicule, d’autant plus incompréhensibles que le reste du paysage reste plongé dans la nuit noire ou dans un épais brouillard, tel celui qui fait rideau (curtain) à la fin du roman.

Nous émettons ici l’hypothèse que cette association de discours et de registres, documentaire-explicatif et narratif-fantastique, aussi incongrue d’un point de vue structurel et stylistique que celle d’un parapluie et d’une machine à coudre, loin d’être une maladresse de l’auteur, vise à opérer dans l’esprit du lecteur des passages audacieux d’un état à l’autre, générateurs d’une nouvelle appréhension du réel. Poe ne livre pas plus la solution de son roman que Magritte ne livre le visage du personnage de sa Reproduction interdite car la solution n’est pas la représentation ni ce qui est représenté, elle est dans l’énigme, dans l’œuvre elle-même comme voie, comme questionnement de l’être : le but et l’enseignement du voyage se trouve dans le fait-même de voyager, c’est-à-dire dans l’interrogation et le fait d’interroger.

La « face blanche et personnelle de Dieu » que Jack Kerouac raconte avoir vue au cours d’une tempête en mer, lui disant « Ti-Jean, ne te tourmente pas, si je vous prends aujourd’hui, toi et tous ces pauvres diables qui sont sur ce rafiot, c’est parce que rien n’est jamais arrivé sauf Moi, tout est Moi », ne rappelle-t-elle pas la « figure blanche » que le narrateur du roman de Poe voit se dresser devant lui au moment du naufrage imminent ? « Et nous atteindrons l’Afrique, dit peu après Kerouac, nous l’avons atteinte d’ailleurs, et si j’ai appris une leçon, ce fut une leçon en BLANC. »2

Leçon en blanc, non écrite noir sur blanc, leçon telle une page blanche dressée devant l’homme ou le lecteur qui la vit, leçon qui dépasse celle du « miroir promené le long du chemin », comme le disait du roman Stendhal3, leçon où le texte n’agit pas en miroir où se reconnaître mais en miroir où ne plus se voir, ou se découvrir perdu de vue – pour mieux se trouver ailleurs. Dans un ailleurs indicible ou proche de l’indicible, un ailleurs seulement suggéré par l’énigme semée, par le rejet du spectateur-lecteur derrière son propre dos, sur une scène originelle, telle « l’Afrique » de Kerouac, bien plus étrange, lointaine et pourtant familière que la scène primitive selon Freud.

René Magritte, "La Reproduction interdite"

René Magritte, « La Reproduction interdite »

« Si c’est un point qui réclame réflexion, dit Dupin dans La Lettre volée, nous aurons avantage à l’examiner dans le noir. »4 La réflexion se fait dans le noir. Il faut passer par le noir pour advenir à la lumière, à la contemplation de la lumière. Ainsi pourraient se résumer Les Aventures d’Arthur Gordon Pym, où les tribulations finales du narrateur dans une peuplade adoratrice du noir (tout est noir chez ces gens, objets, peau et même dents) aboutissent à cette apothéose apocalyptique du naufrage-vision de la grande figure blanche. Mais reflection, mot signifiant en anglais à la fois reflet et réflexion, rime avec mystification dans la nouvelle éponyme de Poe, où un mystificateur se propose de réparer un affront en lançant une carafe non à la face de celui dont il s’estime insulté, mais dans son reflet, en lui demandant de prendre « the reflection of your person in yonder mirror »5 pour lui-même. Il s’avère à la fin du texte qu’il ne s’agit encore là que de l’image annonciatrice d’une manipulation bien plus subtile, une manipulation verbale, avec des mots écrits, une manipulation intellectuelle, réfléchie, par laquelle celui au reflet duquel il lance en effet une bouteille, brisant le miroir et son image avec, sera plus complètement berné et ridiculisé.

La réflexion, qu’elle soit reflet physique ou psychique, image ou image mentale, révélation du visage ou pensée, est associée à la lettre, et de façon très ambivalente. Les miroirs terrifient les indigènes de Tsalal. Les méandres souterrains (explorés par le narrateur et son compagnon retournés à la condition primitive, faisant du feu en frottant deux morceaux de bois et vivant de cueillette et de chasse), ce que Baudelaire titre (chapitre XXIII) « le labyrinthe », les galeries de l’abîme (the chasm)6 de l’île où vivent ces gens aussi noirs qu’un alphabet sur pattes sur une page ou dans les caractères d’une imprimerie, ont des formes, des tracés (outlines of the chasm)7 rappelant ceux de lettres, notamment hébraïques. Et leur cri de terreur, à la toute fin repris par les gigantesques oiseaux blancs apparus dans le ciel, Tekeki-li, a lui aussi une consonance sémitique. L’écriture actuelle habite secrètement dans les profondeurs, les cavernes des écritures originelles.

La Reproduction interdite de Magritte reflète l’œuvre de Poe, notamment dans l’interdiction où se trouvent le narrateur et son dernier compagnon de revenir là d’où ils viennent, l’interdiction d’un retour sur soi8 – et la trahit en même temps, en représentant ce personnage sans visage. Car Poe dépasse l’interdit, le transgresse, grâce à l’écrit. Grâce à la lettre, et malgré son caractère secrètement maléfique – grâce à son dépassement de la lettre, plutôt, mais il a fallu en passer par là – il accède à la figure (mot que Baudelaire traduit malheureusement par « l’homme » dans la dernière phrase du roman, avant la « Note » qui suit cette fin). Une figure bien plus grande que la sienne, mais une figure et non pas un dos. Il accède à la figure ultime, celle dont la vision est interdite, vision dont normalement on ne revient pas – raison pour laquelle elle est interdite. Avalé par l’abîme (a chasm) qui s’ouvre brusquement (threw itself open) pour les recevoir (to receive us), lui, son compagnon (son double, son reflet ?) et la lettre désormais morte (Nu-Nu, nom de l’indigène noir, l’habitant de Tsalal embarqué avec eux qui est aussi, redoublé, celui d’une lettre grecque, ce Nu, ou Noun en hébreu et en arabe, initiale des Nazaréens qui continue à désigner aujourd’hui les chrétiens d’Orient – cette lettre désormais morte (his spirit departed), rappelant le mot de saint Paul (écrit en grec) selon lequel « la lettre tue, l’esprit vivifie »9, c’est-à-dire : le salut est de lire non à la lettre mais dans l’esprit de la lettre), avalé par l’abîme comme Jonas par la baleine, Edgar Allan Poe, alias Arthur Gordon Pym, ne devrait pas pouvoir en revenir. Or il en revient (sans son compagnon au nom de disciple de Jésus, Peters), et raconte. Tout, sauf ce qui s’est passé entre l’abîme et le présent recouvré. La peuplade-alphabet, la lettre à-la-lettre a voulu le tuer. Qu’est-ce qui a pu le sauver, sinon cette figure « de la blancheur parfaite de la neige » (of the perfect whiteness of the snow) qui s’est dressée sur la chaîne de montagnes vaporeuse (the range of vapor), aussi vaporeuse que les montagnes rendues comme de la laine cardée prophétisées par le Coran pour le jour de l’abîme et de la résurrection10 (Coran connu de Poe), aussi embrumée que la montagne où Moïse partit à la rencontre de la face de Dieu11, cherchée par tous les prophètes ? Cela se passe dans le roman un 22 mars – date pascale – dans la région de nouveauté et d’étonnement, d’émerveillement (region of novelty and wonder) où ils sont entrés le premier du mois, selon le journal de bord.

1 Paul AUSTER en conversation avec Isaac GEWIRTZ à la New York Public Library le 16 janvier 2014

2 Jack KEROUAC, Le vagabond solitaire

3 STENDHAL, Le Rouge et le Noir, épigraphe du chapitre V

4 « If it is any point requiring reflection, (…) we shall examine it to better purpose in the dark ». Edgar POE, The Purloined Letter, in Complete Tales & Poems, Vintage Books Edition, New York, 1975, p.208

5 « Le reflet de votre personne dans ce miroir-là. » Edgar POE, Mystification, in Complete Tales & Poems, Vintage Books Edition, New York, 1975, p.357

6 Edgar POE, Narrative of Arthur Gordon Pym, in Complete Tales & Poems, Vintage Books Edition, New York, 1975, p.871

7 id.

8 Edgar POE, Narrative of Arthur Gordon Pym, in Complete Tales & Poems, Vintage Books Edition, New York, 1975, chapitre XXV, p.879

9 2 Corinthiens 3, 6

10 Coran, sourate 101, Al-Qari, « Le Fracas » (appellation métaphorique de la résurrection), versets 5 (pour les montagnes) et 9 (pour l’abîme)

11 Exode 24, 15