Crète : Héraklion, Cnossos

« Je n’espère rien, je ne crains rien, je suis libre ».

Épitaphe de Nikos Kazantzaki (né à Héraklion), choisi par lui et extrait de son essai L’Ascèse

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Vue de notre chambre. Ce matin, tôt, les cloches ont longuement sonné, puis, trois heures durant, on a entendu la célébration religieuse donnée dans cette cathédrale orthodoxe pour les enfants des écoles, qui se pressaient très nombreux sur le parvis.

En Grèce le ministère de l’Éducation est aussi celui des Affaires religieuses ; écoliers, collégiens et lycéens commencent la journée par une prière collective et ont deux heures de catéchisme (une heure pour les lycéens) par semaine. Ils assistent à la messe et trois fois par an au moins, dont le 30 janvier, fête des Trois saints hiérarques, tous les élèves sont emmenés à l’église pour une grande célébration. Le poids de l’église se fait sentir comme il s’est fait sentir pour Kazantzaki, esprit libre qui n’a pu être inhumé au cimetière, sur interdiction des popes.

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Après avoir séjourné à La Canée puis à Chora Sfakion, nous sommes donc retournés à Héraklion. J’y ai visité aussi ce musée d’icônes anciennes, ici également vu de notre chambre.

Celle-ci représente la » Vierge Buisson ardent » ; elle est l’œuvre de Michel Damaskinos, qui fut sans doute le maître à Héraklion du peintre El Greco (dont deux œuvres sont visibles au musée historique de la ville) :

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Quel scandale que le guide du Routard, que j’ai emprunté à la bibliothèque avant de partir, juge rétrograde le fait que les élèves grecs aient une heure de cours de grec ancien par semaine ! Encore heureux qu’ils n’aient pas que la religion pour culture, qu’ils aient accès à leur immense culture antique et à leur langue magnifique.

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crete heraklion 5-minDans  cette galerie, une exposition d’un peintre crétois contemporain, Kostis Moudatsoscrete heraklion 6-min

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Au musée archéologique (dont les salles de l’étage n’étaient malheureusement pas ouvertes), beaucoup de figures minoennes, dont certaines très fameuses :crete heraklion 7-min

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…et cette femme assise en demi-lotus, ou siddhasana, comme on dit au yoga et comme moi tous les matins :crete heraklion 8-min

…et celle-ci avec des pavots sur la tête :

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… le disque de Phaïstos et son écriture toujours non entièrement déchiffrée:crete heraklion 10-min

…des taureaux bien sûr :crete heraklion 13-min

… et des doubles haches :crete heraklion 16-min

ainsi qu’une maquette du palais de Cnossos, où nous nous rendons le lendemain :crete heraklion 17-min

crete heraklion 21-minC’est ma troisième visite sur ce site, mais la première où nous y étions quasiment seuls, voire par moments complètement seuls (nous y sommes restés longtemps, à flaner ou nous reposer au soleil) crete heraklion 22-min

La reconstruction partielle du palais par Arthur Evans a été critiquée mais je l’aime bien, elle permet de se représenter mieux ce que fut le palais-labyrinthe en ces temps très anciens, avec ses centaines de pièces sur plusieurs étages, ses fresques et ses couleurscrete heraklion 23-min

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De retour à Héraklion, dans son vieux centre où la vie est bien douce, entre cafés, tavernes et marchécrete heraklion 32-min

…le lendemain visite du très intéressant musée historique, retraçant l’histoire mouvementée de l’île-continent.

« L’union ou la mort ». Le combat de la Crète pour se libérer du joug ottoman (après d’autres occupations) fut long et peut inspirer d’autres peuples aujourd’hui – je pense aux Palestiniens.

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Au dernier étage du musée, reconstitution du bureau de Kazantzaki à Antibes ; il comprend aussi, invisible sur la photo, un petit lit pour le reposcrete heraklion 34-min

Ce dessin d’un Indien dansant est de la main de l’immense poète :crete heraklion 35-min

Ces jours-ci à Héraklion, photos Alina Reyes

Toutes mes notes sur la Crète : ici

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Tolkien à la BnF, effet brut

« La volonté du mal ruine souvent le mal »

Tolkien, cité dans l’exposition qui lui est consacrée à la BnF. Je l’ai visitée aujourd’hui. L’impression est de se trouver face à un géant de mythologie. Qu’un homme seul ait créé une œuvre d’une telle ampleur et d’une telle précision apparaît comme prodigieux. Dessins, peintures, plans, invention de langues et bien sûr invention de mondes… Tolkien me fait penser à certains créateurs d’art brut : devant leurs œuvres si singulières on reste surtout admiratif devant l’insoupçonné de la nature humaine. Sauf que Tolkien était un savant. Quand ce jaillissement de la création se conjugue à la science du langage et des littératures, il est encore plus étonnant, plus puissant.

J’ai fait quelques photos au début de la visite, puis un gardien est venu me dire que c’était interdit, ce que je ne savais pas, et j’ai respecté l’interdit. Voici juste les quelques images que j’ai prises : des manuscrits, des projets de couverture dessinés par lui, et l’une des tapisseries tissées récemment à Aubusson d’après certains de ses dessins.

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Coquille en coupe : qu’est-ce qu’écrire ?

dessin de ces jours-ci dans mon carnet de notes

dessin de ces jours-ci dans mon carnet de notes

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Poétique du trait. Que font les enfants dans les communautés où ils ne disposent ni de crayons ni de papier, ni de jouets industriels ni de jeux vidéos ? Avec un bâton ou bien au doigt, ils tracent des traits par terre. Pourquoi ? L’humain se projette. Quelque chose d’enfoui dans la matière humaine doit se projeter en géométrie (en « mesure de la terre », mesure en laquelle l’homme prend sa propre mesure, tel l’arpenteur du Château de Kafka ; selon la tradition, Platon affichait au fronton de son Académie : « nul n’entre ici s’il n’est géomètre » – le fait est en tout cas qu’il prône au chapitre VII de la République la nécessité pour le philosophe d’étudier la géométrie, l’astronomie et l’harmonie). L’homme se projette en géométrie et en images. Aussi sûrement que l’abeille doit construire sa ruche, l’araignée sa toile, l’oiseau son nid, le lièvre son gîte, le fauve son repaire, l’humain doit élaborer autour de lui une forme où sa pensée puisse habiter, évoluer, prospérer.

Je tourne et retourne autour de mon sujet, je veux le faire partir du centre, et de là, se dérouler. Je pourrai alors dire : tu es coquille et je veux te bâtir en t’émanant de moi, spiralante structure. Une thèse c’est, étymologiquement, une position. Argumentée. Si je veux développer une pensée de la poétique, de la poétique de la poésie à partir de la poétique du trait inaugural, une pensée de la langue profonde, il me faut partir moi-même d’une position profonde. Mon explication, autrement dit mon dépliement, doit venir de mon implication, de mon pliement dans le sujet. Que je sois le sujet, que le sujet m’enfante, et que j’enfante, que je mette au monde le sujet. (« Se replier sur soi-même, dit Husserl, et, au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu’ici et tenter de les reconstruire »)1.

Je n’ai pas l’intention d’élaborer un poème à thèse, mais peut-être, habitant en poète, construirai-je une thèse habitée, habitable. Une thèse à fonction poétique, laquelle selon Roman Jakobson « projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison »2 – c’est-à-dire une fonction dans laquelle la forme physique du texte a autant de valeur que les articulations de sa seule fonction sémantique. Ceci, pour mon travail, à un niveau essentiellement macrostructural : où Jakobson se penche sur la poésie au niveau microstructural en évoquant les séquences syllabiques et rythmiques, le vers, ses rejets, ses enjambements etc., j’indiquerai que la fonction poétique est sans doute à l’œuvre dans mon écriture même (Mallarmé ne disait-il pas que « toutes les fois qu’il y a effort au style, il y a versification » ?3), mais aussi et surtout dans la composition de mon livre, dans le tissage entre données du réel (dans les champs de l’intime comme dans ceux de l’Histoire) et données de l’art et de la littérature, dans l’agencement de ses blocs de textes, de ses registres, de ses thèmes, de ses citations, de ses références, de leurs correspondances physiques, dans leurs reprises au rôle semblable à celui des rimes, des sonorités et des tempi de la versification, dans sa polyphonie kaléidoscopique et son ensemble symphonique.

1 Edmund HUSSERL, Méditations cartésiennes, cité par Philippe DESCOLA, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, p. 133
2 Roman JAKOBSON, Closing Statement : Linguistics and Poetics, Massachusetts Institute of Technology, 1960. Essais de linguistique générale, trad. de l’anglais et préfacé par Nicolas Ruwet, Paris, Éditions de Minuit, coll. Arguments, 1963, p. 220
3 Stéphane MALLARMÉ, in Jules HURET, Enquête sur l’évolution littéraire, Bibliothèque Charpentier, Paris, 1891, p. 57 ; wikisource.org

Extrait du Prélude de ma thèse, valable pour toute écriture selon mon sens et pour mon nouveau travail en cours

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La science comme défrichement, restauration, traduction. L’exemple de Bayt Ras

Dionysos et autres dieux défrichant la cité.  Julien ALIQUOT/ HiSoMA 2018

Dionysos et autres dieux défrichant la cité.
Julien ALIQUOT/ HiSoMA 2018

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« Dans le nord de la Jordanie, un tombeau peint d’époque romaine a été mis au jour par le Département des antiquités du pays. Depuis, historiens et épigraphistes essaient d’interpréter les peintures et les textes, véritables témoins de l’histoire religieuse, politique et sociale de la région. » Ainsi commence l’article du CNRS présentant les découvertes fantastiques de fresques comparées à des bandes dessinées (avec « bulles » de certains personnages commentant leurs actions à la première personne, « je »). Je renvoie à l’article, extrêmement intéressant, plutôt que de le paraphraser.

 

 

La partie de la fresque représentant Dionysos et d’autres dieux en train de défricher l’emplacement de la cité ne pourrait-elle être lue comme allégorie de l’Archéologie et des archéologues en train de défricher cet hypogée ? Voilà un splendide ruban de Möbius, tel que je l’évoque dans ma thèse, qui est elle-même une fresque.  Oui, la science peut être dionysiaque. Et Dionysos peut figurer la force qui fait sortir de la mort.

Je l’ai dit lors de la soutenance de ma thèse, je considère la traduction comme, selon son étymologie de « conduire à travers », un acte arrachant un texte de la mort (pour celui qui ne comprend pas la langue dans laquelle il est écrit, ou bien pour celui qui a une idée figée de son sens, un texte est lettre morte) à la vie, une autre vie. (Et c’est pourquoi les traductions se trouvent au mitan de ma thèse, comme passage d’un état à un autre de la pensée). La traduction est d’abord défrichement-déchiffrement, puis restauration, remise au jour, re-mise au monde, résurrection.

À Bayt Ras (« Maison du Chef », ou « du Sommet »), les archéologues font ce travail de traduction. De la langue employée dans les textes qui accompagnent les peintures, un araméen écrit en lettres grecques ; et des fresques elles-mêmes. Et c’est aussi un défrichement, une restauration, une réactualisation du sens de l’humain, comme toute science, toute recherche non figée, en constant mouvement.

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L’amour court les rues, voici ses traces du jour

trottoir 1Je devais aller chercher un livre que j’avais commandé. Sur le chemin, boulevard de l’Hôpital, j’ai photographié les inscriptions sur le trottoir

trottoir 2

trottoir 3*

La boutique où je devais retirer mon livre était fermée, j’avais près de deux heures devant moi avant son ouverture. Je suis allée à la mairie du 13e, où je savais qu’il y avait une nouvelle exposition d’un peintre chinois.

shanping liuSa fille était en train de finir de l’installer, j’ai parlé avec elle.

shanping liu,

shanping liu 1Shanping Liu peint beaucoup, à l’encre, les cyprès, nommés en Chine arbres de vie, et qui peuvent vivre 5000 ans

shanping liu 2C’est très très beau. Et aussi la montagne, et ses monastères

shanping liu 3

shanping liu,,

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graff

Comme il me restait encore du temps, je suis allée, de l’autre côté de la place d’Italie, jusqu’à ma friperie préférée, Guerisol, où j’ai trouvé un bon pull et un chemisier quasi neufs à 3 euros chacun

guerisol

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Puis je suis retournée à la boutique où j’ai enfin récupéré mon colis. Je me suis dirigée vers le jardin des Plantes dans le but de m’y asseoir pour découvrir mon livre. En chemin, j’ai photographié des espaces végétalisés sur les trottoirs.

anarchie vegetale pour un monde moins brutalSur le petit panneau en haut de celui-ci, on pouvait lire : « anarchie végétale pour un monde moins brutal »

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vegetal,

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Une fois au jardin, j’ai ouvert mon colis et découvert cette merveille,

monsters,,My Favorite Thing is Monsters, le roman graphique d’Emil Ferris, tout au stylo. Il vient de paraître aussi en traduction française, mais je préférais avoir la version originale. Magnifiquement dessiné, mis en page, raconté.

monsters

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Après avoir lu et contemplé les premières pages au soleil, je suis allée à la bibliothèque du jardin où je me suis assise pour dessiner « les doigts verts » dans mon carnet avec mon stylo 4 couleurs

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Hier après-midi à Paris 13e et 5e, photos Alina Reyes

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