Les enchaînés

 

Triste spectacle que celui du combat de coqs de ces jeunes bourgeois de longue ou fraîche date, élevés dans de bonnes institutions, nourris à la compétition, et destinés à se disputer – à quel vil prix – les places dans ces mêmes ou d’autres bonnes institutions comme dans les médias. Si vieux moulins à vent que tous ces serviteurs involontaires d’un système que souvent, ils prétendent combattre. Le plus étrange est la vision de l’aliénation inconsciente de ces hommes à compromissions. Ceux qui croient qu’ils ne sont pas rien.

Qu’ils considèrent l’existence aliénée qu’ont vécue leurs aînés, vieux cons manipulateurs aux masques si collés que les arracher ne révèle plus leur visage, seulement la laideur de leur monde. Veulent-ils vraiment devenir de ces marionnettes à l’intellect si limité par leur condition qu’elles ne peuvent savoir, donc ne peuvent comprendre, ni vivre, ce qu’est et vit un être libre ?

La servitude involontaire transcende les classes sociales, on la trouve aux derniers comme aux premiers barreaux de l’échelle. Tout être libre admet délibérément une part de servitude volontaire dans son existence. Mais c’est de leur servitude involontaire que vient l’aliénation irréductible de l’homme et de la femme. De leur soumission à leurs mauvaises passions, à leurs jalousies, à leurs envies, à leurs paresses, à leurs veuleries, à leurs hontes, à leurs laideurs, à leurs appétits pour ce qui brille et à leurs haines de la liberté. Ceux qui sont quelque chose sont les mêmes que ceux qui aiment ceux qui sont quelque chose. Des idolâtres. Enchaînés.

 

hippopo-minHier à la médiathèque du jardin des Plantes, photo Alina Reyes

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Cane, canetons, canards, etc.

Avant d’aller travailler à la bibliothèque de recherche du Muséum, je suis allée passer un bon moment dans le jardin. Pour commencer, j’ai rencontré mes amis le couple de canards, que je vais voir très souvent, et j’ai eu le bonheur de découvrir leurs sept adorables nouveau-nés.

 

canards etc. 1-minD’habitude, quand elle est avec son compagnon, c’est lui qui m’écoute, tandis qu’elle me snobe un peu. Mais là, quand j’arrive, elle conduit tous ses canetons dans l’herbe, comme pour me les présenter, puis elle m’écoute, toute heureuse et fière, la féliciter.

canards etc. 2-min

canards etc. 3-min

Lui est là et les suit de bassin en bassin, mais toujours à distance, sans doute aussi pour surveiller : les corneilles et autres dangers menacent les petits. D’autres années, j’ai vu ainsi de jour en jour diminuer leur nombre auprès de leurs parents.

canards etc. 6-min

canards etc. 5-min

Allez les enfants, on retourne à l’eau !

canards etc. 7-min

Et on change de bassin. Ah mais il faut sauter du bord. Un ou deux sont intrépides et y vont direct, pour les autres c’est plus compliqué

canards etc. 8-min

canards etc. 9-minBravo bébé tu l’as fait

canards etc. 10-minCeux-là tremblotent et tergiversent

canards etc. 11-minSans parler de ceux qui sont encore de l’autre côté, ayant du mal à grimper sur le bord. Il faut aller les encourager

canards etc. 12-minCelui-ci est malin, il a repéré l’endroit où il peut contourner la difficulté en descendant par paliers. Les derniers le suivent par le même chemin.

Je reprends ma promenade et m’arrête plus loin, où se trouve un autre couple de canards, plus jeunes et au plumage splendide.

canards etc. 13-minLui

canards etc. 14-minElle

canards etc. 15-minOui, tu es très belle, pleine de grâce.

Quand je retourne voir la petite famille, elle a encore changé de bassin. Il y a des gens autour, je ne m’attarde pas. Mais je me rends compte ce matin en regardant mes photos qu’il n’y figure plus que six canetons. Le septième est-il simplement hors cadre, ou… ? Je repasserai sans doute aujourd’hui, voir ce qu’il en est.

canards etc. 16-min

Après avoir passé un délicieux moment assise sur ma pierre, sous mon pin, au jardin alpin, à écrire dans mon journal intime, je me dirige vers la bibliothèque : il est temps de se mettre au travail. Entre la serre et la bibliothèque, des femmes prennent un cours de danse lente.

Je fais une image et j’y vais, écrire comme une reine.

canards etc. 17-minCe lundi au jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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Coquille en coupe : qu’est-ce qu’écrire ?

dessin de ces jours-ci dans mon carnet de notes

dessin de ces jours-ci dans mon carnet de notes

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Poétique du trait. Que font les enfants dans les communautés où ils ne disposent ni de crayons ni de papier, ni de jouets industriels ni de jeux vidéos ? Avec un bâton ou bien au doigt, ils tracent des traits par terre. Pourquoi ? L’humain se projette. Quelque chose d’enfoui dans la matière humaine doit se projeter en géométrie (en « mesure de la terre », mesure en laquelle l’homme prend sa propre mesure, tel l’arpenteur du Château de Kafka ; selon la tradition, Platon affichait au fronton de son Académie : « nul n’entre ici s’il n’est géomètre » – le fait est en tout cas qu’il prône au chapitre VII de la République la nécessité pour le philosophe d’étudier la géométrie, l’astronomie et l’harmonie). L’homme se projette en géométrie et en images. Aussi sûrement que l’abeille doit construire sa ruche, l’araignée sa toile, l’oiseau son nid, le lièvre son gîte, le fauve son repaire, l’humain doit élaborer autour de lui une forme où sa pensée puisse habiter, évoluer, prospérer.

Je tourne et retourne autour de mon sujet, je veux le faire partir du centre, et de là, se dérouler. Je pourrai alors dire : tu es coquille et je veux te bâtir en t’émanant de moi, spiralante structure. Une thèse c’est, étymologiquement, une position. Argumentée. Si je veux développer une pensée de la poétique, de la poétique de la poésie à partir de la poétique du trait inaugural, une pensée de la langue profonde, il me faut partir moi-même d’une position profonde. Mon explication, autrement dit mon dépliement, doit venir de mon implication, de mon pliement dans le sujet. Que je sois le sujet, que le sujet m’enfante, et que j’enfante, que je mette au monde le sujet. (« Se replier sur soi-même, dit Husserl, et, au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu’ici et tenter de les reconstruire »)1.

Je n’ai pas l’intention d’élaborer un poème à thèse, mais peut-être, habitant en poète, construirai-je une thèse habitée, habitable. Une thèse à fonction poétique, laquelle selon Roman Jakobson « projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison »2 – c’est-à-dire une fonction dans laquelle la forme physique du texte a autant de valeur que les articulations de sa seule fonction sémantique. Ceci, pour mon travail, à un niveau essentiellement macrostructural : où Jakobson se penche sur la poésie au niveau microstructural en évoquant les séquences syllabiques et rythmiques, le vers, ses rejets, ses enjambements etc., j’indiquerai que la fonction poétique est sans doute à l’œuvre dans mon écriture même (Mallarmé ne disait-il pas que « toutes les fois qu’il y a effort au style, il y a versification » ?3), mais aussi et surtout dans la composition de mon livre, dans le tissage entre données du réel (dans les champs de l’intime comme dans ceux de l’Histoire) et données de l’art et de la littérature, dans l’agencement de ses blocs de textes, de ses registres, de ses thèmes, de ses citations, de ses références, de leurs correspondances physiques, dans leurs reprises au rôle semblable à celui des rimes, des sonorités et des tempi de la versification, dans sa polyphonie kaléidoscopique et son ensemble symphonique.

1 Edmund HUSSERL, Méditations cartésiennes, cité par Philippe DESCOLA, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, p. 133
2 Roman JAKOBSON, Closing Statement : Linguistics and Poetics, Massachusetts Institute of Technology, 1960. Essais de linguistique générale, trad. de l’anglais et préfacé par Nicolas Ruwet, Paris, Éditions de Minuit, coll. Arguments, 1963, p. 220
3 Stéphane MALLARMÉ, in Jules HURET, Enquête sur l’évolution littéraire, Bibliothèque Charpentier, Paris, 1891, p. 57 ; wikisource.org

Extrait du Prélude de ma thèse, valable pour toute écriture selon mon sens et pour mon nouveau travail en cours

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« Hello Clito » et vie de château

 

Je n’ai pas la télévision, je n’ai pas de smartphone, j’ai laissé tomber toute activité sur les réseaux sociaux et sur les forums, je n’écris plus publiquement qu’ici. C’est la vie royale : des cahiers, du travail en bibliothèque ou au café, de la marche à pied, du vélo, du yoga, de temps en temps du très bon temps avec mon amoureux, et tout le temps le plein de bonheur à la maison. Ô saisons, ô châteaux, gloire à mon seul désir, qui m’a gardée intacte, vierge des vieux compromis, tout à la fois vieillesse savante et jeunesse puissante, souveraine.

 

hello 1-min

hello 2-min

hello 3-min

hello 7-min

hello 6-min

hello 5-min

hello 4-minAujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes

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Sept ciels parisiens

« Devant la critique incapable de prendre ses responsabilités, seuls des poètes connaissant le poids du rêve pouvaient dire : (…) » Sarane Alexandrian, Le surréalisme et le rêve

J’ai fait un rêve extrêmement saisissant cette nuit, qui est resté inscrit dans ma chair toute la journée et l’est toujours.

Ce matin, par hasard, j’ai retrouvé quelques photos d’il y a quelques années, dont notamment ces sept ciels parisiens :

 

ciels de paris 1-min

ciels de paris 2-min

ciels de paris 4-min

ciels de paris 8-min

ciels de paris 6-min

ciels de paris 7-minL’observatoire…

et aussi le ciel sur terre :

ciels de paris 5-minà Paris, photos Alina Reyes

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