Voici mes dernières repeintures, et en fin de note mes derniers « haïkus dans la rue ».
C’est une bonne chose que d’être en retraite, on peut travailler beaucoup plus. Je veux dire, le travail salarié a ses bonheurs, et ses côtés intéressants comme tout travail, mais souvent on y perd beaucoup de temps, soit à accomplir des tâches qui ne font pas partie de notre métier (des tâches administratives par exemple), soit à ne rien faire entre deux temps de travail. Une fois débarrassé de ces inconvénients, on peut vraiment user de son temps dans un plein éveil, une pleine joie. Pendant notre « vie active », travailler est un gagne-pain pour nous et nos enfants, si nous en avons. Une fois en retraite (j’aime le caractère spirituel de ce mot), travailler devient un luxe que nous pouvons nous offrir et offrir aux autres : nous voici bénévoles, d’une façon ou d’une autre. Travailler ne coûte rien, ou presque rien, mais rapporte beaucoup de joie, la joie d’être en train de le faire, de créer, de se donner, et la joie du travail accompli. Si notre travail consiste à créer des œuvres, nous pouvons avoir besoin de matériaux et de matériel plus ou moins cher, mais il est toujours possible de faire à l’économie – par exemple, j’ai longtemps peint sur des morceaux de bois trouvés dans la rue, et maintenant, plutôt que d’acheter sans cesse de nouvelles toiles, je repeins fréquemment mes anciennes œuvres, qui étaient loin d’être des chefs-d’œuvre ; j’apprends ainsi à améliorer mon travail.
Pour l’écriture, le confinement ne m’aide pas. Difficile de me concentrer à la maison, où je ne peux pas m’isoler. J’allais travailler dans les bibliothèques, je n’y vais plus depuis le début de l’année car même dans les moments où certaines étaient de nouveau ouvertes je préférais éviter d’y passer des heures sans pouvoir enlever le masque, et dans des conditions sanitaires malgré tout incertaines. Mais j’arrive à traduire, et c’est ce que je fais depuis que je me suis lancée dans la magnifique aventure de la traduction de l’Odyssée. (Ma traduction des trois premiers chants se trouve ici, là et là – la suite se poursuit en privé mais je compte bien, inch’Allah, donner un jour à lire tout le splendide poème, qu’il faut retraduire régulièrement car la langue et la perspective changent avec le temps et les traducteurs et traductrices).
Ma maison est mon monastère, où je fais retraite chaque jour. Dans l’islam, on dit que la mosquée est partout dans l’univers, que n’importe quel endroit peut faire office de mosquée. Je trouve cela magnifique. Et je me dis que c’est la même chose pour le monastère (du reste, la vie idéale dans l’islam correspond à une vie de monastère, réglée, joyeuse et paisible) : tout lieu peut nous être monastère, quand nous désirons faire retraite, nous retirer du monde sans pour autant nous retirer de la vie.
Flaque dans l’allée
L’enfant y jette son pied
Tout le ciel y bouge
Le vent léger bruisse,
la pluie glisse sur les plumes,
boucle les cheveux
Poires, noix, raisins,
surabondantes corbeilles,
piques des châtaignes
Flèches des antennes
twistant sur les toits avec
une feuille rousse