Journal du jour en musique


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Je travaille à un projet dont j’ai eu l’idée à Bruges, en parlant avec O. Toujours fascinant de voir comme le travail vous emporte où il veut. De le suivre et de le guider. Comme une danse entre lui et vous. « Travaille avec tes mains, travaille avec ton coeur, car le fruit du bon travail est l’honneur ». Emilio de Cavalieri, Représentation de l’âme et du corps, oratorio.

Une jeune femme me dit qu’elle aussi, après sa première séance en salle de sport, a été malade. À cause de la suée due à ce premier travail sur les machines, et aussi des microbes qui s’y trouvent – « lave-toi souvent les mains » m’a-t-elle conseillé. Les fois suivantes ne furent que bénéfices, a-t-elle dit aussi. Mon rhume un peu costaud a passé en deux-trois jours grâce au miel (pas dans une boisson chaude, il y perd ses vertus, plutôt après), à la propolis, au maté avec jus de citron, et à des respirations de baume du tigre blanc  ; avec en tout et pour tout trois cachets, un d’ibuprofène le premier jour, et un de paracétamol 500 par jour les deux premiers jours ; et bien sûr du repos.

Reprise du yoga ce matin. Une ascèse dont je ne pourrais plus me passer. Plus on la pratique, plus elle devient vivante, plus deviennent habitées la réalisation, la suite et la répétition des postures. Au bout d’un moment (trois ans pour moi, dont les deux dernières au quotidien), cela devient un art, voilà. Que je suis heureuse et fière de pratiquer, aussi bien dans l’intimité de la maison que dans l’espace public de la salle, après ma séance de sport, parmi ceux et celles qui s’entraînent sur les machines et les tapis.

Le midi, en prenant mon déjeuner, je regarde sur Youtube la bonne chaîne d’info des expatriés, France 24. Le soir, toujours sur mon ordi (je n’ai pas la télé) je regarde des séries, le plus souvent policières, jamais lasse de chercher à résoudre les énigmes, débusquer le crime et rétablir la vérité. Les bonnes séries remplacent avantageusement pour moi la lecture de romans contemporains, qui me tombent des mains quand il m’arrive d’en saisir. Elles ont la vertu de présenter des personnages qui s’affirment, ou qui apprennent à s’affirmer. Ce que nous avons tous besoin de réapprendre constamment. Car ceux qui ne trouvent pas de voie pour s’affirmer, ou s’affirment faussement en se faisant passer pour ce qu’ils ne sont pas, compensent en cherchant à dominer. De là toute la toxicité qui peut s’emparer des sphères professionnelle, sociale, familiale ou conjugale. Le yoga, le sport, le travail sur le corps, le travail des mains et le travail de la tête sont d’excellentes voies pour s’affirmer.

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Miel. Revenir au local, aller à l’universel

Peut-être du fait du contraste entre mon corps bouillant et l’eau très fraîche de la fontaine à la salle de sport, ou bien parce qu’un gars non loin de moi, pendant que je faisais mon yoga en fin de séance, terminait la sienne par du gainage en toussant tant et plus, je me suis retrouvée, le lendemain, avec un gros rhume. C’était jeudi, nous sommes samedi matin et je suis quasiment guérie, m’étant soignée avec du sommeil et avec du miel. J’ai pris une petite cuillerée de miel, jour et nuit, chaque fois que la gorge me brûlait, ou que je commençais à tousser. Et chaque fois le miel, faisant pansement sur mes muqueuses, a aussitôt calmé le mal, jusqu’à finalement l’éliminer – outre cet effet local de pansement, le miel booste les défenses immunitaires dans tout le corps.

Nous avons différentes sortes de miel à la maison parce que l’un de nous, dans son travail, est amené à parcourir différentes campagnes françaises, et en profite pour acheter différents produits dans les fermes, chez les producteurs eux-mêmes. Revenir au local et aller à l’universel sont les solutions pour soigner le monde. Je lis ce matin que trois jeunes Français se sont lancés dans la fabrication de chaussures de running, des Relance, j’en achèterai une paire dès qu’elles seront en commerce. D’un autre côté, l’affaire des sous-marins, dont on reparle avec la rencontre entre Macron et Biden, rappelle que maintenant il faut bien sûr développer l’Europe, voire la refonder afin de la rendre plus intelligente et plus forte, et aussi bâtir des accords avec d’autres parties du monde, d’autres pays, notamment dans l’Indo-Pacifique.

L’universel, c’est le local moins les murs, comme disait Miguel Torga, traduit par Claire Cayron, qui fut il y a longtemps ma professeure de littérature comparée et dont je tiens en grande partie le goût de traduire. Même un rhume et un pot de miel peuvent se traduire en actions politiques et diplomatiques.

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Le corps, le sport

À la salle de sport, j’ai pu mesurer pour la première fois ma fréquence cardiaque, et constater que ma FCM, fréquence cardiaque maximum, était beaucoup plus élevée que normalement à mon âge : mon cœur a encore la force de la jeunesse ! Ce qui n’empêche pas que je dois apprendre à mieux gérer la respiration pendant la course, afin de progresser – et je suppose que de toute façon la FCM ne fait pas tout, même si elle est haute. Il est évident que je courrais mieux et plus longtemps si j’avais commencé jeune, et il est reconnu aussi qu’en commençant tard on peut progresser mais pas rejoindre le niveau des personnes qui courent depuis longtemps. Peu importe, c’est toujours un bonheur.

Courir sur tapis est différent de courir sur bitume et au jardin, mais je pense que cela se complète bien, et je verrai dans quelque temps si j’aurai progressé en extérieur, grâce à l’entraînement sur tapis.

À Bruges, les vieilles rues pavées tantôt n’ont pas de trottoir, et tantôt en ont un. Le dernier jour, n’ayant pas vu l’un de ces trottoirs aléatoires, j’ai trébuché dessus et je suis tombée. Je dois éviter de tomber, mes os étant fragilisés par le traitement anticancer qui donne de l’ostéoporose. Mais j’ai eu le réflexe de tomber quasiment en posture de planche, comme j’en fais tant au yoga et en gym, je ne me suis pas du tout fait mal et je me suis relevée d’un coup. Le lendemain mes paumes étaient très légèrement enflées, mais cela a passé en une ou deux heures. Normalement j’aurais dû me fracturer les petits os à cet endroit. Comme j’ai refusé les injections contre l’ostéoporose, j’ai été contente de voir que la pratique sportive était efficace pour protéger les os, en les renforçant par les muscles notamment. C’est le pari que j’ai fait, et je m’y tiens.

Je suis restée une heure et demie aujourd’hui à la salle, et j’ai juste hâte d’y retourner. J’ai fait du tapis de course, du rameur, et ensuite ma séance de yoga, toute seule dans un coin tranquille. Peu à peu j’essaierai d’autres machines, pour augmenter mon endurance et entretenir ma musculation. Le yoga à la fin est précieux, car après l’effort les muscles sont durs et raides. Et je tiens à ma souplesse, et à la développer, même. Pour le mental aussi, l’effort puis le yoga, c’est excellent.

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Ordre

« Va mourir à Bègles », c’est une expression qu’on a, à Bordeaux. Moi je suis née, une fois, dans une autre ville de la banlieue bordelaise, Bruges, et renée ces jours-ci dans une autre Bruges, la belle Bruges belge, après avoir été tuée là où on dit d’aller mourir. Après l’assassinat, la résurrection du corps – tout recommence à la salle de sport.

Il y a longtemps que je n’achète plus aucun livre, je m’en procure en bibliothèque, mais jamais de livres contemporains, je n’en ai aucune envie, je suis même dans l’incapacité d’en lire. Pour mes traductions en cours, c’est terminé, jusqu’à nouvel ordre de mon cœur. Je suis occupée à mon nouveau corps.

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Bruges en plus de 30 images

Arrivée dans cette splendide ville moyenâgeuse et néogothique, « Venise du Nord » mais qui ne donne jamais une impression d’étouffement ni de pourrissement, au contraire, avec ses eaux et ses espaces larges, ses lumières mouvantes. O et moi avons décidé là de partir vivre, dans quelques années, alternativement dans différentes villes du Nord, de l’Écosse jusqu’au Nord-Est de l’Europe, où la vie est tellement meilleure que dans les pays latins et du Sud encore trop marqués par la vieille mentalité patriarcale, des pays où les gens sont plus libres, des pays modernes.

Parking à vélo. Comme dans toutes les villes du Nord, beaucoup de circulation à vélo

Du sommet du Beffroi, une belle vue sur la ville, tandis que le carillon chante

Le Jugement dernier de Jérôme Bosch au musée Groeninge

Retour côté français avec beaux trains tagués, et souvenir de l’hortus conclusus de l’hôtel, face auquel je me suis exercée dans la salle de sport

Boule de suif, film de Christian-Jaque avec Micheline Presle

Il y a longtemps que je n’ai pas posté de film. Celui-ci, paru en 1945 et adapté de deux nouvelles de Maupassant, est une merveille à voir et revoir. Forte peinture, que je viens de revisionner en Belgique, d’un certain esprit français aussi coriace que veule, aujourd’hui au pouvoir ou aspirant au pouvoir comme il le fut à l’occasion hier ou avant-hier.
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Samuel Paty, le massacre des Algériens… les sens de l’histoire

Aujourd’hui on rend hommage à Samuel Paty, demain c’est le soixantième anniversaire du 17 octobre 1961. Ceci n’excuse pas cela, mais cela signale les logiques morbides des histoires morbides, comme le fait d’avoir humilié les Allemands après la Première guerre mondiale amena la Deuxième guerre mondiale. Le 17 octobre 1961 la police française noya des centaines d’Algériens pacifiques dans la Seine, le 16 octobre 2020, un islamiste tchétchène, suite au harcèlement de l’enseignant par des islamistes et musulmans divers, poignarda et décapita un professeur français qui avait montré en classe un dessin ordurier du prophète de l’islam en posture humiliante (ce qui, soit redit en passant, n’était nullement une caricature : la caricature est une « représentation qui, par la déformation, l’exagération de détails, tend à ridiculiser le modèle », or le prophète de l’islam n’était pas homosexuel, comme d’après le dessin – et s’il l’avait été, le dessin n’aurait pas seulement été islamophobe, mais aussi homophobe – ou bien est-il bon de montrer en classe, au nom de la liberté d’expression, des caricatures d’homosexuels en posture humiliante ?) Samuel pâtit, pardon du jeu de mots, d’une histoire complexe dont il n’était pas coupable et qu’il avait omis de prendre en considération avant de bâtir son cours. Et aussi de la mauvaise éducation, violente ou trop permissive, donnée par certains parents à leurs enfants.

J’ai eu des enfants et j’ai été enseignante, je sais que, comme tous les humains, nous pouvons commettre dans notre vocation et dans notre métier bien des erreurs. Que l’enseignement est une chose extrêmement sérieuse et délicate, et qu’il doit être le fruit de profondes réflexions. C’est malheureusement tout l’inverse qui est proposé aux futurs professeurs dans leur formation aujourd’hui. La pédagogie n’est rien sans la pensée, et on n’apprend pas aux enseignants à penser parce qu’on en est incapable, là où se décident les apprentissages.

On peut relire ici de larges extraits d’un article de Jean Cau écrit au lendemain du massacre du 17 octobre 1961. Et mes réactions au lendemain de l’exécution de Samuel Paty l’année dernière (en lisant la note de bas en haut, dans l’ordre où elle fut écrite au cours des heures qui suivirent).

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