[Ce texte a été publié aussi dans le journal canadien Le Devoir, ici]
La création du Nouveau Front populaire a constitué un fantastique élan de renouvellement de la gauche. Ce souffle, il ne faut pas le perdre. Dans l’immédiat, l’heure est à empêcher une victoire totale de l’extrême-droite fasciste qui achèverait l’entreprise de destruction de la République entamée par Macron. Désistements, reports de voix, le nécessaire doit être fait. Et il sera moins rude à faire s’il est accompli dans la perspective et la préparation d’un second grand combat : la recomposition d’une gauche exigeante, large et rassembleuse, sans compromissions morales, sans clientélisme, sans oubli de cette large partie du peuple qui, abandonnée de tous, s’est laissée tomber dans la haine et a embrassé le RN comme on creuserait sa tombe.
Toutes les bonnes volontés qui se sont magnifiquement levées après l’annonce de la dissolution sont les graines d’une nouvelle forêt à pousser. Notre pays ne se réduit pas à ses villes et à ses banlieues. C’est tout son territoire qu’il faut faire revivre en y implantant de nouveau une gauche active, une gauche qui aime et défende la France dans toutes ses composantes populaires. Telle est la vocation de la gauche. Travailler avec le peuple, sans le clientéliser ni l’embrigader à la suite d’un chef, mais dans une dynamique réellement démocratique.
Les grands mouvements populaires de ces dernières années, Nuit Debout, les Gilets jaunes, ont montré cette aspiration du peuple de France à se manifester dans sa réalité, tout autre que les représentations qu’en donnent les médias et les politiciens qui s’appuient seulement sur une ou deux de ses composantes. Ces mouvements ont été écrasés et rendus à l’invisibilité où le bloc bourgeois a toujours voulu maintenir le peuple. Écrasés par les violences d’un État de plus en plus méprisant et policier. Et retournés dans l’impuissance parce qu’ils n’étaient pas assez soutenus par une structure politique, par une gauche structurée, possédant les moyens de la combativité.
Ils ont fini invisibilisés, mais les êtres de chair et de sang qui les ont fait advenir et vivre sont toujours là. Force qui ne demande qu’à être ravivée et soutenue par une gauche réelle, animée par l’amour de la vie, l’amour du pays, la recherche du respect d’autrui, le dialogue sans feinte ni calcul machiavélique. Bref, l’exact inverse de ce que le bloc bourgeois impose, malheureusement secondé en cela par une partie de la gauche à la dérive, carburant à la haine, au culte du chef, aux coups bas, aux provocations indignes.
Cette partie de la gauche qui a abandonné les valeurs de la gauche, il faut s’en séparer. Ce qui vaut pour la vie privée vaut dans la vie politique, il n’y a d’autre solution aux relations toxiques que la séparation. Les séparations sont douloureuses, on a toujours quelque chose à y perdre, mais ce quelque chose en définitive vaut d’être perdu, quand la toxicité est devenue irréparable.
Oui, recomposer et reconstruire la gauche, avec tout le peuple de France, la faire vivre et grandir sur le terrain. Y mettre le temps qu’il faudra y mettre, mais sans tarder. Se mettre à l’œuvre tout de suite, ou tout de suite après le 7 juillet. Macron s’est sabordé lui-même, ses pulsions destructrices s’étant retournées contre lui. C’est ce qui attend aussi Mélenchon, dont nous voyons à l’œuvre la même mécanique autoritariste, le même égo boursouflé, les mêmes pulsions destructrices qui ne peuvent mener qu’à une issue fatale : renfermement suivi d’effondrement.
Oui, recomposer et reconstruire une gauche ouverte, ouverte à toutes ses composantes de bonne volonté, ouverte au dialogue, à la synergie, à l’invention. Ouverte aussi à l’Europe et au monde, ouverte à la conversation et au travail avec d’autres gauches de l’Europe et du monde. Une gauche réorientée non pas principalement sur telle ou telle partie du monde mais sur l’ensemble de la planète, l’ensemble de l’humanité et de tout l’ordre du vivant que les dérives mortifères d’un libéralisme débridé menacent. Une gauche en travail, comme une femme en train d’enfanter. Une gauche nourricière aussi, généreuse, partageuse, morale, apporteuse de bien-être matériel et mental. Une gauche joueuse, rêveuse, inventeuse, curieuse. Déterminée, invincible et joyeuse de l’être.