Enterrer les morts, vivre avec les vivants

Goncourt, Renaudot… Que de livres en forme de cercueils. Espérons qu’ils emportent sous terre le cadavre du mal, en attendant la résurrection de la littérature. Tout ça me rappelle Goebbels offrant aux femmes qu’il convoitait un médaillon avec son propre portrait. Une affaire de rassis pour les assis rassis.

Je me remémore, en relisant mon journal du temps où j’ai été prof, la profondeur de la joie que j’ai eue à exercer cette profession. Cette joie, je la devais tout entière d’abord à mes élèves, qui étaient la vie même, et à la littérature que je leur enseignais. Je remercie le ciel de m’avoir dirigée, dans les tribulations de mon existence, vers cet exercice, de m’avoir donné l’occasion de connaître, pratiquer, inventer cet exercice à ma façon, si vivante, si pleine d’amour. Je songe à mes élèves et à tous mes élèves, je songe aussi à mes collègues qui doivent travailler dans des conditions difficiles, instaurées par un monde de vieux, aussi vieux que celui qui décerne des prix littéraires comme autant de sucres à des otaries dociles.

Des types comme Onfray qui, en vieillissant, regrettent le vieux monde qu’ils ont conspué dans leur jeunesse et en même temps conspuent le monde présent, décidément jamais contents, ignorent tout de la grâce de la jeunesse, parce qu’ils l’ont perdue, ne l’ayant sans doute jamais qu’à peine connue, trop occupés qu’ils furent toujours à « arriver ». Bien entendu ils ne sont arrivés nulle part, ils sont restés dans leur fausseté. Peu importe. La jeunesse est là, elle emportera le vieux monde, elle l’emporte déjà, plus puissamment que le changement climatique. C’est la vieillesse des aliénés que je fuis, c’est dans la jeunesse que je vis, moi l’ancêtre, et j’en suis profondément heureuse.

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Miel. Revenir au local, aller à l’universel

Peut-être du fait du contraste entre mon corps bouillant et l’eau très fraîche de la fontaine à la salle de sport, ou bien parce qu’un gars non loin de moi, pendant que je faisais mon yoga en fin de séance, terminait la sienne par du gainage en toussant tant et plus, je me suis retrouvée, le lendemain, avec un gros rhume. C’était jeudi, nous sommes samedi matin et je suis quasiment guérie, m’étant soignée avec du sommeil et avec du miel. J’ai pris une petite cuillerée de miel, jour et nuit, chaque fois que la gorge me brûlait, ou que je commençais à tousser. Et chaque fois le miel, faisant pansement sur mes muqueuses, a aussitôt calmé le mal, jusqu’à finalement l’éliminer – outre cet effet local de pansement, le miel booste les défenses immunitaires dans tout le corps.

Nous avons différentes sortes de miel à la maison parce que l’un de nous, dans son travail, est amené à parcourir différentes campagnes françaises, et en profite pour acheter différents produits dans les fermes, chez les producteurs eux-mêmes. Revenir au local et aller à l’universel sont les solutions pour soigner le monde. Je lis ce matin que trois jeunes Français se sont lancés dans la fabrication de chaussures de running, des Relance, j’en achèterai une paire dès qu’elles seront en commerce. D’un autre côté, l’affaire des sous-marins, dont on reparle avec la rencontre entre Macron et Biden, rappelle que maintenant il faut bien sûr développer l’Europe, voire la refonder afin de la rendre plus intelligente et plus forte, et aussi bâtir des accords avec d’autres parties du monde, d’autres pays, notamment dans l’Indo-Pacifique.

L’universel, c’est le local moins les murs, comme disait Miguel Torga, traduit par Claire Cayron, qui fut il y a longtemps ma professeure de littérature comparée et dont je tiens en grande partie le goût de traduire. Même un rhume et un pot de miel peuvent se traduire en actions politiques et diplomatiques.

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Samuel Paty, le massacre des Algériens… les sens de l’histoire

Aujourd’hui on rend hommage à Samuel Paty, demain c’est le soixantième anniversaire du 17 octobre 1961. Ceci n’excuse pas cela, mais cela signale les logiques morbides des histoires morbides, comme le fait d’avoir humilié les Allemands après la Première guerre mondiale amena la Deuxième guerre mondiale. Le 17 octobre 1961 la police française noya des centaines d’Algériens pacifiques dans la Seine, le 16 octobre 2020, un islamiste tchétchène, suite au harcèlement de l’enseignant par des islamistes et musulmans divers, poignarda et décapita un professeur français qui avait montré en classe un dessin ordurier du prophète de l’islam en posture humiliante (ce qui, soit redit en passant, n’était nullement une caricature : la caricature est une « représentation qui, par la déformation, l’exagération de détails, tend à ridiculiser le modèle », or le prophète de l’islam n’était pas homosexuel, comme d’après le dessin – et s’il l’avait été, le dessin n’aurait pas seulement été islamophobe, mais aussi homophobe – ou bien est-il bon de montrer en classe, au nom de la liberté d’expression, des caricatures d’homosexuels en posture humiliante ?) Samuel pâtit, pardon du jeu de mots, d’une histoire complexe dont il n’était pas coupable et qu’il avait omis de prendre en considération avant de bâtir son cours. Et aussi de la mauvaise éducation, violente ou trop permissive, donnée par certains parents à leurs enfants.

J’ai eu des enfants et j’ai été enseignante, je sais que, comme tous les humains, nous pouvons commettre dans notre vocation et dans notre métier bien des erreurs. Que l’enseignement est une chose extrêmement sérieuse et délicate, et qu’il doit être le fruit de profondes réflexions. C’est malheureusement tout l’inverse qui est proposé aux futurs professeurs dans leur formation aujourd’hui. La pédagogie n’est rien sans la pensée, et on n’apprend pas aux enseignants à penser parce qu’on en est incapable, là où se décident les apprentissages.

On peut relire ici de larges extraits d’un article de Jean Cau écrit au lendemain du massacre du 17 octobre 1961. Et mes réactions au lendemain de l’exécution de Samuel Paty l’année dernière (en lisant la note de bas en haut, dans l’ordre où elle fut écrite au cours des heures qui suivirent).

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Se faire justice

Aux prochaines présidentielles, je voterai dès le premier tour pour le candidat qui ne sera ni l’extrême-droite, ni Macron. Qu’il soit de droite ou de gauche, pourvu qu’il soit le mieux placé pour éviter un deuxième tour « en même temps » Macron et l’extrême-droite. Je pense sérieusement Macron presque aussi dangereux que Le Pen ou Zemmour. Et j’espère que suffisamment de mes concitoyens se mobiliseront pour déjouer le piège qui nous est tendu, à énormes ficelles, d’avoir à choisir entre le nihilisme néofasciste et le nihilisme macroniste. C’est ce que je pensais déjà en 2017, et contre quoi j’avertissais déjà – depuis ma minuscule audience, mais ça ne fait rien, il faut le faire.

Je sais ce que ressentent les rescapés des attentats du 13 novembre. C’est comme d’être un goéland qui se retrouve les ailes engluées de pétrole. Parfois il lui semble qu’il va quand même réussir à s’envoler de nouveau, et parfois qu’il n’y arrivera plus. Il y avait un personnage nommé Terreur dans mon roman Forêt profonde, c’était un personnage de fiction, mais qui existait aussi dans la réalité et qui, depuis, a fait tache d’huile. Il y a toutes sortes de bandes d’ordures terroristes, des islamistes, les plus voyants, mais aussi bien d’autres, non similaires, mais comparables, qu’ils s’en prennent aux corps et aux vies, d’une manière ou d’une autre, ou aux esprits et aux existences. Il s’agit, pour les innocents sur lesquels ils tombent, de garder ce qu’eux ont perdu : lumière, courage, vérité, droiture, honneur, et même de les avoir plus qu’avant encore. Voilà comment se faire justice soi-même.

Je sais que beaucoup de gens trouvent que les éoliennes défigurent les paysages, mais moi je les trouve belles et surtout très émouvantes. Si puissantes, si debout, si sereines. Elles me donnent envie d’écrire, comme, il me semble, les pales des moulins donnèrent envie d’écrire à Cervantès. J’en ai contemplé beaucoup aujourd’hui en visitant avec grand bonheur la Bourgogne – la France est si belle en tous ses paysages, et dans sa paix quand elle est là – je ferai une prochaine note avec des images des vallonnements colorés, des ciels vastes, des vignes, des caves où mûrit le bon vin.

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Suite de mes remarques autour du rapport sur la pédocriminalité dans l’église

Moulins-Beaufort, le chef des évêques français, affirme que le secret de la confession est au-dessus des lois de la République, justifiant ainsi le fait de ne pas signaler à la justice les pédocriminels, ni la confession d’un enfant qui se déclarerait victime d’un pédocriminel, au motif que l’enfant préférerait garder le secret pour ne pas faire de peine à ses parents. Déclaration aussi criminelle qu’hallucinante, faite au lendemain des conclusions monstrueuses, encore que très certainement très minorées, de la commission Sauvé, sur la pédocriminalité dans l’église française. (N’oublions pas, pour maintenant et pour plus tard, la réaction puante de Macron, saluant « le sens des responsabilités » de l’église – alors même qu’elle déclare, et le prouve, ne pas se conformer aux lois de la République, qui obligent à signaler une personne en danger).

Aucune loi, qu’elle se dise de Dieu, de la République ou autre, n’empêcherait une personne humaine de porter secours à un enfant en danger, en faisant ce qu’il faut pour cela. Mais à entendre ce type, Moulins-Beaufort, et tous ceux et celles qui pensent comme lui, il semble que la religion abolit l’humanité en l’homme.

Le même type raconte que Bergoglio, le pape, lui a dit au téléphone, à propos des révélations de cette commission : « C’est la croix ». La croix pour les enfants abusés ? Non, pour eux, pauvre pape et pauvres prélats. Oui, c’est ce qu’ils ont tous en tête et ce qu’ils disent, du clergé jusqu’aux ouailles les plus endoctrinées : avec ces révélations, ils portent leur croix – un motif de gloire de plus pour eux, en fait. Ces complices de crime contre l’humanité osent se prendre pour le Christ portant sa croix.

Que veut Bergoglio pour les victimes de l’entreprise qu’il dirige ? Il en appelle au « miracle de la guérison ». Comme tous les autres, il se donne l’air de tomber des nues, il dit sa « honte ». Lui qui, par exemple, garda jusqu’à récemment au Vatican le cardinal Pell, qu’il avait nommé n°3 du Vatican, malgré son lourd dossier d’accusation pour avoir couvert des prêtres pédocriminels, et malgré les accusations d’abus sur enfants portées sur Pell lui-même – Pell a fini par être condamné par la justice de son pays quand enfin elle a réussi à obtenir qu’il s’y rende. Bergoglio en vérité ne connaît de la honte, comme sa légion de collègues, que celle qu’ils inculquent aux enfants et à leurs autres catéchisés, pour mieux les dominer.

Tout ce que disent ces gens dans cette affaire est obscène, aussi obscène que les déclarations d’Abdeslam au procès des attentats du 13 novembre. Au moins les victimes de ces attentats ont-elles la chance, dans leur terrible malheur, de bénéficier d’un procès, d’un acte de justice des hommes. Il faut penser aussi à tous les êtres humains qui dans le monde ne verront jamais comparaître en justice et être condamnés leurs bourreaux. Dans le monde et ici même, en France, où la justice fonctionne bien pour les victimes que le système veut bien reconnaître comme victimes, mais pas pour les autres. Les victimes du terrorisme islamiste sont politiquement bankables, contrairement à celles de la pédocriminalité catholique. Personnellement je n’étais pas politiquement bankable non plus quand je suis allée en justice pour demander réparation d’un plagiat de mon œuvre, et que, auteure isolée contre un puissant éditeur, c’est moi qui me suis retrouvée condamnée. La justice et la presse marchent de concert, et la presse m’a également condamnée, et elle continue à me condamner en refusant mes tribunes ou mes simples commentaires, dans l’affaire de l’église aussi. M’étant tournée vers l’église comme beaucoup dans un moment de détresse, après ce procès, je n’ai fait que me tourner vers une autre bête qui a essayé de me broyer aussi, et contre laquelle j’ai dû me battre encore. Jamais justice ne me sera rendue dans un tribunal, même si j’y retournais il se retournerait encore contre moi – et la presse avec lui. Et ce n’est pas mon cas personnel qui me soucie le plus, mais celui des millions de femmes et d’hommes qui sont dans le même cas, pour une raison ou une autre. Il y a un enchaînement de la société pour faire tomber d’un rouage tueur à l’autre les personnes que cette même société estime nuire à son fonctionnement inique, du fait même qu’elles incarnent, en en étant victimes, son iniquité. Cela ne se passe pas seulement dans les régimes dictatoriaux, cela se passe aussi au sein des démocraties, plus ou moins selon justement leur degré de démocratie – et la France sur ce point est loin d’être parmi les pays où la démocratie fonctionne le mieux.

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