Réflexions au fil du clavier autour du procès des attentats du 13 novembre

Ce que je préférais lire dans Le Monde, c’était les commentaires des abonnés, pour les articles non payants. Maintenant on ne peut même plus lire ceux-là. Du coup je me désintéresse du Monde. C’est quand même gonflé de faire payer les commentaires écrits par leurs lecteurs. Quand je n’étais pas encore blacklistée par la presse, j’ai publié chez eux comme ailleurs quelques tribunes, elles ne m’étaient pas payées, mais elles sont passées dans les articles payants. Pourtant nous les contribuables finançons largement la presse écrite, les pouvoirs ayant besoin de ses bons services. J’ai une formation de journaliste et je sais l’importance du travail fait par les journalistes mais je sais aussi que beaucoup trop d’entre eux trichent. Un journaliste de l’Obs aujourd’hui a fait dire au terroriste Abdeslam quelque chose qu’il n’a pas dit ; soit il ignore l’importance des mots et il faut qu’il retourne apprendre son métier, soit il ment délibérément et il faut le virer. Comment être crédible, et comment oser donner des leçons de démocratie au monde quand propage de fausses informations ? À propos d’Abdeslam, je vois des gens, dans les commentaires çà et là, se laisser berner par ce qu’il dit, s’imaginer qu’il « assume », qu’il est au service de Dieu, etc. Cela pour mieux le haïr, mais ce n’est pas pour ce qu’il dit qu’il faut le détester, car ce qu’il dit est faux – il n’assume rien du tout, puisqu’il refuse de reconnaître son crime et se cache derrière l’islam, salissant ainsi l’islam, les musulmans, ses victimes, et toute l’humanité. Ainsi en reprenant la même rhétorique que la sienne on ne fait que faire son jeu. Ce qui est à détester, c’est qu’il refuse de reconnaître le crime, la faute, l’horreur commise.

Déjà au premier jour du procès nous voyons à l’œuvre, et pas seulement à l’intérieur du Palais de Justice, les processus du faux qui conduisent au crime. Ce procès devrait nous en révéler encore beaucoup, c’est une mauvaise nouvelle pour les camps des opinions toutes faites, de quelque bord qu’elles soient, et tant mieux.

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Bébel le charnel

Un corps magnifique, musclé et délié, des lèvres pleines, un nez de boxeur, une posture et une démarche pleines de noblesse naturelle, de souplesse, de droiture et de force, le sourire et le grand rire faciles, Jean-Paul Belmondo, c’était la grande classe du charnel, à l’africaine, traduisant la beauté d’un esprit accordé à la vie. Il est né ainsi, mais il doit aussi l’accomplissement de son charisme, il me semble, aux visites qu’il faisait, enfant, dans l’atelier de son père quand il sculptait d’après modèles, d’après des corps nus. La grâce de la chair, sans doute l’a-t-il ainsi complétée dans sa propre chair.

Je l’ai croisé il y a quelques années au Vieux Campeur, j’ai été sidérée de sa beauté, « en vrai », que les dernières photos de lui ne rendaient pas. Il semblait errer dans le magasin, un peu perdu mais avec un air d’innocence supérieure, et puis quelqu’un est venu le chercher, un chauffeur qui l’a fait monter dans une voiture.

Il est parti.

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D’une convergence des luttes qui se voile la face

J’ai entendu brailler à ma fenêtre la manif anti-passe sanitaire qui passait par là, et bien que j’aime photographier les manifs, je me suis bien gardée de descendre. Ces gens m’inquiètent dans le sens où ils font resurgir une France que je voyais dans les films des années 40, bornée, fermée, France du marché noir et des égoïsmes, de la bêtise et de l’aveuglement. Le plus triste est que les pouvoirs en place, spécialement depuis Macron mais précédemment aussi, avec leurs malhonnêtetés en tous genres, ont œuvré à faire sortir du placard du vieux cinéma cette France méfiante et repliée sur elle-même. Bien sûr elle est minoritaire, même si elle se fait remarquer plus que la majorité raisonnable de nos concitoyens de France et d’Europe. Mais inquiétante quand même.

Je suis en train de finir de traduire le chant 6 de l’Iliade. J’ai fini le beau et poignant dialogue d’Hector et d’Andromaque, avec leur bébé au milieu comme signe de vie dans toute cette mort. Je continue à regarder la série Into the West sur le site d’Arte, les atrocités de la guerre contre les Amérindiens et entre Amérindiens et Américains y sont les mêmes que chez Homère, il y a trois mille ans. Qui s’étonne des atrocités commises aujourd’hui n’a jamais rien lu, sans doute. Pourtant ce n’est pas la guerre comme combat armé qui livre le plus laid visage des hommes, mais ce qui est entre la guerre et la paix, et que rend bien Homère dans l’Odyssée en peignant les bassesses des prétendants, ces princes vains. La bassesse est notre principale ennemie, et ce n’est pas seulement dans le « bas peuple » qu’elle recrute, mais tout autant, voire bien plus, dans les élites – pour en revenir aux manifs anti-passe sanitaire, il y a là, cachée et le plus souvent ignorée mais forte, une convergence des luttes entre certaines élites et certaines parties du peuple qui nuit à l’ensemble de la population et de la société.

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Afghanistan

Il n’y a pas que la guerre de Troie. Il y a l’éternelle guerre des planqués qui n’ont rien de mieux à faire que de se rêver en meneurs de guerres, pourvu que ce ne soit pas au bas de leur immeuble ou de leur palais. Ceux qui comme BHL appelèrent à armer les djihadistes afghans il y a trente ans, avec des accents de romantisme échevelé pour évoquer ces « hommes de foi », ceux qui armèrent en effet ces gens, et dont certains – BHL , toujours dans les mauvais coups – voudraient maintenant qu’on arme leurs ennemis, ces amis d’aujourd’hui qui pourraient eux aussi devenir demain les hommes à abattre des éternels interventionnistes, condamnés par eux-mêmes à n’obtenir jamais aucune satisfaction, le monde leur échappant, en vérité, quoi qu’ils fassent. C’est ainsi qu’ils pourrissent la vie de la communauté humaine, en voulant la régenter, dans leur égocentrisme et leur bêtise forcenée, qui ne voient pas plus loin que le bout de leur quéquette qui voudrait se faire aussi grosse que leur tête – quand ils peuvent encore la voir.

Il faut lire ou relire cet article incroyable de Denis Souchon paru en 2016 dans le Monde diplomatique (en accès libre). Quand, dans les années 80, BHL déclarait : « Je crois qu’aujourd’hui les Afghans n’ont de chances de triompher que si nous acceptons de nous ingérer dans les affaires intérieures afghanes » – le même BHL qui s’indigne aujourd’hui haut et fort de voir triompher ceux-là qu’il appela, avec succès, à faire triompher. En ces années où toute la presse – non communiste – sur l’Afghanistan parlait d’une même voix, la même que celle des États-Unis qui armèrent ces gens dont tant d’autres mouvements djihadistes allaient s’inspirer, pour le résultat qu’on sait. Sans doute le retrait aurait-il dû être mieux préparé, mais le principe du retrait est certainement moins mauvais et moins nuisible à long terme que celui de l’ingérence, si on l’accompagne de suffisamment de mesures et de diplomatie.

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Des virus, des entraves et des sorties de secours

Avec cette pandémie qui n’en finit pas, je songe à ce que j’avais écrit en 2017, comparant l’élection d’Emmanuel Macron à l’arrivée au pouvoir d’Œdipe, qui sans le savoir apportait la peste. Ce qui est au moins aussi inquiétant que le virus, c’est l’obscurantisme de grandes parties de la population que cette crise révèle. À quoi sert que nous allions longtemps à l’école si c’est pour être incapables d’échapper à des peurs irrationnelles, en l’occurrence peur du vaccin, si c’est pour céder à sa peur au point de mettre en danger, et soi-même et les autres, si c’est pour n’avoir aucun sens du bien commun comme du bien personnel, si c’est pour être incapable de discernement ? Qu’apprend-on aux enfants, aux jeunes ? Je l’ai constaté durant les quelques mois où j’ai enseigné, ces dernières années. Trop souvent du vent, du rien, de ce par quoi, nous y revenons, a été possible l’élection de Macron. De ce qui fait que nous n’avons pas de classe politique digne de ce nom. Le phénomène est planétaire ou à peu près mais il n’y a pas à désespérer, on a bien vu arriver Biden après Trump et même si Trump est toujours là, même si les forces obscurantistes continuent à travailler l’Amérique et l’Europe, entre autres, les forces de vie continuent à travailler aussi. Depuis qu’ils sont libérés de l’obscurantisme franquiste, les Espagnols qui furent gravement atteints par la polio à cause du retard du vaccin chez eux, ont confiance dans le système de santé et sont aujourd’hui les plus vaccinés. Tant que tout le monde ne le sera pas, le virus entravera notre vie. Et les vies entravées, quoi ou qui que ce soit qui les entrave, deviennent dangereuses.

J’ai fini hier soir, comme prévu, la traduction du chant 2 de l’Iliade. Commencé ce matin celle du troisième. Si tout continue à bien aller ainsi, je devrais avoir terminé à la fin de l’année, ou à peu près. Si quelque chose vous entrave, tournez-vous vers autre chose où vous ne serez pas entravés. Je cours dans mon travail, et c’est la joie.

culture de la lâcheté

J’ai fait une expérience intéressante avec France Info, qui rejette absolument tous mes commentaires, qu’ils soient critiques, anodins ou bienveillants, postés depuis un compte à mon nom. J’ai copié-collé l’un d’eux et je l’ai reposté depuis un compte anonyme : il est passé aussitôt. Ce que ne veulent pas ces gens, ce sont des paroles assumées par qui les écrit. L’anonymat est la règle qui les rassure, dans leur culture de la lâcheté. Bien entendu peu m’importe France Info, mais le problème est que cette règle est celle de toutes les fausses élites qui occupent la place publique, à la façon dont les prétendants sont les lamentables élites d’Ithaque. Culture du viol de la langue et, allant avec, culture de la lâcheté.

Hier soir nous avons regardé le feu d’artifice depuis le toit. Pendant ce temps, d’autres, irrités par cette société, s’en prenaient aux forces de l’ordre. Agresseurs ni meilleurs ni pires que ces fausses élites, dont la nuisance est cependant plus grande, paralysant toute vérité vivante dans le pays.

Quand j’ai dit au chirurgien que j’allais prendre ma retraite, il y a un an, il a dit, un peu désapprobateur : « Ah bon ! Jeune retraitée ! » J’avais 64 ans. Et hier j’ai découvert qu’en fait j’aurais pu la prendre trois ans plus tôt, j’aurais déjà eu tous les trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein – j’ai onze trimestres de plus, dont cinq que je n’ai pas encore fait valider (et je ne vais pas m’en soucier, car les trimestres supplémentaires ne comptent pas). Ma phobie administrative ne me fait pas oublier, comme à certaines de nos élites, de déclarer et payer ce que je dois, mais souvent, de réclamer ce qui m’est dû. Ce n’est pas la première fois – j’ai recouru aux aides publiques quand je n’avais pas d’autre choix mais de longues années je m’en suis passée quand j’y avais droit (allocations de la CAF, remboursements sécu…). La caisse de retraite a rectifié finalement d’elle-même une partie de l’affaire, si bien que j’ai désormais un tiers du montant de ma retraite en plus, et j’ai eu un virement pour le rappel, depuis septembre, de ce qui m’était dû – et comme j’ai travaillé dans tant de secteurs, je suis affiliée à un tas de régimes, tous n’ont pas encore procédé au calcul de ce qu’ils me devaient.

J’ai tant travaillé que malgré les années où le milieu de l’édition m’a soudain privée de la possibilité de publier et donc de cotiser, avant que j’aie le temps de me retourner vers l’enseignement, j’aurais pu partir trois ans plus tôt – sans compter tous les trimestres travaillés à partir de mes douze ans, de longues heures quotidiennes de travail pendant toutes mes vacances d’été, qui n’étaient pas déclarées – même à cette époque, je pense, le travail des enfants devait être interdit, mais je devais, seule de la fratrie, payer mes fournitures et livres scolaires, mes pauvres vêtements aussi – et j’envoyais le reste à des associations d’aide aux prisonniers politiques, pressentant peut-être que tel était aussi mon destin, sous la forme moderne de la culture de la lâcheté.

Mila

Ce matin j’ai écrit un commentaire sur France Info pour prendre la défense de Mila, lui souhaiter bon courage et dénoncer le harcèlement, en précisant qu’il était pratiqué de façon générale pas seulement par des jeunes mais par toutes sortes de gens. Mon commentaire n’est jamais passé, quoique je l’aie reproposé plusieurs fois sous plusieurs formes, jamais injurieuses. À quoi jouent les médias ? Prétendant défendre la liberté d’expression, et la bafouant. Ils m’ont fait le même coup pour des commentaires sur Edgar Morin, proposés sous plusieurs formes en vain. C’est moins grave, en vrai je me fiche assez d’Edgar Morin, mais pour Mila, et pour tous les harcelés, et spécialement toutes les harcelées, car ce sont le plus souvent des femmes qui sont visées et ainsi chassées des réseaux sociaux (moi-même j’ai dû plusieurs fois fermer mes comptes facebook et twitter, avant d’y renoncer complètement, comme de renoncer à laisser ouverts les commentaires sur mon blog), refuser les messages de soutien est particulièrement pernicieux.

Il faut rappeler, comme l’a fait le recteur de la Grande mosquée de Paris qui a reçu Mila aujourd’hui, dans une tentative d’apaisement qu’elle a appréciée, que ses insultes sur l’islam ont été proférées alors qu’elle était déjà harcelée, ce qui évidemment crée un stress et une agressivité en réponse à l’agression subie. Aucune comparaison possible avec Charlie Hebdo qui pendant des années, semaine après semaine, insulta méthodiquement les musulmans, ce qui constituait un harcèlement envers cette catégorie de la population, ainsi qu’envers les Roms, que ce journal visait aussi, et plus horriblement encore. Mila ne se laisse pas faire, et elle continue, refusant de quitter les réseaux. Certains lui reprochent d’être ce qu’elle est, mais depuis quand exige-t-on de quiconque qu’il ou elle se conforme à ce qu’on voudrait qu’il ou elle soit ? Mila ne lèse personne, n’empêche personne de vivre ; c’est l’inverse qui se produit, depuis trop longtemps. Je ne le dis pas en pensant spécialement à mon propre cas, mais à celui de toutes les personnes, en particulier toutes les femmes, empêchées de parler par des meutes abjectes de lâcheté et de bêtise. Que le jugement de quelques-uns des harceleurs de Mila soit le début d’un vrai combat de la justice, des gouvernements et des réseaux sociaux, contre ce fléau.

Fléau qui ne date pas d’internet. Alors que j’essayai en vain de faire passer mes commentaires sur cette affaire ce matin, j’avais à l’esprit le harcèlement infligé à Pénélope pendant de nombreuses années et à Ulysse aussi lors de son retour. Les harceleurs sont cette goule dévorante qui font que j’ai intitulé ma traduction Dévoraison.