
Huit des accusés d’Outreau (Sandrine Lavier, Franck Lavier, Alain Marécaux, Karine Duchochois, Pierre Martel, Roselyne Godard, Dominique Wiel, Lydia Cazin Mourmand et Christian Godard) fêtent la fin du procès, en décembre 2005. © AFP . Photo publiée avec cet article du Point, l’un des rares journaux moins partiaux sur cette affaire, lors de la sortie du film Outreau, l’autre vérité
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La propension des hommes à se dire du côté des faibles quand ils sont loin et à ne pas les regarder quand ils sont près n’a d’égale que leur propension à se dire contre les forts quand ils sont loin et à se ranger de leur côté quand ils sont près.
Quelle voix s’élève en France pour défendre la vérité bafouée des enfants violés d’Outreau ? Des humbles se mobilisent, font circuler l’information que les médias depuis des années occultent, en complicité avec les avocats des violeurs. Mais parmi les élites, parmi ceux qui ont accès aux médias, mutisme. Il est aisé et seyant de défendre les grandes causes lointaines, plus risqué de s’engager pour la justice et la vérité dans des affaires aussi proches et aussi sensibles. Les habitués de l’engagement désincarné reculent devant la vérité effrayante des personnes réelles d’Outreau. La peur métaphysique sert le déni et l’injustice.
De quoi ont peur ceux qui détournent le regard ? De voir, en se penchant sur le trou noir d’Outreau, ce qui en eux-mêmes grouille peut-être. Pour le nier, ils sont prêts à déformer la vérité, occulter les faits. À l’occasion de ce troisième procès, celui de Daniel Legrand qui produisit des aveux très détaillés et non extorqués, faits devant un psychologue, on nous dit que la victime c’est lui. Comme on l’a dit des sept condamnés qui furent acquittés en appel, malgré les déclarations concordantes des enfants et d’eux-mêmes avant qu’ils ne se rétractent. Déclarations faites sans que les uns et les autres aient pu se concerter, qui se recoupaient et comportaient des précisions qu’il leur était impossible d’inventer.
À Outreau, il y a eu viols en réunion et prostitution de nombreux enfants par de nombreux adultes. Il y a eu aussi, d’après les déclarations de plusieurs personnes, mort d’une fillette au moins. Douze enfants ont été reconnus victimes de viols, quatre adultes seulement condamnés, un seul encore en prison. Les acquittés (ce qui ne signifie pas « innocentés », car de lourdes charges pesaient sur eux) ont reçu des centaines de milliers d’euros chacun en dédommagement de leur temps passé en préventive. Les enfants violés, eux, ont été indemnisés dix fois moins, et abandonnés à leur sort. Ceux dont on a quelques nouvelles sont aujourd’hui des adultes en grande souffrance, comme Chérif Delay (extraits de son livre).
C’est le juge et ce sont les enfants qui se trouvent mis en accusation. C’est le monde à l’envers. L’abbé Dominique Wiel, l’un des acquittés, voisin de palier des Delay et celui qui, après les deux couples condamnés qui n’ont pas fait appel, avait écopé de la plus lourde peine au vu des déclarations précises de nombreuses victimes, a osé écrire un livre où il traite de « salades et bobards » la parole des enfants, et demande aux enfants Delay (qu’il rebaptise Jean et Luc – où tout psy entend « j’encule ») de dire qu’ils ont menti, qu’ils n’ont jamais été violés par quiconque – alors que leurs parents eux-mêmes ont avoué les viols qu’ils ont commis sur eux. Prenant visiblement les petits garçons pour des femmes, il a prétendu qu’un « gynécologue » aurait déclaré que les fils Delay n’avaient pas été violés. Il s’est répandu en tournée dans toute la France pour porter son accusation contre le juge et contre les enfants, anéantir toute l’histoire, prétendre que tout était pure invention. Il a été reçu dans les médias, dans les télévisions, où il a eu le culot de dire qu’il « pardonnait » aux enfants, mais qu’il attendait que le juge lui demande pardon. Ce même abbé accusait dans la presse la circulaire Royal qui oblige les travailleurs sociaux à dénoncer les abus sexuels sur enfants, et fait partie des comités de soutien d’un prêtre condamné à huit ans de prison pour viols d’enfants en Afrique, et d’un instituteur condamné à la même peine pour abus sur des enfants de sa classe. Lui aussi a reçu des centaines de milliers d’euros en dédommagement, lui aussi est reçu partout en victime ! Comme ce couple d’acquittés dont les enfants vivaient dans des chambres sans fenêtre ni chauffage ni draps, sur des matelas au sol pleins d’urine et le corps couvert de bleus – tandis qu’une vidéo de famille « ordinaire » montrait la mère embrassant sa fille à pleine bouche.
Les Delay ayant été convoqués avant qu’on ne songe à perquisitionner chez eux, comme ils l’ont avoué ont eu le temps de détruire et faire détruire dans leur entourage les cassettes qu’ils échangeaient et commercialisaient, avec les viols des enfants en réunion. Les viols, les sévices, les meurtres semble-t-il, tout ce qui s’est passé à Outreau et dans la région a été effacé, dissimulé, puis occulté par la presse, qui loin d’enquêter a instruit le dossier à charge contre le juge et les enfants, à la suite du livre de Florence Aubenas. De retour de captivité, elle a écrit à la hâte un livre pour disculper les violeurs, livre couronné d’autant plus de succès que l’auteur était auréolée de sa gloire de journaliste fraîchement libérée, et que sa thèse libérait chacun de ce poids de la culpabilité possible des adultes envers les enfants. À l’occasion de ce troisième procès, la même machine à désinformer s’est remise en marche, notamment aussi avec un journaliste du Figaro qui soutient ouvertement l’accusé, client de l’avocat avec lequel il a écrit un livre. Les avocats sont habitués à mentir, cela fait partie de leur métier, mais ce n’est pas celui des journalistes. Ici comme dans bien d’autres cas, toute éthique du journalisme est bafouée sans que personne ne s’en émeuve. Le fameux avocat blogueur qui se fait appeler Maître Éolas m’a mise plus bas que terre quand je lui ai fait remarquer ce fait sur Twitter, alors qu’il promouvait le journaliste du Figaro. Je répète ses mots, parce qu’ils disent le degré de haine des négateurs ; en réponse à ma remarque formulée poliment, voici ce qu’il m’a dit : « Le dernier lambeau de crédibilité et de dignité qui vous restait vient d’expirer. Je vous laisse, par pudeur » et : « Avez-vous si peur d’échapper à mon mépris ? » ; puis, à un autre : « J’ai fait le tour de cette folle ». Les hantises, les phobies sexuelles, produisent les cœurs secs. Les cœurs secs produisent le mépris de la vérité, perpétuent les injustices, répandent aveuglement et lâcheté. J’accuse tous ceux qui se font ainsi les complices de violeurs et d’assassins d’enfants.
Qu’est-ce qu’une société dans laquelle plusieurs témoins parlent d’enfants tués lors de viols, et qui choisit de fermer les yeux ?Qu’est-ce qu’une société où l’on expédie en Afrique puis abrutit de médicaments le témoin le plus « debout », le plus « dangereux » donc, qu’il faut empêcher de parler, qu’il faut convaincre qu’il a rêvé quand il parle du meurtre d’un enfant ? Chérif Delay est aujourd’hui interné, assommé de médicaments. Qu’est-ce qu’une société dont la justice et les médias œuvrent à occulter la parole des enfants violés et innocenter les violeurs ?
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« Un spectre hante l’Europe, et même son excroissance américaine : le spectre de la BHLophobie», écrit sérieusement Laurent Dispot dans La Règle du Jeu, revue de BHL, en 2010. Lors du vingtième anniversaire de la revue, le Café de Flore où se fête la chose est plein à craquer de vieux de la vieille médiatiques, de riches, de célèbres, d’influents et de clinquants, de ministres rassis, surtout socialistes, de présidents d’associations vendues (Ni putes ni soumises, SOS racisme) et d’associations juives, de communicants, de banquiers, d’héritiers, de directeurs de journaux, de radios nationales, de télévision, de rédactions de toute la presse, de Elle à Médiapart en passant par Ring. « Mais de jeunes auteurs et penseurs découverts par La Règle du jeu, nulle trace. Et pour cause : il n’y en a pas.
« En fait, tout le paradoxe de L’Idéologie française est là : si BHL a incontestablement perdu la bataille intellectuelle, s’il en ressort laminé sur le front de la pensée (…), il a non moins indubitablement gagné sur le front médiatique », écrit Cohen. Toute sa stratégie est là, et lors de l’une de ses intrusions où il n’est pas invité (évoquées dans la
Beau et Toscer mènent leur enquête au moment où « après avoir éclipsé tous ses rivaux sur la scène médiatique en France, le philosophe cherche maintenant la consécration internationale afin de devenir, aux yeux d’une opinion française crédule, l’intellectuel français qui a réussi aux États-Unis. » Les deux auteurs veulent « démonter les mécanismes » de cette machine-industrie qu’est BHL, « mais surtout », disent -ils, « il est difficilement supportable pour les journalistes que nous sommes, de vivre sous sa férule », lui qui « est devenu l’arbitre des élégances de la presse et des médias en France, distribuant les bons points et écartant les mal-pensants. » « Avec « BHL », la marque la plus achevée du système médiatique français, nous voilà plongés au cœur du monde des réseaux qui gouvernent aujourd’hui la production de l’information, avec ses compromissions, ses arrangements et ses lâchetés. »
Bernard-Henri Lévy a déclaré un jour que « le discours philosophique » était « étranger » aux femmes (Nice Matin, 2-10-1977). Si on le suit sur ce terrain, sachant qu’il n’est jamais devenu philosophe, on conclura qu’il doit en être une. Mais ne nous fions pas à ses décolletés plongeant sur son torse épilé, ne le suivons pas et ne tombons pas avec lui dans les stéréotypes de genre, comme on dit. Évidemment si toutes les femmes qu’il connaît ressemblent à celle qu’il a épousée, c’est-à-dire à lui-même, créature fabriquée par l’argent et pour la galerie, et non pas de ces femmes libres et actives qui lui font « éprouve(r) toujours un certain malaise, c’est vrai, à les voir comme ça, mal réveillées, trop vite maquillées, coiffées un peu de travers, le rouge à lèvres mal étalé, en train de discuter business… », alors oui nous sommes loin de la philosophie. Rappelons-nous simplement la formule de Castoriadis à propos des livres de BHL : « l’industrie du vide ». Le (vrai) philosophe a eu beau pointer « le bluff, la démagogie et la prostitution de l’esprit » ainsi que le fait de « trafiquer les idées générales », l’industrie de ce cerveau livré à tous les vents a continué à prospérer aux dépens de l’intelligence et de la vérité mais aussi, de plus en plus, aux dépens de la paix dans le monde. La fausse pensée mène à la mort, le parcours de BHL en est une illustration aussi spectaculaire qu’il est lui-même voué au spectacle. Doté d’une fortune fort mal acquise (nous y reviendrons dans la deuxième partie de cet article) et de moyens de séduction puissants, notamment constitués de renvois d’ascenseur, entouré de serviles serviteurs du monde comme il va, réunis autour de sa revue, le faux philosophe est parvenu à étendre son ambition d’établir « la règle du jeu » dans son pays et dans ceux qu’il souhaite soumettre à sa vision mortifère de l’ordre mondial. Toujours dénoncé par les penseurs et observateurs honnêtes depuis son apparition sur la scène médiatique il y a quarante ans, il a continué à sévir malgré tout, et à devenir de plus en plus nuisible. C’est pourquoi il faut sans cesse redire les vérités nécessaires sur ce personnage de Guignol qui déclarait au Monde en 1985 « je considère que je suis l’écrivain le meilleur, l’essayiste le plus doué de ma génération »… et je le ferai ici en m’appuyant sur trois ouvrages : Le B.A BA du BHL, par Jade Lindgaard et Xavier de La Porte, paru en 2004 à La Découverte ; BHL, une biographie par Philippe Cohen, paru en 2005 chez Fayard ; et Une imposture française, paru en 2006 aux Arènes. (Trois livres trouvés à la bibliothèque mais peut-être en utiliserai-je d’autres par la suite).