La postérité spirituelle de Joachim de Flore, par Henri de Lubac. 14) La barque

Enluminure de l'Évangile d'Echternach, La tempête apaisée

 

Henri de Lubac consacre maintenant un chapitre à Philippe Buchez (1796-1865), qui écrivit :
« Depuis des siècles, le monde social, la religion, la philosophie, la science tournaient dans un cercle toujours le même, sans prévoir qu’on pût en sortir, assurant même que telle était l’éternelle vérité des choses. Le christianisme rompit ce cercle où les destinées humaines semblaient arrêtées à jamais, et il en fit sortir un monde nouveau. L’immensité de ses oeuvres est telle qu’il suffit de jeter un coup d’oeil sur l’histoire pour en être étonné. » (t.2, p.89)

Et :
« L’esprit critique passa sur les sociétés comme un ouragan ou un déluge ; il abattit les temples, brisa les sanctuaires, enfouit les traditions ; il mêla et roula la matière de Dieu et des hommes, et la jeta çà et là, et la laissa immobile, comme un sable inerte et sans volonté, attendant le germe de l’arbre qui devait l’abriter et la fertiliser. » (t.2, p.103)

Lubac évoque l’attachement de Buchez aux Pères de l’Église, dont la pensée est toujours à retrouver, et aussi « l’admiration de Buchez pour Grégoire VII, partagée par nombre de ses contemporains », ajoutant : « Sur la fin du dix-neuvième siècle, Mgr Duchesne consacrait une opinion commune lorsque, après un sombre tableau des liens dans lesquels se trouvait alors enfermée l’Église, il écrivait : « Il fallait sortir de là ; Grégoire VII ouvrit la porte, une porte qui ressemblait à une brèche. Le scandale fut énorme dans un monde qui vivait sur les abus. Mais le grand pape eut confiance dans la barque de saint Pierre. Sur la mer démontée où il la conduisit, elle répondit à la foi de son capitaine ». » (t.2, p.109)

Commentant la pensée de Buchez, Lubac écrit enfin :
« Ce principe de progrès, cette influence active, bref, cet élément dynamique, était dès le premier jour au coeur de la foi nouvelle. Il a pénétré les peuples qu’elle a formés. Plus profondément que bien d’autres facteurs, il est à l’origine de ce grand fait, devenu banal, que devait constater le second concile du Vatican : « Le genre humain passe d’une notion plutôt statique de l’ordre des choses à une conception plus dynamique et évolutive » ; de là, dit encore le concile en restant dans les généralités, « naît, immense, une problématique nouvelle, qui provoque de nouvelles analyses et de nouvelles synthèses ». Comme hier encore le Concile, Buchez avait la conviction que la fidélité totale au principe qui avait donné l’impulsion première était indispensable pour éviter aux hommes de s’engager dans des voies sans issue. Cependant, aujourd’hui encore, bien qu’on le devine partout à l’oeuvre, cet élément dynamique de la foi se laisse mal cerner. C’est autre chose qu’une notion nouvelle du développement dogmatique, autre chose aussi qu’une logique plus intrépide – ou plus simpliste – dans l’application de l’Évangile à la vie sociale. C’est tout le contraire d’une adaptation trop complaisante aux mentalités d’un monde qui change. C’est un jour nouveau, qui ne devrait pas être purement rétrospectif, sur la fécondité de la révélation chrétienne, un approfondissement dans la conscience que l’Église a de son rôle et des moyens renouvelés qu’elle doit mettre en oeuvre pour le remplir. » Ce qui « suppose une forte unité pour assurer non plus seulement le maintien d’une foi sans compromissions mais la droite orientation d’une Église toujours en marche. Au coeur de l’Église et de sa foi, en vertu même de ce qu’elle fut dès l’origine mais aussi des situations nouvelles du monde qu’elle a mission de sauver, ouverture d’une dimension d’abord insoupçonnée, – utopique ou prophétique, on en pourra discuter. »(t.2, pp 133-134)

*

J’injecterai l’Ordre des Pèlerins d’Amour
dans les veines du monde avec vous, soeurs et frères
passionnément présents dans mon corps qui vous aime

Libres

 

La postérité spirituelle de Joachim de Flore, par Henri de Lubac. 13) Vers des zones inconnues

Photo Alina Reyes

 

Nous avançons dans l’ouvrage passionnant d’Henri de Lubac, et la postérité spirituelle de Joachim de Flore ne s’arrange pas. Que de lourdeur accumulée au fil des siècles dans le regard de ceux qui essaient de considérer Dieu, ou plus exactement de le détourner à l’avantage de leurs vues ! Nous assistons à une tentative désespérée de l’esprit humain au cours du temps pour se débarrasser non seulement de Rome, certes toujours trop entachée de péché, mais surtout, en vérité, de Dieu. En fabriquant un nouveau dieu, un dieu selon « l’Esprit » qui s’avère un dieu selon l’égarement, l’illusion, ou la tentation idolâtrique d’un veau d’or. Cependant, au milieu de cet embroussaillement, le très discret fil de lumière tient bon et poursuit son chemin.
Parcourons avec le P. de Lubac le chapitre onzième du tome 2. Nous nous étions arrêtés la dernière fois à Chateaubriand et au règne de Louis-Philippe, également évoqué par Philippe Muray dans la note d’hier pour éclairer le plombant héritage de notre société.

« L’Église dont Lammenais rêvait n’était au fond pas plus celle de l’Esprit que celle du Christ, parce qu’elle n’était pas une Église réellement donnée de Dieu, distincte de la société naturelle, insérée surnaturellement dans le monde pour le mener à sa fin, mais la voix même de l’Humanité. (…) Par une inversion apparente, qui a rempli de stupeur nombre de ses contemporains, il a pu repousser un jour l’Évangile interprété par Rome au nom de l’Évangile interprété par les peuples, ou le christianisme du « pontificat » au nom du christianisme de la « race humaine » ; il a pu passer d’un système de théocratie papale à celui d’une démocratie toute laïque, parce que le pape avait été pour lui le substitut ou plutôt l’organe du Peuple. (…) » (t.2, pp 68-69)

N’en sommes-nous pas toujours là, implicitement ? À penser comme Lammenais que « le christianisme et l’humanité sont une même chose » ? (p.74).
« En 1834, il ne cesse de redire que son intention « est de rester soumis dans l’Église et libre en dehors de l’Église », « soumis en religion et libre sur tout le reste ». Mais ce dualisme qu’il proclamait du prêtre et du citoyen ne correspondait plus dans sa pensée profonde à aucune réalité. Il n’avait pas entièrement tort de reprocher à Grégoire XVI sa politique. Il avait raison de lui rappeler une distinction essentielle en principe, quoique, dans la conjoncture historique, malaisément pratiquable. Mais il avait certainement le tort de ne guère se soucier pour lui-même d’une telle distinction. Ce qu’il proposait ensuite au pape comme base d’un traité de paix, c’était une dichotomie radicale, aussi peu souhaitable en elle-même qu’impossible à tenir en pratique : or nul n’était moins fondé que lui à s’en prévaloir. La part qu’il se réservait, en effet, la part qu’il exigeait, en réalité c’était tout, sa politique étant religion et sa religion, politique. » (t.2, p.69)

Le dualisme est une voie impossible, une voie qui ne mène qu’à la casse, aux enfers, à la seconde mort. Il n’y a pas deux libertés, il n’en est qu’une. On ne cloisonne pas son existence sans l’enfermer, et soi avec, dans la mort. Le dualisme est un existentialisme mortifère, celui dont nos « élites » ont hérité. Le dualisme ne se résout pas non plus dans une tautologie qui réduit une part à l’autre. Le Chemin, la Vérité et la Vie est tout autre (je mets le verbe être au singulier car les trois termes ne doivent pas être séparés). Il est ouvert, pur de toute intention et tentation humaines, gratuit. En ce sens seulement il est politique, politique de l’Amour.

Nous avons vu hier Muray parler de la « langue morte » du citoyen-citoyen de ce début de vingt-et-unième siècle. Lubac, oreille juste, nous parle maintenant de la « langue molle » dans laquelle Lamartine émet ce qui ressemble à « une proclamation de plus – sonore, mais prudente, à long terme – de l’Évangile éternel », « langue molle qui ne rappelle en rien la passion sèche et concentrée de Joachim de Flore, ni les accents, les fureurs, les images ou les extases de tant de ses héritiers successifs ». (t.2, p.76)
Concluant : « Lammenais et Lamartine : deux Joachims romantiques et sécularisés. Du moins le premier n’avait-il pas la fadeur trop fréquente et parfois trop opportuniste du second. » (p.78)

Voici maintenant les tentations élitistes et illusoires d’un autre poète, Vigny. « Ce que Vigny ne peut pardonner à Lammenais, ce « prêtre du pape » devenu apostat, c’est d’avoir agité malsainement le monde en brisant le cristal des « célestes illusions » dont lui, vigny, s’estime cependant affranchi. Jamais il ne renoncera pour lui-même à ce rêve hautain, qui finira même par trouver une forme apocalyptique dans son poème de l’Esprit pur, et c’est alors qu’éclatera le vers triomphal :

Ton règne est arrivé, Pur Esprit, roi du monde !

Là est sa pensée la plus étroitement personnelle. Au règne du Christ Vigny voit se substituer, non dans l’humanité entière, mais dans une élite dont il est un représentant, ou plutôt même le chef de file, le règne de l’Esprit. » (t.2, p.82)

Quant à Balzac, il n’échappe pas lui non plus à un certain dualisme, déclarant : « Politiquement, je suis de la religion catholique (…) Devant Dieu, je suis de la religion de saint Jean, de l’Église mystique… » (p.86), ni à l’égarement spiritualiste qui l’entraîne du côté de Swedenborg, ni à la tentation élitiste qui lui fait considérer que « la religion mystique de saint Jean est logique, elle sera celle des êtres supérieurs ; celle de Rome sera celle de la foule. » (p.87)
Nous sommes loin du Christ, venu pour tous. Pour faire de tous une élite, le peuple élu. Mais arrêtons-nous plutôt dans cette étape avec cette phrase de Balzac par laquelle Lubac conclut son chapitre :
« Je trouve que s’il y a quelque plan digne (de l’Église romaine), ce sont les transformations humaines faisant marcher l’homme vers des zones inconnues. »

 

La postérité spirituelle de Joachim de Flore, par Henri de Lubac. 12) Désespoirs. Et saintetés.

Photo Alina Reyes

 

« C’est seulement au cours des années 30, à la suite des « trois glorieuses », que se produit sinon l’éclosion, du moins la grande explosion d’un prophétisme métaphysico-social, chrétien, parachrétien, postchrétien, ou même antichrétien. On vient d’en voir un cas majeur dans le saint-simonisme.
Cette explosion coïncide, curieusement au premier regard, avec l’avènement du « roi-bourgeois ». Elle semble suscitée pour faire contrepoids à l’esprit « juste-milieu » qui caractérise en ses dehors officiels le règne de Louis-Philippe, dans le « mouvement » aussi bien que dans la « résistance ». Tocqueville n’écrira-t-il pas, une douzaine d’années plus tard : « Dans la plupart des hommes de mon âge, il n’y a rien que le désir de faire facilement et paisiblement de petites choses » ? » (t.2, p.33)

« Quand, héraut de la liberté, Chateaubriand avertit cependant son siècle qu’elle ne suffit point à fonder une société juste, ou quand il observe qu’au fond des utopies du jour c’est « le plagiat, la parodie de l’Évangile que l’on retrouve », comment ne pas l’approuver ? Quand il annonce le temps « d’une idolâtrie redoutable, l’idolâtrie de l’homme envers soi », sa voix n’a-t-elle pas un accent vraiment prophétique ? Quand il nous dit aussi : « Je ne suis point un incrédule déguisé en chrétien », je ne propose pas la religion « comme un frein utile aux peuples », « chrétien entêté, tous les beaux génies de la terre n’ébranleront pas ma foi », nous l’en croyons, et nous l’admirons. Nous ne voulons pas confondre cet entêtement de fidélité chrétienne, qui n’a rien d’aveugle, si imparfaite qu’en soit l’expression, avec le sentiment d’honneur qui liait le gentilhomme aux Bourbons sans l’empêcher de voir et de dire que leur temps était révolu. Mais il reste que ces trop belles phrases sonnent quelquefois un peu creux, qu’elles ne s’accordent bien entre elles que grâce à leur imprécision, qu’elles n’échappent parfois que par le vague aux excès joachimites. On peut d’ailleurs éprouver quelque peine à les prendre tout à fait au sérieux, si l’on se rapporte à un passage, au ton bien différent, de la préface aux Études historiques :

Il est, pour un peuple, des millions d’avenirs possibles, de tous ces avenirs un seul sera, et peut-être le moins prévu. Si le passé n’est rien, qu’est-ce que l’avenir, sinon une ombre au bord du Léthé, qui n’apparaîtra peut-être jamais dans ce monde ? Nous sommes entre un néant et une chimère.

Voilà qui nous ramène à l’incorrigible, à l’impénitent René, qu’une existence orageuse semble avoir seulement doté d’une sagesse désabusée.  » (t.2, pp. 47-48)

Dans un entretien vidéo accordée à oumma.com, Marc-Édouard Nabe disait récemment, à propos de Mohamed Merah : « À force de vivre comme un con, on finit par faire des conneries. » Dans Forêt profonde, j’ai comparé le nihilisme des « racailles » de banlieue à celui des « élites » intellectuelles de la capitale. La culture, la religion, la politique ne sont-elles pas également instrumentalisées comme alibis au désespoir qui fait « vivre comme un con » et « faire des conneries » ?

Salutaire intelligence du P. de Lubac conservant claire la vision de la simple Voie de la Vie en Vérité parmi le fatras des siècles. Je pense à son livre Sur les chemins de Dieu, que je lus dans la très calme bibliothèque des Visitandines, et dont je recopiai ce passage :

Chez les Visitandines. Photo Alina Reyes

 

« Dans la rencontre d’un saint, ce n’est pas un idéal en nous déjà formé que nous trouvons enfin réalisé, vécu. Ce n’est pas la perfection du type humain – ou surhumain – enfin incarnée dans un homme. La merveille est d’un autre ordre. C’est une vie nouvelle, c’est une sphère d’existence nouvelle, avec des profondeurs non seulement insoupçonnées, mais aux résonances étranges, qui soudain nous est révélée. C’est comme une « patrie » nouvelle, d’abord ignorée de nous (…)

Nous sommes à la fois attirés et heurtés, – d’autant plus heurtés, peut-être, que plus attirés. Nous éprouvons à la fois le double sentiment de quelque chose de très lointain et de très proche ; d’inquiétant, de troublant, et en même temps d’obscurément désiré. Nous avons l’impression mêlée d’un dépaysement et d’un accomplissement suprême, au-delà de notre désir. Nous sommes à la fois déconcertés et ravis, et ce ravissement même n’est pas sans éveiller en nous la crainte. L’esprit du monde, en nous, réagit à une menace. Notre secrète connivence avec le mal s’irrite. Nous esquissons une mise en garde. Si nous avions pu nous croire parfaits en quelque chose, nous sommes alors doublement tentés de repousser le spectacle provocateur qui va nous forcer à nous voir misérables ; bien plus, à voir la misère de cela même que nous appelions perfection.

Mais tout cela, en outre, ne nous laisse point à nous-mêmes, comme un pur spectacle. C’est bien, en effet, une provocation. C’est une sommation pour notre cœur d’avoir à prendre parti, en dévoilant peut-être sa pente la plus cachée… Brusquement, cet univers nous apparaît autre : c’est le lieu d’un vaste drame, au cœur duquel voici qu’il nous faut entrer à notre tour.

S’il y avait plus de saints dans le monde, la lutte spirituelle y serait plus intense. Le Règne de Dieu, s’y manifestant avec plus de force, susciterait de plus ferventes adhésions, – mais aussi, corrélativement, des oppositions plus violentes. Son urgence accrue provoquerait une tension, source de conflits éclatants.

Et si nous vivons relativement en paix au milieu des hommes, c’est sans doute que nous sommes tièdes. »

 

Mais nous, Pèlerins, nous brûlons de joie.

 

La postérité spirituelle de Joachim de Flore, par Henri de Lubac. 11) Singeries

L’entrée de la Demeure. Photo Microtokyo. Une utopie réalisée, voir ici.

 

Cela devient amusant. Lubac, appelant Fourier « notre auteur », ajoute drôlement : « (faudrait-il dire notre farceur ?) ». « Anticipant, dit-il, l’ère de l’harmonie, il a « trouvé le code » et il est devenu l’organe du Saint-Esprit. C’est-à-dire, pour les simples chrétiens que nous sommes, qu’il lit l’Évangile à l’envers. » Et Lubac d’ajouter en note : « Nous hésitons cependant à croire que, de la « sincérité », de la « conviction entière » et de la « parfaite cohérence » des exégèses proposées par cet homme qui fut « tout d’une pièce », toute ironie soit exclue. »… « Il est clair que son Dieu « mécanicien et équilibriste », lui-même tout figuratif, ne rappelle en rien celui du Pater et que sa morale du bonheur fondée sur le « calcul analytique et synthétique de l’attraction passionnée » est loin du « code divin » de l’Évangile. – Mais notre objet n’est pas d’exposer le système du monde « harmonien » en décrivant les quatre roues du char dont Fourier emprunte le symbole à Ézéchiel. »  (t.2, p.13)
Pour Fourier, dit aussi Lubac, « la providence divine, en réalité, n’était autre que « l’homme sociétaire » ; quant au Christ, il fut celui qui annonça « paraboliquement la destinée sociétaire sous le nom de royaume de Dieu ». » (t.2, p.11).
Ah le beau charabia, si voisin de celui des sciences-humanistes d’aujourd’hui, si insignifiant, si jetable ! Du moins peut-on en effet trouver une certaine drôlerie aux élucubrations de Fourier, et à quelques-unes de ses formules.

Quant à Saint-Simon (parent de la commère de la Cour), ne l’ayant lu je ne sais s’il peut être amusant aussi, cet autre utopiste « singeant le catholicisme ». « En fait, nous dit Lubac, dans un projet (manuscrit) d’Encyclopédie, notre révélateur a clairement indiqué que l’idée de Dieu n’était d’aucun emploi dans une religion fondée sur la science, même si elle devait servir longtemps encore « dans les combinaisons politiques » ; ce qu’il a voulu promouvoir, il le dit sans fard dans un article de l’Industrie littéraire et scientifique (1817), c’est le « passage de la morale théologique à la morale industrielle » [Voilà, c’est fait]. Il n’a pas changé quant au fond, depuis qu’il écrivait dans le meilleur style du dix-huitième siècle : « Je vois que la force des choses veut qu’il y ait deux doctrines distinctes: le physicisme pour les gens instruits, et le déisme pour la classe ignorante », aussi « les opinions scientifiques arrêtées par l’École devront être revêtues des formes qui les rendent sacrées, pour être enseignées aux enfants de toutes les classes et aux ignorants de tous les âges ». Son vocabulaire déiste n’est donc qu’un artifice littéraire, qui varie d’ailleurs selon les circonstances. S’il est devenu prophète, c’est pour prophétiser un « positivisme scientifique », une religion « radicalement sécularisée » [ce que certains aujourd’hui veulent faire par la culture]. Les savants y feront la relève des prêtres ; ils aideront le christianisme « à reconnaître son essence : la glorification de la nature cachée depuis dix-huit siècles sous les allégories évangéliques » et susciteront l’activité des industriels [même chose aujourd’hui avec les industriels de la culture]. C’est là ce qu’il appelle « rétablir le christianisme en le rajeunissant ». » (t.2, pp 20-21)

« Si, poursuit Lubac, la prétention d’achever l’Évangile en en dévoilant l’essence éternelle n’allait pas chez Fourier sans un grain de folie malicieuse, elle n’allait donc pas chez Saint-Simon sans une dose assez forte d’astuce. Aucun des familiers de ce grand seigneur inventif, aimable, libertin, fantasque et opportuniste, devenu bourgeois spéculateur, ne semble avoir jamais perçu en lui… la moindre disposition mystique… Cependant, il aimait se donner des titres tels que « fondateur de religion », « pape de la nouvelle théorie scientifique », ou « destiné par le grand Ordre des choses à faire ce travail », et dans ses derniers mois, auprès de nouveaux disciples, il en vint à faire « figure de Messie ». C’est précisément ce que devait lui reprocher Auguste Comte, brouillé avec lui, en évoquant plus tard « ce célèbre jongleur », dont les prétentions messianiques étaient le « signe d’une incurable faiblesse intellectuelle ».  » (t.2, p.22)

Bref, ce « fondateur » d’une « religion de la Banque », comme l’appela Michelet, fut l’un des nombreux très faux disciples de Joachim. En plus de six cents ans, la vision de l’abbé de Flore avait eu le temps de subir de graves distorsions et contre-sens, et ce n’était pas fini. Mais il est vrai aussi que les contre-sens arrivent à peine un texte est-il écrit ou publié, ne serait-ce qu’en discrète édition numérique. Courage, il faut pourtant bien avancer. À suivre.

 

La postérité spirituelle de Joachim de Flore, par Henri de Lubac. 10) Donner lieu au fruit

Miniature du XVe siècle : BNF

 

« Il n’est pas question ici, bien entendu, de tenter une incursion dans les profondeurs de la philosophie hégélienne. » (p.361)
« La longue introduction aux Leçons sur la philosophie de l’histoire est une sorte d’hymne au soleil de l’esprit : contrairement à celui du soleil cosmique, son mouvement « n’est pas une répétition de soi-même… ; l’aspect changeant que l’esprit se donne dans des figures toujours nouvelles est essentiellement progrès ». » (p.362)
Et Lubac cite encore Hegel :
« … C’est l’esprit qui conduit à la vérité, il connaît toute chose et pénètre même les profondeurs de la Divinité… L’évolution de l’esprit qui pense, dont le point de départ a été cette révélation de l’Être divin (dans l’Écriture sainte), doit s’élever enfin jusqu’à saisir par la pensée aussi, ce qui fut proposé d’abord à l’esprit qui sent et représente. Il doit être temps enfin de comprendre aussi cette riche production de la raison créatrice : l’histoire universelle. » (pp367-368)

« Après deux siècles bientôt écoulés, la philosophie de Hegel n’a pas cessé d’exercer sa fascination, ni d’inspirer une pluralité foisonnante d’interprétations, de déductions, de transformations et de critiques. « Certes, Hegel a cherché à ne dire qu’une seule chose, à être cohérent, univoque, mais ce qu’il dit est en fait fort complexe… Sans doute tient-il beaucoup au fait historique ; avouons cependant que l’accent est tellement mis sur le savoir de Dieu que la Trinité immanente semble parfois s’estomper derrière le savoir vécu, la théorie de la Trinité et le Christ lui-même derrière la christologie » [M. Régnier]  » (p.375)

« La relation de Schelling à Joachim de Flore est plus explicite et plus proche de celle de Hegel (…). En 1800, dans le Système de l’Idéalisme transcendental, il donne une première ébauche de ce qu’est pour lui « la loi de l’histoire » qui doit aboutir au « règne de la liberté » : c’est celle d’une révélation de la divinité qui se fait en trois temps, aux limites indécises : le temps de la force aveugle où domine le hasard, le temps de la nature qui découvre et impose sa loi, le temps de la Providence qui est aussi pour l’homme celui de la liberté ; quand commencera ce troisième temps, « on ne saurait le dire ; mais on peut affirmer que, le jour où il aura commencé, aura aussi commencé le règne de Dieu ». (p.378)

Selon Schelling, montre Lubac, « l’Église de Jean [sera] « la seconde, la nouvelle Jérusalem », que le Voyant de l’Apocalypse a contemplée descendant du ciel. Elle rassemblera tous les chrétiens aujourd’hui séparés, elle accueillera dans son sein les Juifs et les païens ; elle subsistera en elle-même, sans contrainte et sans limite, sans autorité extérieure de quelque sorte que ce soit ; chacun s’y adjoindra librement ; ce sera la seule religion vraiment publique, la religion de la race humaine, possédant en elle le plus éminent savoir. » (p.390)

« Interprété dans tous les sens, livré aux passions de l’époque, le mythe schellingien n’en a pas moins exercé, plus en profondeur, une action stimulante. La seule chose que nous ayons à retenir, et que les prochains chapitres confirmeront, c’est que, dans les milieux les plus hautement intellectuels comme dans d’autres plus modestes de fait sinon d’intention, au cours du dix-neuvième et du vingtième siècles, le joachimisme, en se transformant, poursuit sa carrière et continue de fructifier. » (p.393)

*

Ainsi arrivons-nous à la fin du premier tome de cet ouvrage d’Henri de Lubac. Acheminons-nous maintenant vers la Pentecôte avec le deuxième tome, de Saint-Simon à nos jours, qui nous fera voyager par bien des personnalités… pour n’en citer que quelques-unes, Fourier, Michelet, Marx, Hitler, Dostoïevski…

Et surtout avec la pensée que la vision première de Joachim, qui continue à vivre, errer et fructifier depuis plus de huit siècles, ne peut que contenir une vérité, une prescience et un pressentiment d’une vérité à venir, encore à dégager de sa gangue mais appelée par l’histoire à voir le jour, comme l’est la figure de l’ange cherchée par le sculpteur dans le bloc de marbre.

Si l’utopie doit avoir lieu, ce lieu ne peut qu’être « céleste ». Or le travail du christianisme, son travail invisible à travers l’histoire, qui est aussi plus ou moins confusément celui de toutes les religions, est de rendre toujours plus proche de l’homme le royaume des Cieux. À la différence près qu’ils n’aboliront pas les religions mais les réconcilieront et participeront à exhausser leur essence, les Pèlerins d’Amour seront en quelque sorte l’Église de Jean entr’aperçue par Schelling. Non pas une église de pierre ni de territoire ni d’institution, mais une église qui, tout en oeuvrant en bonne intelligence ou communion avec les peuples et les institutions, aura pour lieu la vie même qui s’y vivra, unissant tous les hommes par des liens souples et libres, maintenus dans un Ordre lumineux parce qu’il ne sera qu’obéissance à Dieu. (voir Voyage). À suivre ! Avec mon coeur donné.

 

La postérité spirituelle de Joachim de Flore, par Henri de Lubac. 9) Donne-leur la paix

Nicolai Yaroshenko, Les funérailles du premier-né

 

« Une fois coupé du Christ historique dont il est l’envoyé et le témoin, l’Esprit, soumis à toutes les aventures de la subjectivité humaine, mystique ou rationnelle, peut en effet conduire à tout, l’athéisme compris.
(…) Fichte… s’efforce de montrer que ce Royaume des cieux, jadis annoncé par Jésus, n’est rien d’autre en réalité que le règne de la Raison, telle qu’elle vient enfin de se manifester. » (p.335)
« L’ambition de Fichte est plus vaste : elle est celle d’un démiurge… C’est par lui, par son enseignement philosophique inspiré, que le Logos incarné du prologue de saint Jean révèle enfin sa vraie nature : il n’est rien d’autre que « la conscience supérieure de soi », dans laquelle s’unissent en se réalisant l’homme, le monde et la divinité. – Au lendemain de la première guerre mondiale, citant ces fières déclarations, le luthérien  Wilhelm Lütgert écrira : « On n’en croit pas ses yeux, quand on lit cela, et pourtant Fichte prenait cette conscience de sa charge tout à fait au sérieux ». Lütgert voyait, ou du moins entrevoyait où devait mener ce délire. Mais autour de lui bien peu en pressentaient la sinistre signification possible, et « l’usage pédagogique des universités » s’employait toujours à le « consolider ». » (p.336)

« Deux poètes [Hölderlin et Novalis]… avaient suivi, chacun de son côté mais avec le même enthousiasme, les cours de Fichte à Iéna… deux êtres merveilleux, ces êtres exquis, au destin tragique : l’un foudroyé à trente-deux ans par l’assaut trop violent du flux poétique dont il était investi depuis l’adolescence et qui vint se heurter aux plus misérables réalités ; l’autre mort à vingt-neuf ans, rongé par la phtisie, alors qu’il achevait de décanter l’apport trouble de « tous les illuminés » et de ses propres rêves pour en tirer le plus beau, le plus « catholique » des cantiques spirituels. » (p.336)

« … une hymne… Fête de paix. Jean-Luc Marion… a montré que sa deuxième strophe « reprend presque mot à mot l’hymne christologique de l’Épître aux Philippiens » ; le terme de « renoncer » y traduit l’idée de la kénose que saint Paul exprimait par « se vider », et la strophe s’achève « par l’exaltation paternelle du Fils » devant qui tout genou fléchit. Un peu plus loin, la personne du « Prince de Paix », qui est « le Fils », « se déploie dans l’ampleur « trinitaire » le plus explicitement possible ». Après s’être ainsi fixée « sur un des textes christologiques les plus décisifs de la tradition chrétienne », placé dans le contexte de son dogme essentiel, la méditation d’Hölderlin se poursuit sur la place du Christ dans l’histoire spirituelle de l’humanité, puis sur la nécessité de son apparent retrait : c’est à la fois l’Unique et Patmos. Le visage du Seigneur a disparu, le poète ne veut pas s’en attrister comme jadis les apôtres, dont « l’excès d’amour », mal entendu, était « riche de périls… Il fallait accepter le temps perdu des théophanies, le départ apparent du Christ, mêlé à sa Résurrection : c’est pourquoi… toute la part chrétienne des hymnes se trouve centrée sur Emmaüs ». » (p.342)

« Quoiqu’il en soit de chacun, note [Novalis] dans son « grand répertoire », « la paix éternelle est déjà présente, – Dieu est parmi nous, – l’Âge d’Or, le voici ». – Et cet autre grain de Pollen, si évangélique, et qui mûrira chez Dostoievski : « Là où sont les enfants, là est un âge d’or ». « (p.350)

« Si beaucoup de ses lecteurs découvraient dans ses écrits « le mystère spirituel de l’existence » et s’ils éprouvaient à son contact « un réconfort tout semblable à celui du pieux chrétien dans les Saintes Écritures », c’est que « Novalis, en effet, était chrétien et religieux au sens le plus profond du mot…; et nul n’ignore que son penchant pour le catholicisme était marqué, et que personne peut-être n’a plus attiré la jeunesse au catholicisme ». [Guerne]
Dans cette année 1799, année si féconde où tout se précipite, avant la dernière maladie et la mort, une note du « grand répertoire général » nous paraît éclairer, chez le jeune poète, les liens entre l’histoire et l’âme, et réduire du même coup les expressions les plus joachimites de son vocabulaire, devenues simples rémanences :

Histoire. – La Bible commence magnifiquement par le Paradis, symbole de la jeunesse, et se clôt avec le royaume éternel, avec la Cité de Dieu… En chaque membre de la pure grandeur historique, il faut en quelque sorte que la grande histoire se retrouve symboliquement rajeunie… L’histoire de tout homme devrait être une Bible, et elle deviendra, elle sera une Bible. Le Christ est le nouvel Adam. Idée de la régénération, de la nouvelle naissance… » (p.352)

En lisant Schlegel, « Bien que le deuxième âge de l’humanité soit défini comme soumis à l’action d’une force, et le troisième comme inondé d’une lumière, le lecteur croit comprendre… que c’est plutôt une force nouvelle, venue de l’Esprit de Dieu, qui, au troisième âge, aura répandu partout dans le monde et fait recevoir par tous les humains la lumière chrétienne déjà présente au coeur du petit nombre des croyants.
(…) L’homme est bien « essentiellement perfectible », mais dans le mal tout comme dans le bien, et, laissé à lui-même ou ne voulant rien devoir qu’à lui-même, il risquera d’être, dans le mal, « effroyablement progressif ». Cette note de sain réalisme… apparente Schlegel à Teilhard de Chardin. Le progrès humain, dira Teilhard (au rebours d’un contresens obstinément répandu) est « la plus dangereuse des forces », il entraîne toujours « de plus grandes luttes, de plus grands maux, de plus grands risques » ; en effet « plus l’humanité se raffine et se complique, plus les chances de désordre se multiplient et leur gravité s’accentue » ;  « toute énergie est également puissante pour le Bien ou pour le Mal », en sorte que « grâce aux progrès de la science et de la pensée », chacun de nous se trouve acculé à « un choix plus conscient à faire entre le Bien et le Mal ». Aussi le seul progrès qui mérite pleinement ce nom, le seul qui soit sans ambiguïté ni contrepartie, est-il celui qui, « descendant d’en haut », s’opère au fond des âmes : celui de la « communion des saints ». (pp356-357)

 

La postérité spirituelle de Joachim de Flore, par Henri de Lubac. 8) Emmurés dans le mal

Sade par Man Ray

 

« Dès son premier véritable ouvrage, les Considérations sur la France (1796), qu’il rédige à Lausanne où il est émigré et qu’il publie avec la fausse indication de Londres, Joseph de Maistre écrit : « Il me semble que tout vrai philosophe doit opter entre ces deux hypothèses ou qu’il va se former une nouvelle religion, ou que le christianisme sera rajeuni de quelque manière extraordinaire. C’est entre ces deux suppositions qu’il faut choisir, suivant le parti qu’on a pris sur la vérité du christianisme ». Un tel propos ne saurait être celui d’un réactionnaire simpliste. Naturellement, c’est vers la seconde hypothèse qu’il penche ; mais la perspective dans laquelle il envisage le « rajeunissement » chrétien est radicale : « Cette conjoncture, poursuit-il, ne sera repoussée dédaigneusement que par ces hommes à courte vue, qui ne croient possible que ce qu’ils voient. Quel homme de l’antiquité eut pu prévoir le christianisme ? Et quel homme étranger à cette religion eût pu, dans ses commencements, en prévoir les succès ? Comment savons-nous qu’une grande révolution morale n’est pas commencée ? ». Et comme au temps du Mémoire au Duc de Brunswick, la perspective oecuménique accompagne cette vue d’avenir. » (p.296)

« Partout, dans l’oeuvre de cet apologiste de la papauté, on entrevoit, « dès qu’il se livre à son inspiration propre, ce pressentiment, plus ou moins explicite, plus ou moins enveloppé, d’une évolution extraordinaire dans le catholicisme » [L.Biraut] : « Tous les êtres gémissent et tendent, avec effort et douleur, vers un autre ordre de choses ».
(…) Il s’en tenait alors à une doctrine, déjà très personnelle, du développement dogmatique et institutionnel dans l’Église, doctrine qui fait de lui un des précurseurs, reconnu comme tel (…) par Newmann lui-même, du célèbre Essay on the Development. C’est ainsi qu’il écrira, dans son Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (publié peu avant sa mort) : « Rien de grand n’a de grands commencements… L’accroissement insensible est le véritable signe de la durée, dans tous les ordres possibles des choses »… » (p.297)

« Le chrétien et catholique Ballanche est très dur contre la philosophie déiste du XVIIIe siècle ; il sait aussi combien la crise révolutionnaire fut « horrible », il a toujours gardé un souvenir terrifié des horreurs subies par sa ville de Lyon au temps de son adolescence ; mais (en cela proche de Maistre) il croit que c’est une loi mystérieuse de la Providence « que le bien sorte du mal, que le bien ne puisse s’opérer sans douleur, que la grandeur du bien se mesure même par l’étendue et l’intensité de la douleur ». » (p.312)

*

Voici précisément où se trouve l’écueil dans la pensée de Maistre, l’écueil qui a pu faire naufrager des âmes moralement faibles dans la croyance au mal, et à la nécessité de faire le mal, à l’instar des écrits de Sade, contemporain de ces mêmes horreurs de l’histoire. Lubac ne s’y arrête pas, tel n’étant pas son sujet, mais si l’on voulait rapporter cette funeste croyance au joachimisme, on pourrait dire qu’elle en est la plus monstrueuse perversion. Au lieu d’une espérance dans l’attente du Saint-Esprit, un nihilisme intégral dans la soumission à l’esprit du mal.

Dans le « Neuvième entretien » des Soirées de Saint-Pétersbourg, le Chevalier cite de longs passages de Jennyngs, dont voici l’essentiel :
« Un homme acquitte les dettes d’un autre homme. Mais… pourquoi Dieu accepte ces punitions, ou à quelles fins elles peuvent servir, c’est sur quoi le christianisme garde le silence ; et ce silence est sage. Mille instructions n’auraient pu nous mettre en état de comprendre ces mystères, et conséquemment il n’exige point que nous sachions ou que nous croyions rien sur la forme de ces mystères.
(…) Je sens bien que, dans toutes ces considérations, nous sommes continuellement assaillis par le tableau si fatigant des innocents qui périssent avec les coupables ; mais sans nous enfoncer dans cette question qui tient à tout ce qu’il y a de plus profond, on peut la considérer seulement dans son rapport avec le dogme universel et aussi ancien que le monde, de la réversibilité des douleurs de l’innocence au profit des coupables.
(…) Le christianisme est venu consacrer ce dogme qui est infiniment naturel à l’homme, quoiqu’il paraisse difficile d’y arriver par le raisonnement. (…) le christianisme… repose tout entier sur ce même dogme agrandi, de l’innocence payant pour le crime.
L’autorité qui approuve ces ordres choisit quelques hommes et les isole du monde pour en faire des conducteurs.
Il n’y a que violence dans l’univers ; mais nous sommes gâtés par la philosophie moderne, qui nous a dit que tout est bien, tandis que le mal a tout souillé, et que dans un sens très vrai, tout est mal, puisque rien n’est à sa place. »

Les passages soulignés en italique le sont par Maistre. Il est aisé de comprendre où peut mener une telle vision.

Je me suis présentée simplement, offrant ma parole et ma vie. Ceux qui croient secrètement au mal m’ont écartée et se sont mis à machiner, afin d’arriver à prendre plutôt que de recevoir, comme mus par un instinct de terreur et de vieux sacrifice à accomplir pour tenter de maîtriser ce qui est de Dieu, et qu’ils croient mauvais.

Mon amour est intact, mon offrande toujours la même, et je donnerai ce qui m’a été donné à donner, dès que les conditions ne seront plus telles que le mal viendrait tout souiller, pour reprendre les termes cités par Maistre, à volonté toujours de nouveau, comme il en est depuis trop longtemps. Ce que j’ai supporté, ni le livre ni l’ordre n’ont à le subir, je tiens à y veiller.

Sortons, allons au jardin, il n’est pas mauvais puisque nous y ressusciterons, oui.