Deuxième jour de cours. Le grand bonheur

La Défense vue du RER, aujourd'hui, photo Alina Reyes

La Défense vue du RER, aujourd’hui, photo Alina Reyes

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J’ai donné six heures de cours aujourd’hui. Le premier à 8h30 (après deux heures de trajet pour arriver au lycée juste à temps, la prochaine fois je partirai plus tôt), le dernier (dans les heures creuses j’ai préparé les photocopies pour les prochains cours et fait un tour au CDI) finissant à 17h30 (suivi d’encore deux heures pour retourner chez moi). Tout s’est passé à merveille selon mon cœur, même si je sais où je veux m’améliorer. J’ai inventé un petit truc qui s’est avéré radical pour faire cesser les bavardages et autres manquements, et ils ont continué à être aussi réactifs et participants. Je les fais travailler sans cesse pour limiter au maximum la possibilité de l’ennui, sur des textes que j’ai choisis, et de temps en temps de petites leçons improvisées,  en commençant par la citation du jour (aujourd’hui la première, de Papusza : « le talent sans instruction est comme un loup sans forêt », ce qui m’a permis de leur présenter cette poétesse rom). Et puis l’après-midi, j’ai commencé les ateliers d’écriture et lecture, en demi-groupes. Je leur ai fait disposer les chaises en grand carré dans la salle afin qu’ils se fassent tous face (y compris moi), et ça a très bien marché, avec une technique inspirée de celle que j’ai vécue un soir aux Compagnons de la Nuit mais qui tient compte de ce qu’ils doivent savoir faire pour le bac etc. Ces jeunes sont adorables, très gentils, quand je les rencontre ailleurs qu’en classe, dans les couloirs ou dans le bus ils me saluent tout souriants, il y en a qui viennent se confier, quel métier merveilleux.

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Premiers cours. La prose du transilien

Le flot de vie qu’apporte la lecture des fiches de mes 70 élèves, auxquels j’ai demandé, pour tout renseignement, de me donner leur nom et de dire ce qu’ils aimaient dans la vie, vaut plus que tous les romans du monde. Il y a parmi eux des sportifs de haut niveau, des musiciens, des artistes, des littéraires, mais tous, que leur talent ait trouvé à se développer ou non, sont magnifiques de vitalité, de fraîcheur, de potentialités. Classes multicolores où se mêlent toutes origines sociales et ethniques, chaque fois le monde entier dans une salle, c’est magnifique.

J’ai commencé avec les seconde générale. 35 élèves dans une classe, ça fait vraiment beaucoup, il faut sans cesse se déplacer parmi eux pour n’en perdre aucun. Après une première heure consacrée aux présentations, fiche, annonce du travail de l’année, etc., j’ai fait cours pendant la deuxième heure. Quand j’ai vu qu’ils commençaient à bavarder, sans réfléchir, sans leur demander de se taire ni rien, je me suis lancée dans un discours improvisé sur la littérature, le sens de la littérature, l’humanité… Et pendant tout le temps où j’ai parlé, ce fut un silence royal, dense. Et quand je me suis arrêtée, une salve nourrie d’applaudissements. J’ai repris le cours normal, un peu après ils ont recommencé à bavarder et jusqu’à la fin j’ai dû leur demander plusieurs fois de se taire, mais ce n’était pas du tout un chahut, simplement ils bavardent un peu avec leur voisin et comme ils sont très nombreux cela fait un brouhaha. Cependant ils ont toujours été très réactifs, très participants, dès que je posais une question de nombreuses mains se levaient pour répondre, je devais distribuer la parole, les remarques sur le texte de Flaubert que j’avais distribué fusaient, et toujours en circulant dans la classe j’ai veillé à ce que personne ne décroche, c’est resté très vivant.

Ensuite j’ai eu les première ST2S (sciences et technologies de la santé et du social), en deux groupes, très multicolores et majoritairement féminins, d’une heure chacun. Des élèves dans l’ensemble très calmes, pleins de bonne volonté. Nous avons consacré chaque heure aux présentations, juste terminées par ma lecture du texte que je leur ai distribué et demandé de rapporter la prochaine fois. J’ai hâte de travailler avec eux.

Absolument heureuse de ce départ et des perspectives, consciente du travail à fournir pour faire du bon travail, je suis repartie à 17h30 sous une pluie battante, en même temps que des flots d’élèves dont certains prenaient le même bus que moi. À cause d’un problème technique sur la voie à Paris il n’y avait plus de RER, seulement un transilien qui s’arrêtait à Saint-Lazare. J’ai fait des photos depuis le train, puis j’ai marché longuement dans la gare pour prendre le métro, et je suis arrivée chez moi plus de deux heures après. N’empêche, j’ai raison quand je dis à l’Espé qu’ils ont tort de ne pas chercher à enseigner le sens de la littérature.

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transilien 7photos Alina Reyes

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Construire ses cours dans et pour la fête de l’esprit

Je prépare mes cours dans une joie intense, qui me tient éveillée tard dans la nuit et me jette hors du lit avant le jour. Ça gicle dans tout mon corps, la pulsion savante d’élaborer une année d’enseignement harmonieuse, de prévoir par petites et grandes touches les orientations déployées d’un même but en train de se réaliser à tout moment et allant à son accomplissement. Rien à voir avec la langue de l’Espé, l’organisme chargé de former les professeurs, langue toute en cases, froide et morte, décomposée, langue qui tue l’esprit. J’apporte soin au choix des œuvres et à la mise en œuvre de l’étude, mais aussi à la papeterie : un petit cahier pour noter ce qui vient à l’esprit, un grand classeur agencé de façon à ordonner les cours de façon souple et vivante.

Pour les classes de seconde et de première, le programme diffère mais reste articulé autour de quatre grands axes : le roman, le théâtre, la poésie, l’argumentation. Libre au professeur de déterminer les œuvres et la problématique qu’il veut traiter à travers l’étude de ces quatre genres. Avec des variations entre les deux classes, seconde et première, j’ai choisi de les conduire successivement dans ces sens : les rapports hommes-femmes (roman et nouvelle) ; les formes de la rébellion (théâtre) ; l’aventure extérieure-intérieure (poésie) ; la recherche de la liberté (argumentation).

Je ne m’attends pas à ce que tout marche ensuite en classe comme sur du papier à musique, toute musique demande beaucoup de travail avant d’être au point, mais comme quand je chantais dans des chœurs, je sais que pendant le travail la musique est déjà là, la musique y sera.

Voici trois petites images que j’ai faites hier en allant chercher un livre d’occasion chez Gibert, les deux dernières au coin de la librairie, en cette période pleine d’étudiants du Quartier Latin et d’ailleurs.

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objets à la rue

nystreetphotographie

backtothestreethier à Paris 5e, photos Alina Reyes

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L’Espé meurtrier

ratconditionEncore une journée éprouvante à l’Espé, décidément dédié à l’assassinat de la littérature et de l’intelligence. Je ne me conformerai pas aux méthodes nihilistes d’enseignement du français et des lettres qui nous y sont enseignées. Le seul avantage que je vois à cette immersion forcée dans cette sinistre institution (si je n’y vais pas, je ne pourrai pas continuer à enseigner), c’est de me faire découvrir cette déplorable réalité. Ce que j’y ai entendu aujourd’hui était aussi lamentable que la dernière fois. Il s’agit, a dit fièrement une formatrice en réponse à l’une de mes remarques, de « former les gens dont le monde actuel a besoin ». Orwell n’aurait pas dit mieux. Ce qu’il faudrait, lui ai-je répondu, c’est plutôt former des gens capables d’être libres et de faire le monde eux-mêmes. « Oh les grands idéaux… », elle a fait. Puis je n’ai plus dit grand chose, fatiguée et  déprimée par tout ce que j’entendais. J’ai entendu aussi qu’il fallait, pour enseigner, « faire le deuil de son savoir universitaire ». Et qu’une enseignante stagiaire comme nous avait été sanctionnée pour avoir, lors d’un cours auquel assistait une personne de l’Espé chargée de l’évaluer, fait une leçon à ses élèves de 5e sur un calligramme d’Apollinaire (car ce sont les élèves et non elle qui auraient dû en parler) et pire encore, les avoir renseignés précisément sur l’étymologie du mot calligramme. J’ai décidé de faire grève au prochain travail en groupe de construction d’une « séquence » d’enseignement. Jusque là je me suis contentée de jeter seulement  une dizaine de mots çà et là sur ma page, tout en essayant de convaincre mes partenaires jeunes agrégées (celles à qui ont été confiées comme à moi des classes de lycée et non de collège, et avec lesquelles je travaille donc) de la stupidité de ce qu’on nous faisait faire – elles m’écoutent poliment puis retournent à l’exercice demandé. Les groupes qui avaient à construire une séquence pour le collège avaient dans leur corpus de textes, voisinant avec un extrait comme toujours somptueux de Charles Perrault, un passage d’un « livre jeunesse » écrit avec les pieds (façon de parler, je ne veux pas insulter les pieds, que je respecte bien plus que l’Espé). Mais personne ne voyait que c’était comme mettre un McDo à côté d’un chef étoilé – au contraire j’ai remarqué que les profs ont l’air de raffoler de cette « littérature jeunesse ». L’une des filles de mon groupe a quand même glissé entre nous qu’elle n’était pas sûre que cette formation allait beaucoup nous servir, qu’on semblait y perdre beaucoup de temps. Aussitôt une autre lui a répliqué que ce n’était qu’une impression, car en fait grâce au « rabâchage », les choses finissent par être tout à fait intégrées. Oui, ai-je dit, au point qu’on est dans une pensée unique où personne ne semble pouvoir envisager qu’il y a d’autres façons de voir et de faire.

On fabrique là des enseignants capables de fabriquer des élèves et des futurs adultes incapables, interdits même, de comprendre le sens d’une œuvre littéraire. Ce qui est inhumain.

J’ai photographié l’œuvre #ratcondition hier à Paris

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Pour mes Premières, Michèle Lesbre

canapé rougeMa classe de Première, que je dois rencontrer vendredi pour la première fois, devrait être composée en grande majorité de filles, se destinant aux métiers du secteur médico-social. Hier au retour du lycée où j’avais rendez-vous avec ma tutrice pour préparer encore la rentrée, (j’ai beau prendre tous les raccourcis possibles, ça fait toujours presque quatre heures de trajet aller-retour), je suis allée en librairie chercher un roman contemporain que je pourrais leur faire étudier, ayant envie de les sortir des sempiternelles histoires sordides du réalisme et du naturalisme du vingtième siècle. J’ai repéré en collection de poche, ni trop long ni trop cher, un beau roman de Michèle Lesbre, Le canapé rouge. Je l’ai acheté, je suis rentrée le lire et c’est décidé, ce sera celui-ci. Un livre qui leur donnera de l’écriture d’aujourd’hui et beaucoup à penser sur ce qu’est la liberté des femmes (même si celle-ci est en manque d’enfants), et notamment sur la problématique, comme on dit, par laquelle j’ai choisi de traiter le thème imposé (« le personnage de roman du dix-neuvième siècle à nos jours ») : les rapports hommes-femmes, que nous verrons aussi à travers des extraits d’autres romans. J’en parlerai une autre fois, devant partir maintenant pour la fac, à près d’une heure trente d’ici. En tout cas, une lecture que je recommande.

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Rentrée des classes, les préparatifs

Ce n’est pas le tout que de préparer les cours, il faut aussi ajouter du plaisir partout. Cela valait le coup de passer quelques heures, hier et aujourd’hui, à réaliser des collages pour personnaliser les objets et la papeterie qui supporteront le travail d’étude des textes.

J’ai donc libéré le classeur où je rangeais les documents qui m’ont permis de préparer le CAPES pour y mettre désormais les cours que je préparerai, et je l’ai personnalisé en y collant de mes collages et dessins :

classeur

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J’ai refait un agenda publicitaire offert par un syndicat d’enseignants en le couvrant de mes propres couleurs, au recto et au verso. L’usage du scotch a l’avantage de consolider la couverture. J’ai aussi aménagé l’intérieur (d’habitude je fais de même avec un agenda à tout petit prix)

agenda

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J’ai fait pareil pour le cahier de notes, offert par une banque pour enseignants. Sur la première de couverture j’ai laissé les images de montagne et les citations originelles, et dessous, par-dessus la pub, j’ai collé une photo que j’avais faite d’ouvriers sur un échafaudage. Sur la quatrième de couverture, j’ai collé une page d’images de livres faites par une artiste, découpée dans une revue. J’ai fait aussi d’autres collages et aménagements à l’intérieur pour masquer les pubs.

cahier de notes

cahier de notes,*

Et puis j’utiliserai comme cartable le sac de lycée que j’avais repeint l’année dernière pour aller travailler en bibliothèque, et j’y glisserai la chemise en carton que j’avais aussi consolidée avec des collages et des couleurs, et qui sert à garder les feuilles volantes

cartable

pochette

Et je ferai de même avec mon cahier de textes, quand j’en aurai un, car je compte bien ne pas me contenter des cahier de textes, carnet de notes etc. à disposition sur un service informatique

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Pré-rentrée, déjà béatitude

pontoiseaujourd’hui vers 19 heures en attendant mon bus à la sortie de mon lycée

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J’ai découvert mon lycée aujourd’hui, en faisant la pré-rentrée. J’y ai passé toute la journée et j’en suis ressortie dans un état de joie extatique. C’est un lycée plein de gens merveilleux, et c’est mon premier lycée, le premier lycée de ma nouvelle vie, de ma nouvelle naissance, remplaçant le lycée de ma vie précédente, de mon adolescence précédente, comme l’enfant qu’on vient de mettre au monde remplace l’enfant qu’on fut et renouvelle en soi l’enfance. Peu à peu il se rapproche, le moment où je vais rencontrer mes élèves, mes pèlerins d’amour. Dans le bus de banlieue où je me trouvais ce matin sont entrés de nombreux musulmans en vêtements de fête, en ce jour d’Aïd qui était pour moi jour d’engagement (que j’ai signé !) et ils en sont descendus aussi en même temps que moi. J’ai demandé mon chemin à un jeune parmi eux, son visage s’est éclairé quand j’ai dit le nom du lycée, j’ai vu qu’il l’aimait ce lycée, il m’a renseignée avec joie et en partant je lui ai dit bonne fête, il marchait avec sa petite sœur et sa famille d’origine africaine, c’était si beau, si calme, c’était l’ange qui m’indiquait le chemin. Puis ce soir quand je suis sortie, un autre Noir avec son enfant, me voyant sortir du lycée avec mon cartable m’a demandé : « c’est la pré-rentrée, c’est ça ? », et il en était tout content. Les gens, le monde entier, y compris les couloirs du métro et le RER, sont éclatants de beauté, je suis toute amour et joie, même la longueur des trajets, trois à quatre heures aller-retour, ne me dérange pas, au contraire j’en suis ravie, et j’adore me retrouver en banlieue, j’adore tout.

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