Passage de la langue

street art 5*

En trois jours, ma réflexion est passée du sujet de l’identité ( puis ) à celui de l’unité (). Au milieu d’eux, comme au milieu de la physique, soit métaphysiquement (au milieu est le premier sens de meta, écoutons la langue), exprimé ou non par une copule entre sujet et prédicat, le sujet premier et dernier : l’être.

Écoutons la langue. Je dis la langue pour toutes les langues. Car avant les langues, il y a ce phénomène : la langue. La langue n’est pas l’outil de la pensée, mais son passage et sa manifestation. C’est pourquoi Einstein tire la langue. Si elle était l’outil de la pensée, il n’aurait pas dit qu’il pensait sans mots. Mais pour le dire, il lui fallut passer par des mots, de même que pour dire ses découvertes – dans E=mc2, chaque terme renvoie à un mot, énergie de masse, égale, particule de masse, vitesse de la lumière, carré, et ces mots sont reliés par une syntaxe qui permet de savoir que mc2 signifie un produit (l’invisibilité de la syntaxe ne signifiant pas son absence mais ici au contraire sa présence si forte qu’elle n’a pas besoin d’être visibilisée, de même que la présence de l’être dans les langues où la copule être n’apparaît pas – si, pour reprendre l’exemple donné par Marwan Rashed dans cette conférence passionnante sur « Le grec, langue de l’être ? Réponses arabes », l’arabe dit « le garçon beau » plutôt que « le garçon est beau », c’est que « le garçon beau », comme la poésie, manifeste suffisamment en soi l’être ; dire « le garçon est beau », ce n’est pas introduire de l’être, mais signifier dans l’articulation, la composition des unités de l’unité la possibilité de penser l’être).

La langue manifeste la pensée et nous pouvons, dans sa manifestation, lire et chercher la vérité. Non dans sa surface, mais dans sa profondeur. En surface, le maquillage du sens, les « belles paroles » des séducteurs de peuple, politiques, religieux et autres vendeurs. En profondeur, dans le corps de la langue, dans sa grammaire, dans sa syntaxe, dans ses étymologies, les vérités de l’être. La langue malmenée, ou en décomposition, ou amalgamée, ou innommable, signale les morbidités. (Je songe aussi bien, par exemple, à la langue de l’horreur dans L’horreur de Dunwich de Lovecraft, qu’à celle du fascisme dans mon livre Poupée, anale nationale). Le fond de la langue, avec son mystère, sa noirceur, fait peur (voir la fin des Aventures d’Arthur Gordon Pym de Poe) comme la fin, à tous les sens du mot, de l’aventure humaine. Y descendre est pourtant le premier moyen de lutter contre la pollution de l’être qui menace d’asphyxie : pour cela, il faut, tels les ramoneurs, partir d’en bas ou d’en haut, du foyer de la cheminée ou de sur les toits, et dégager le passage (pour utiliser une autre métaphore, pensons au passage salvateur de la mer Rouge, en fait mer des Roseaux, dont j’ai montré dans Voyage qu’elle était une métaphore de la langue).

*

 

street art 1

street art 1

street art 2

street art 3

street art 4ces jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

*

Le temps existe-t-il ? Colloque sur Einstein au Collège de France

55*

En cet après-midi pluvieux de première des deux journées du colloque sur Einstein organisé par Antoine Compagnon au Collège de France, il fut question du temps (non météorique, quoique cosmologique). Et il a semblé que l’incompréhension de jadis entre Einstein et Bergson perdure quelque peu aujourd’hui entre leurs disciples respectifs (en l’occurrence Thibault Damour et Élie During). Il est loin le temps des Grecs où physique et philosophie étaient une même discipline. Pourtant, il n’existe pas (le temps). D’après la relativité générale. Bergson trouvant un tas sinueux de raisons quasi incompréhensibles pour s’obstiner dans son incompréhension de la nouvelle révélation scientifique, Einstein déclara qu’il y avait un temps psychologique et un temps physique, mais qu’il ne voyait pas de place pour un temps des philosophes.

Il était ainsi, paraît-il, Einstein : expéditif. Avec lui ça allait vite, tout le contraire de la méthode de Bergson. Il était intéressant d’avoir là un disciple du penseur de la durée se nommant During, et un disciple du penseur de la relativité générale s’appelant Damour. Bref, passons. Mon moment préféré fut celui où M. Damour nous montra un petit graphique ovale portant deux mentions : en bas, « Big Bang », en haut « Big Crunch ». Le temps depuis le Big Bang va vers le Big Crunch, comme nous le savons. Mais ce à quoi nous ne pensons pas, c’est que si nous nous plaçons au Big Crunch, le temps va vers le Big Bang. À chacun·e son futur. D’où l’intérêt de savoir voyager.

Quand je pourrai en prendre le temps, j’écrirai ma vision de toute l’affaire, telle qu’elle demande à être développée. En attendant, chacun·e est assez grand·e pour y songer.

*

next

heote pour tous

demain commence aujourd'huiaujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes

*

Albert Einstein, « ma profession de foi »


Déclaration d’Albert EINSTEIN (en allemand), enregistrée en septembre-octobre 1932 pour la ligue allemande des droits de l’homme. Traduction issue du rapport d’écoute : – à 0’00 : « faire partie des hommes qui ont consacré leurs meilleures forces à l’objectif de recherches représente une grâce particulière » (4’21).- à 04’21 : il rend hommage à ses collaborateurs, puis se dit contre la « liberté de volonté »(46″)- à 05’07 : Il se dit pacifiste, anti-militariste, et il refuse tout nationalisme. (35 ») – à 5’42 : il dit se préoccuper de l’idéal de la démocratie, bien qu’il soit conscient des insuffisances de ce régime. « La plus belle chose que puisse exprimer l’homme, c’est le sentiment de la plénitude intérieure ». L’aspiration à la beauté représente, pour lui, la religiosité et, dans cette acception, il est religieux (1’45).

A l’occasion de la mort d’Albert EINSTEIN, rediffusion d’une émission diffusée le 13 février 1955, lors du cinquantenaire de la théorie de la relativité. Réalisée sous la haute autorité du comité des sciences de la radio. Titre original du programme : « La plus grande découverte des temps modernes » : la théorie de la relativité. – A 1’50 : Nathalie NERVAL lit un texte sur la jeunesse d’Albert EINSTEIN. (6’00)- A 8’42 : le Révérend-père DUBARLE, professeur à l’Institut Catholique de Paris explique ce que représente pour la science l’introduction de la théorie de la relativité. (4’00)- A 13’45 : débat sur la théorie de la relativité restreinte avec messieurs Francis PERRIN (Haut-commissaire à l’énergie atomique), Louis LEPRINCE-RINGUET (professeur à l’école polytechnique, monsieur Paul COUDERC (astronome à l’Observatoire de Paris), Monsieur François LE LIONNAIS (président de l’Association des Ecrivains Scientifiques), Monsieur André GEORGES (directeur de la collection « Sciences d’aujourd’hui »). 14’40)- A 28’38 : André GEORGES raconte quelques anecdotes sur Albert EINSTEIN. (3’24)- A 33’45 : Francis PERRIN raconte sa rencontre avec EINSTEIN à l’université de Princetown aux USA en décembre 1941. (1’30) – A 36’03 : Frédéric JOLIOT CURIE raconte des entrevues entre EINSTEIN et Marie CURIE. (Archive)- A 39’20 : suite du débat : la théorie de la relativité générale qui mettait EINSTEIN en extase. Les découvertes associées à cette théorie. Interrogation sur la courbure de l’espace et de l’univers… l’espace-temps. (9’10)- A 49’30 : Louis de BROGLIE, de l’Académie des sciences, parle des apports d’EINSTEIN à d’autres théories comme celle des quanta (de lumière) et ses prolongements : la physique quantique. (7’30)- A 58’24 : témoignage d’Antonina VALLENTIN, amie d’EINSTEIN et auteur de sa biographie . Elle parle du quotidien du physicien, de la simplicité de son mode de vie (détaché des contingences matérielles). Ses loisirs et passions. Diverses anecdotes. Sa bonté, son sens de la justice sociale. Son angoisse face à l’avenir du monde « le vrai danger est dans le coeur des hommes », pense que pour survivre les hommes devront adopter une nouvelle manière de penser pour se « mouvoir vers des plans plus élévés ». Sa vie recluse à Princetown. Son aspiration à l’harmonie universelle.(Archive)- A 01H07’25 : enregistrement de la voix d’EINSTEIN, en anglais, diffusé après l’explosion de la première bombe atomique (+ traduction simultanée). (2’10)- A 01H10’07 : le révérend-père DUBARLE évoque la destinée de témoin de notre époque d’EINSTEIN. (4’17)- A 01H14’26 : indicatif de fin, conclusion et désannonce de l’émission.

Parménide à la crèche

OreillerII*

Avant minuit, il n’y a rien dans la mangeoire. À minuit, il y a un nouveau-né – nommé Jésus, c’est-à-dire « Dieu sauve ».

Geertgen Tot

Geertgen tot Sint Jans, Nativité

*

Je pense à la parole de Parménide : « esti gar einai, mèden d’ouk estin » – mot à mot : « est en effet être, rien, au contraire, n’est pas ». Traduisons : « il y a être, mais le néant, cela n’est pas ». Ou plus familièrement : « être, je connais, mais rien, non, ça n’existe pas ». Ou encore : « ce qui est, c’est ce qui est – quant à ce qui n’est pas, ce n’est pas ».

À minuit nous sommes sauvés de l’illusion qu’il n’y avait rien dans la mangeoire. Rien n’est pas : la preuve, voici l’être qui se montre ; et à partir de là, rien d’autre ne compte que cette vérité manifestée : l’être est. Non seulement il est, mais il est là. Là, c’est-à-dire partout. Il n’est pas de lieu où le néant soit. Il n’est pas d’autre lieu qu’un lieu où est « Dieu », l’ÊTRE. Et ce lieu couvre le temps, comme le corps du nouveau-né couvre le creux de la mangeoire, courbure de l’espace-temps par ce corps courbé. En tout lieu, tout temps, nous sommes dans l’être, et nous sommes nous-mêmes lieu et temps de l’être, berceau de l’être : il nous est impossible de ne pas être.

*