« Conversion » à l’islam ?

Les musulmans appellent les nouveaux musulmans des « reconvertis ». Le sens en est celui d’une réintégration dans la religion originelle de l’homme. D’un retour à l’origine spirituelle. René Guénon disait avoir « adhéré » à l’islam mystique, le soufisme, et récusait le terme de conversion, comme Maurice Béjart. Éva de Vitray-Meyerovitch, la merveilleuse traductrice de l’œuvre immense de Rûmî – le poète le plus lu aux États-Unis, c’est lui, un poète musulman du treizième siècle ! – disait que le fait d’embrasser l’islam n’impliquait pas une apostasie, un reniement de ce qu’elle avait été avant. J’aime profondément l’islam, son prophète, ses fidèles, et ses pratiques cultuelles aussi, même si, pour des raisons de contingence surtout, je le vis de façon essentiellement intériorisée. J’ai vécu la prononciation de la shahada non comme une conversion mais comme un passage, un passage dans une lumière qui n’occultait en rien la lumière précédente en moi, aussi bien celle des Grecs que celle du christianisme et d’autres spiritualités que je connais, celle de la littérature, celle de l’art et celle de la vie profane vécue dans l’amour de la vie, de la liberté, de l’amour, de la vérité, des enfants, de la nature, de l’aventure et de tout ce qui est bon. Tout cela continue à vivre en moi, comme l’enfant, l’adolescent, l’adulte continuent à vivre durant toute sa vie en l’homme qui ne se fossilise pas mais toujours, avance.

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La prière selon Ibn ‘Arabi, puis comment je prie

peinture Alina Reyes

 

Voici deux mois que je suis devenue musulmane. Je vais aujourd’hui témoigner de la façon dont je prie, après ces quelques semaines de pratique. Mais d’abord voici un très beau texte d’Ibn ‘Arabi, extrait de « La Sagesse des prophètes », sur l’oraison :

« L’oraison est un appel secret échangé entre Dieu et l’adorateur ; elle est donc aussi un dhikr. Or, qui invoque Dieu se trouve dans la présence de Dieu, selon la parole divine (hadith qudsi) transmise fidèlement depuis le Prophète : « J’assiste à l’invocation de celui qui M’invoque » (anâ jâlisun ma’a man dhakaranî) ; et celui qui se trouve dans la présence de Celui qu’il invoque, Le contemple, s’il est doué de la vue de l’œil du cœur. C’est là la contemplation (mushâhada) et la vision (ru’ya) ; mais celui qui n’a pas de vue de l’œil du cœur (baçar) ne Le contemple pas. C’est par cette actualité ou absence de vision dans l’oraison que l’adorateur peut juger de son propre degré spirituel. S’il ne Le voit pas, qu’il L’adore donc par la foi « comme s’il Le voyait » : et qu’il se L’imagine en face de lui quand il Lui adresse son appel et qu’il « prête l’ouïe » à ce que Dieu lui répondra. S’il est l’imâm de son propre microcosme et des anges qui prient avec lui – et chacun qui accomplit l’oraison est imâm, sans aucun doute, puisque les anges prient derrière l’adorateur qui prie seul, ainsi que l’atteste la parole prophétique -, il réalise par là même la fonction de l’envoyé divin dans l’oraison, en ce sens qu’il est le représentant de Dieu ; lorsqu’il récite (en se relevant de l’inclinaison) « Dieu entend celui qui Le loue », il annonce à lui-même et à ceux qui prient à sa suite que Dieu l’a entendu ; et les anges et les autres assistants répondent : « Notre Seigneur, à Toi la louange ! » Car c’est Dieu qui dit par la bouche de Son adorateur : « Dieu entend celui qui Le loue. »

Regarde donc à quelle fonction sublime correspond l’oraison et à quel but elle mène. Celui qui n’atteint pas le degré de la vison spirituelle (ar-rû’ya) dans l’oraison ne l’a pas réalisée pleinement et n’y trouve pas encore « la fraîcheur des yeux » ; car il ne voit pas Celui à qui il s’adresse. S’il n’entend pas ce que Dieu lui répond dans l’oraison, il n’est pas de ceux qui « prêtent l’ouïe » ; celui qui n’est pas présent devant son Seigneur lorsqu’il prie, et ne L’entend ni ne Le voit, n’est pas foncièrement en état de prière, et la parole coranique « qui prête l’ouïe et qui est témoin » ne s’applique pas à lui. Ce qui distingue l’oraison de tout autre rite (d’obligation commune), c’est qu’elle exclut, aussi longtemps qu’elle dure, toute autre occupation (rituelle ou profane) ; mais ce qu’il y a de plus grand dans tout ce qu’elle comporte en paroles et en gestes, c’est la mention de Dieu. »

Ibn ‘Arabi cité par Éva de Vitray-Meyerovitch dans La prière en islam, éd Albin Michel, pp 96-98

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J’aime faire les ablutions à l’eau froide, de façon légère et avec peu d’eau ; la fraîcheur réveille la peau et l’esprit avant la prière, et le filet d’eau transporte dans l’économie du désert. Depuis que je me lave les narines  en inspirant l’eau selon la règle, je ne suis plus jamais enrhumée – et c’est bon aussi de sentir l’air traverser le nez comme de purs couloirs entre les montagnes.

J’aime prononcer avec soin la prière, plus je le fais plus j’entre profondément dans le paysage des mots. C’est un voyage, chaque fois neuf. Lorsque les dernières rekaas peuvent se dire à voix basse, je les dis seulement intérieurement, c’est encore une autre profondeur, plus intime. Je balance légèrement mon corps en rythme. Lors de l’inclinaison, en disant (en arabe bien sûr) « gloire à mon Seigneur l’immense», je me représente bien l’espace autour de moi comme un cosmos, dans sa dimension surtout horizontale, et je sens ses ondes. Lors de la prosternation, en disant « gloire à mon Seigneur le très haut », je me le représente dans sa verticalité, descendant sur ma tête qui est au plus bas et où le sang afflue, et je sens Sa transcendance. La deuxième prosternation de chaque rekaa, je la prolonge autant que Dieu le veut, dans le dialogue silencieux avec Lui.

En me relevant de l’inclinaison, en disant « Dieu entend celui qui le loue » je sens comme le dit Ibn ‘Arabi que c’est de par Son autorité que je le dis ; et cela me remplit de joie, de foi, d’humilité, et aussi de sa force que je reçois. Puis je tiens particulièrement à dire le répons :  « Notre Seigneur, à Toi la louange ! », parce qu’il faut dire « Rabbana », ce qui me remplit de tendresse en me rappelant qu’un jour au petit matin, j’appelai le Christ tout juste ressuscité « Rabbouni ». J’aime beaucoup aussi le moment où l’on salue le Prophète, cela m’attendrit, me rend très proche de lui, comme s’il était mon frère. Et je suis très touchée aussi chaque fois qu’on en vient à évoquer Abraham, lui dont j’ai appris à être si proche aussi en traduisant sa longue aventure humaine dans la Bible.

Je sens que je souris jusqu’aux oreilles pendant toute la prière, que je demande ou que je m’abandonne – mais demande et abandon y sont toujours intimement mêlés. Dieu est réellement présent, et les anges aussi,  et chacun de mes enfants et de mes proches, et les hommes du monde entier, réellement. Aux salutations finales, d’un côté puis de l’autre et en tournant la tête, je sens que c’est eux tous vraiment que je salue, avec un immense amour et une immense joie. Chaque prière donne une paix divine, et chaque journée de prière, l’une après l’autre, augmente la paix, qui devient comme une forteresse de cristal contre le mal.

Je ne fais pas toujours les cinq prières dans les formes car ma vie en famille dans un petit appartement ne s’y prête pas tous les jours à toute heure, mais je ne manque pas celle de l’aube, et celles que je peux ensuite faire dans la journée je les fais de tout mon cœur. Quelquefois je vais à la mosquée pour la prière de l’après-midi, et j’y vais bien sûr pour la grande prière du vendredi. Et puis je prie aussi autrement, comme je le faisais avant d’être musulmane, comme je le faisais en chrétienne et comme je le faisais avant d’être chrétienne, dans ma relation directe à Dieu. Cela bien sûr ne concerne que moi, c’est mon histoire et mon chemin comme chacun a le sien, le mien est un peu particulier et je ne le donne pas en exemple mais il me semble bon d’en témoigner. Car c’est dire que cela ne serait pas possible si Dieu n’était pas le plus grand, vraiment. Bien plus grand que tous nos petits cadres humains, alhamdulillah.

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