L’histoire

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photo Reuters

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« Quoi qu’il en soit, les Roms ne sont pas vraiment les bienvenus à Mitrovica. En 1999, Roma Mahala, le quartier rom de cette ville industrielle peu attrayante, avait été entièrement pillé, brûlé et ses 8000 habitants chassés (photo ci-dessus) par la résistance albanaise antiserbe, l’UCK, qui s’installait au pouvoir dans le fourgon de l’Otan – de l’armée française en l’occurrence. Durant l’été 1999, des gendarmes français patrouillaient dans cette zone dévastée où le moindre montant de porte avait été détruit. Il n’y avait plus âme qui vive : les habitants avaient fui vers la Serbie, le Monténégro voisins, voire en Europe occidentale.Les Roms du Kosovo subissaient alors la vengeance de la majorité albanaise, qui les accusait d’avoir collaboré avec le régime nationaliste serbe, honni et vaincu.L’histoire récente du Kosovo – qui a été placé sous protectorat de l’Otan et administré durant dix-huit mois (1999-2001) par Bernard Kouchner pour le compte des Nations unies – a aggravé la situation des Roms ». L’article entier de Jean-Dominique Merchet est à lire sur son blog Secret Défense.

Mitrovica est paraît-il une ville très pauvre, mais très belle. J’en suis heureuse pour Leonarda et sa famille. Dommage que leur promenade de ce dimanche ait été gâchée par une agression. Un peu comme, géographiquement et dans l’histoire de Cortazar, Budapest est séparée en deux, Mitrovica est, géopolitiquement, divisée par la rivière qui sépare Serbes et Albanais, deux communautés restées hostiles l’une à l’autre depuis la guerre, et que le pont lancé au-dessus de l’Ibar ne suffit pas à réunir.

En dormant, depuis hier, je croyais que c’était Leonarda qui dormait à ma place, je me sentais ronde comme elle, d’ailleurs j’ai pris un kilo d’un matin à l’autre. Je sais que c’est en lien avec La Lointaine, l’histoire de Cortazar d’où je tiens mon nom, je sais qu’il a vu quelque chose et que cela vit.

À l’heure où j’écris ceci il fait 13 degrés à Mitrovica, demain il fera 20, soleil et doux. En fait c’est toute la France qui est aussi là-bas, et même plus que la France puisqu’on parle de cette histoire un peu partout dans le monde. Que cela leur plaise ou non, les destins des hommes s’entrecroisent. Et ceux qui sont bien installés feraient mieux de penser qu’un jour, eux ou leurs enfants pourraient avoir à se retrouver à mendier l’aide de mieux lotis.

Union, joie

On ne désunit pas une famille de bohémiens, pensais-je ce matin en écoutant la famille Reyes, alias les Gipsy Kings, chanter Hotel California, dans leur fantastique version que nous avons écoutée des dizaines et des dizaines de fois, le son à fond, en famille dans notre grange, les portes ouvertes, dehors et dedans, la joie au cœur, songeant aussi à la marque d’incompréhension totale, voire de volonté plus ou moins consciente de détruire une identité, que constitue l’offre faite à Leonarda de se séparer de sa famille.

Je lis sur google books les larges extraits de Gadje-Romale, un patchwork tsigane, par Olivier Fouchier, un travailleur social, également homme de théâtre, qui témoigne et réfléchit. (Son livre, papier ou numérique, est aussi disponible à l’achat sur publibook).

Après O et S qui avaient lu Francis K et l’avaient beaucoup aimé, J se lève ce matin, brandissant le manuscrit qu’il vient de finir : « Vraiment génial ! » Je venais de lui envoyer par mail le lien pour la cantate de Bach, arrangée par Busoni, jouée par Sokolov, Ich ruf zu dir.

Resat reset

« Si je ne peux pas revenir légalement, je passerai par les forêts », dit Resat Dibrani, le père de Leonarda (Nvl Obs). Pourquoi ? Parce qu’ils sont déjà allés en Espagne, en Belgique, en Hongrie, en Allemagne, en Italie aussi bien sûr, mais c’est la France que ses enfants préfèrent. Et les enfants sont rois chez les Tziganes, je me souviens bien de ce qu’ils m’avaient dit et de ce que j’avais vu, quand j’étais allée les voir, dans deux camps à Bordeaux, il y a longtemps. Certes il y a les abus dus à la misère, mais l’esprit, en vérité, c’est la royauté des enfants. Alors je le crois bien, Resat. Que les forêts vous soient bonnes, petite famille, si vous deviez en passer par là.

La prise d’otages dans une banque, juste à côté de chez moi, vient de se terminer, l’homme s’est rendu. Il demandait un logement pour son fils et lui. Messieurs les politiques, voyez ce qu’il y a souvent, voyez où est votre responsabilité, derrière certains actes désespérés. On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « la sécurité, la sécurité, la sécurité ! », mais ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien. Il faut prendre les choses comme elles sont.

Le sourire de Leonarda

Visar Kryeziu, AP

photo Visar Kryesiu, AP (trouvée dans la presse américaine)

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Avant les photos de Leonarda, j’avais vu la Joconde. Maintenant le père dit que ses enfants et sa femme sont nés en Italie. Si c’est vrai, je suppose qu’ils vont donc être rapatriés chez eux, en Europe, et j’espère chez nous et chez eux, en France. Ce père qui a pu mal se comporter l’a fait dans un contexte de misère et d’angoisse, il est établi que lorsqu’on lui a fait la leçon il s’est amendé, il a fait mal surtout par ignorance mais maintenant ne montre-t-il pas qu’il a un bon fond, en parlant pour que ses enfants et leur mère puissent quitter le Kosovo, même si lui était obligé d’y rester ?

Je suis fière de tous ces lycéens qui protestent. Ils n’ont pas peur d’avoir du cœur. Cela suffit, vraiment. Cette sale ambiance que les politiques créent parmi nous, comme des gens qui ne cesseraient de semer la zizanie dans la famille. Personne n’a besoin de ça, et surtout pas les jeunes. Il y a quelques mois, ils ont vu mourir Clément Méric. Ils ont entendu des mauvais esprits se retourner contre lui et ses amis, au lieu de déplorer le retour de la violence des néo-nazis, comme si ces derniers, avec leurs coups de poing américains et leur haine de tout étranger et de tout autre (dans les semaines précédentes avaient eu lieu des agressions de jeunes filles voilées, et aussi d’un jeune Arabe, également au coup de poing américain et par des skins néo-nazis), n’étaient pas plus dangereux pour les individus et pour la société que les antifas, certes usant aussi de violence malheureusement, mais qui se sont constitués en réaction à leurs agressions.

En ces temps où l’on se plaint d’une perte d’identité, que ceux qui ont le cœur bien vivant et sain nous redonnent cœur et courage pour retrouver et réinventer les vraies bonnes valeurs qui fondent ce pays.