Jean Renart, Le roman de la Rose (Guillaume de Dole), vers 138-215 (ma traduction)

Altstetten_(cut)image trouvée sur la notice wikipedia du livre

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C’est le début du roman, le jeune empereur Conrad, avant de devenir amoureux de la belle Liénor, organise des fêtes d’amour dont il prend soin d’exclure les vieux maris et autres jaloux. Plutôt que de traduire en prose comme on le fait habituellement, j’ai choisi le vers libre pour retranscrire un peu du charme fou de ce texte écrit en octosyllabes, et par ailleurs révolutionnaire – j’en reparlerai peut-être.

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Il fait plutôt dresser de grandes tentes,
Des tonnelles et des pavillons,
En été quand il est saison de prendre
Plaisir dans les prés et les bois.
Aussitôt on quitte les villes
Pour s’ébattre en ces forêts profondes.
À trois ou quatre journées de voyage
Il n’y avait comte ni comtesse
Ni châtelaine ni duchesse
Ni dame qu’il n’envoyât chercher,
Ni vavasseur de bon village,
Jusqu’à sept jours de chevauchée.
Pas plus qu’une guigne ne le souciait
La dépense, pourvu que tout fût à leur gré ;
Car il veut que cela soit raconté,
Quand il sera mort, après sa vie.
Ce sont beaux jeux sans vilenie
Qu’il joue avec ses compagnons.
Il étudie les occasions
Afin que chacun se fasse une amie.
Sachez donc qu’il ne manquera point
D’en avoir lui-même une, quoiqu’il fasse,
Le bon, franc, noble et débonnaire roi.
Il savait tous les tours d’amour.
Au matin quand paraît le jour,
Alors les archers venaient
De devant sa tente et criaient :
« Debout, seigneurs, il faut aller au bois ! »
Vous auriez entendu sonner ces cors
Pour éveiller ces chevaliers 
Et ces vieux chenus paresseux !
Il faisait donner à chacun un arc :
Jamais on ne vit, depuis le temps du roi Marc,
Un empereur sachant si bien vider
Un pavillon de ses gêneurs.
Il était fort sage et habile :
Aux jaloux et aux envieux
Il faisait apporter cors et épieux
Puis montait avec eux jusqu’au bois,
Afin qu’ils ne rebroussent chemin.
Priant les uns d’aller buissonner
Sus au gibier avec les archers
Et les autres de suivre les premiers
Avec les limiers bons pour les cerfs,
Ils leur assigne tant de divertissements
Qu’ils en sont tout contents.
Une fois qu’il les a bien envoyés
Dans les profondeurs de la forêt,
Au plaisir qui mieux lui plaît
Lui s’en retourne droit arrière
Par une vieille piste forestière,
Avec deux chevaliers riant.
Cependant les bons chevaliers errants
Qui s’étaient fatigués aux armes
Dormaient dessous les charmes
Dans les pavillons en drap de soie.
Jamais, vraiment, et nulle part ailleurs
Je ne verrai de gens en tel bonheur
Ni de dames si étroitement lacées,
Leurs beaux corps en jupons plissés,
Leurs chevelures fauves ondoyantes
Couronnées d’or et de clair rubis.
Et ces comtesses en samit
Et en brocarts impériaux
Ont leur beau corps simple, sans manteau.
Et ces jeunes filles en soie galonnée
Avec leurs coiffures entrelacées
De beaux oiseaux et de fleurettes,
Leurs corps gracieux, leurs menus seins
Les font admirer de je ne sais combien.
Toutes fort bien parées
De gants blancs et de fines ceintures
Elles vont en chantant aux tentes jonchées de verdure
Vers les chevaliers qui attendent,
Qui les bras et les mains leur tendent ;
Et les entraînent sous les couvertures.
Qui livra jamais de tels combats
Sait bien quel bon temps ils eurent.

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