Présence

Leonarda a été arrêtée par la police au premier endroit où le bus a pu se garer : sur le parking du collège Lucie Aubrac.

Le petit ami de Leonarda s’appelle Théo (Dieu, en grec). Il l’appelle B.B.

Qu’est-ce qui provoque une crise politique majeure ? Une petite Rom sans papiers, mais avec tant de présence.

*

Des Tziganes parlant une langue d’Europe Centrale distribuent aux voyageurs disséminés dans le wagon des papiers jaunes imprimés pour expliquer qu’ils sont sans abri, sans travail, qu’ils ont des enfants, et donc demandent un ou deux euros ou tickets restaurant. Quand la récolte est faite ils se retrouvent joyeusement, deux hommes et une femme à tignasse noir corbeau, l’œil vif. Leur visage marqué s’illumine de tendresse et d’émerveillement quand ils se penchent tous trois, comme sur la crèche, vers l’enfant aux cheveux d’or qui les accompagne.

Un jour ou l’autre la police les embarquera, les renverra chez eux où ils seront maltraités, persécutés peut-être, et d’où ils fuiront de nouveau pour revenir ici. Peut-être aussi feront-ils l’épreuve de l’un de ces centres de rétention où les pays riches parquent les étrangers en situation irrégulière. Peut-être sont-ils parents de cette poétesse qui chanta la liberté et les bonheurs de son peuple dans la forêt, peut-être sont-ils, malgré la pauvreté, malgré la précarité, plus heureux que beaucoup des habitants de ces maisons qui se distinguent dans l’ombre – ici ou là le long des voies ferrées une fenêtre allumée, un jardinet qu’on devine…

(extrait de Souviens-toi de vivre)

L’odeur

Un sondage qui vient à point pour conforter les égoïsmes et M. Valls, revenu en urgence des Antilles sans être allé voir comme prévu les gens de Saint Martin, qui se sentent abandonnés depuis longtemps et espéraient tant en sa visite. 65 % des Français sont donc paraît-il contre le retour de Leonarda. À voir les commentaires haineux suscités par cette affaire sur les sites internet de tous les journaux, et à tous les niveaux de la société, ce pourcentage est malheureusement crédible. Tous les sites des magazines aussi en parlent – sauf, d’après ce que j’ai pu voir, ceux des magazines chrétiens (on trouve quand même le titre critique « Roms, la surenchère » daté du 2 octobre dans Témoignage chrétien) et les sites d’information musulmans – Leonarda est pourtant musulmane, si j’ai bien compris. Mais une musulmane gitane, c’est comme une chrétienne gitane, comme n’importe quelle gitane, ça déborde bien trop des cases pour qu’on estime qu’elle ait sa place, transfrontière.

Heureusement il y a les jeunes. Avec leur cœur vivant. Notre société est si vieille. Si rassise. Les jeunes ont la réaction saine, ils ne veulent pas qu’on emporte de force certains de leurs camarades pour des raisons de politique qui leur rappellent bien trop ces plaques scellées sur les collèges et lycées, avec les noms des petits juifs enlevés pour les camps. Certes Leonarda, Khatchik et les autres ne sont pas envoyés à la mort. Mais cette ambiance pue la mort. Les vivants la sentent, cette odeur que le vent ne cesse de porter. Les rassis ont le nez aussi bouché que les oreilles et les yeux. S’ils ouvrent la bouche, c’est pour dire de la merde. Ou bien ils la ferment. Et la mauvaise odeur continue à avancer. Il n’y a pas que la pollution de l’air qui soit cancérigène. La pollution de l’esprit mène à la mort encore plus terriblement.

Leonarda

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« La deportacion de la alumna gitana Leonarda Dibrani avergüenza a Francia », titre El Pais.

Le récit des professeurs de Leonarda fait pleurer.

« Le maire de Levier, Albert Jeannin, m’a alors passé au téléphone un agent de la PAF qui était dans son bureau : son langage était plus ferme et plus directif, il m’a dit que nous n’avions pas le choix que nous devions impérativement faire stopper le bus là où nous étions car il voulait récupérer une de nos élèves en situation irrégulière : Léonarda Dibrani cette dernière devait retrouver sa famille pour être expulsée avec sa maman et ses frères et soeurs ! Je lui ai dit qu’il ne pouvait pas me demander une telle chose car je trouvais ça totalement inhumain …  il m’a intimé l’ordre de faire arrêter le bus immédiatement à l’endroit exact où nous nous trouvions, le bus était alors sur une rocade très passante, un tel arrêt aurait été dangereux ! Prise au piège avec 40 élèves,  j’ai demandé à ma collègue d’aller voir le chauffeur et nous avons décidé d’arrêter le bus sur le parking d’un autre collège (Lucie Aubrac de Doubs). J’ai demandé à Léonarda de dire au revoir à ses copines, puis je suis descendue du bus avec elle, nous sommes allées dans l’enceinte du collège à l’abri des regards et je lui ai expliqué la situation, elle a beaucoup pleuré, je l’ai prise dans mes bras pour la réconforter et lui expliquer qu’elle allait traverser des moments difficiles, qu’il lui faudrait beaucoup de courage… Une voiture de police est arrivée, deux policiers en uniforme sont sortis. Je leur ai dit que la façon de procéder à l’interpellation d’une jeune fille dans le cadre des activités scolaires est totalement inhumaine et qu’ils auraient pu procéder différemment, il m’ont répondu qu’ils n’avaient pas le choix, qu’elle devait retrouver sa famille…Je leur ai encore demandé pour rester un peu avec Léoanarda et lui dire au revoir (je l’a connais depuis 4 ans et l’émotion était très forte). Puis j’ai demandé aux policiers de laisser s’éloigner le bus pour que les élèves ne voient pas Léonarda monter dans la voiture de police, elle ne voulait pas être humiliée devant ses amis ! Mes collègues ont ensuite expliqué la situation à certains élèves qui croyaient que Léonarda avait volé ou commis un délit. Les élèves et les professeurs ont été extrêmement choqués et j’ai du parler à nouveau de ce qui s’était passé le lendemain pour ne pas inquiéter les élèves et les parents.» (le récit entier est à lire sur le blog de RESF sur Médiapart)

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