« L’esprit grec, plus affamé de vérité que de profit » Lawrence Durrell, l’un des auteurs au programme

sans abri pitie salpetriereun microvillage de personnes sans abri le long de l’entrée fermée de la Pitié-SalpêtrièreC215 pitie salpetriereune fresque de C215 dans l’autre entrée de l’hôpital
photos Alina Reyes

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Toujours préparant l’agrégation de Lettres modernes, dont les épreuves commencent dans huit jours maintenant. Elles dureront toute la semaine : lundi 7 mars, 7 heures de composition française sur l’une des huit œuvres françaises au programme ; mardi, 5 heures d’étude grammaticale (ancien français et français postérieur à 1500) ; mercredi, 7 heures de composition française sur l’une questions de littérature comparée, avec six autres œuvres au programme ; jeudi, 4 heures de version de grec ancien ; vendredi, 4 heures de version d’anglais. Ceci pour les épreuves d’admissibilité – les admissibles devront ensuite, pour être admis (ou non) passer les épreuves orales, au moins aussi redoutables, avec des temps de préparation de 6 heures pour des exposés de 40 mn.

Il est clair que je m’y suis prise beaucoup trop tard, n’y ayant songé qu’au moment de la clôture des inscriptions, en octobre dernier, et alors que mes études universitaires datent de trente ans. Mais je ferai de mon mieux. J’essaie de combler mes oublis et lacunes en cherchant à saisir la substantifique moelle des œuvres, leur sens profond. Comme je n’ai pu suivre aucune préparation, ni à la fac ni par correspondance (car elles sont payantes), ni acheter de livres (presque tous empruntés à la bibliothèque), je trouve en ligne quelques choses gratuites, des vidéos de conférences et des articles d’universitaires. Vive Internet et ses généreux contributeurs ! Si j’échoue, je serai quand même contente d’avoir préparé ce concours. Et si jamais, miracle, je réussis, je serai heureuse d’enseigner.

J’ai pris l’initiative d’interrompre au moins jusqu’au concours un traitement qui me fatiguait énormément et m’a empêchée de travailler correctement toutes ces dernières semaines, finissant par m’assommer de migraines persistantes malgré les antidouleurs. Depuis deux jours, tout va mieux. Je suis passée hier à la Pitié-Salpêtrière. J’ai dû faire le tour, à cause du plan Vigipirate. Le long de l’entrée principale, fermée donc, s’est installé un microvillage de tentes. Ses habitants jouaient aux cartes dans le froid sur une table bricolée. J’étais venue pour prendre un rendez-vous, mais c’était samedi et les bureaux étaient fermés, j’ai marché dans les couloirs souterrains sombres et déserts. En repartant j’ai photographié la fresque à l’entrée de l’hôpital. C215 n’est pas mon street artiste préféré mais il a un grand succès auprès des institutions. Il a décliné plusieurs fois ce thème de la femme qui souffle dans sa main dont sortent des oiseaux, c’est pas mal, non ?

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Temps radieux

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tout à l’heure à la Pitié-Salpêtrière, photo Alina Reyes

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Aujourd’hui mon rendez-vous pour la séance de radiothérapie était à 13h15. Je dis ce matin à O « je ne sais pas encore si je mangerai avant, ou après ». « Mieux vaut après, me répond-il, sinon j’ai peur que ça fasse un effet micro-ondes dans ton estomac. » J’ai bien ri.

Dans les jardins de l’Allée haute, les gens pique-niquaient. La vie est belle.

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À la Pitié-Salpêtrière

le crane du conducteur,

Le crâne du conducteur, acrylique et fil électrique sur bois

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L’horloge de la chapelle indiquait 10h33, j’avais trois minutes de retard. Il faisait gris et froid, c’était bon de marcher vite, d’avoir remonté tout le boulevard d’un bon pas, faisant courir et chauffer le sang. O et moi avons traversé le jardin de la hauteur, désert par ce temps. De l’autre côté, nous sommes entrés directement dans le sous-sol du pavillon où j’avais rendez-vous. En fait nous avons dû patienter une bonne heure, au moins, assis dans la salle d’attente parmi des femmes, et dans les allées et venues du personnel hospitalier et de temps en temps des brancards, poussés avec leur chargement humain dans une salle ou une autre par les grandes portes. Dès le début, comme il passait au bureau où je m’enregistrais, j’avais repéré à son badge le chirurgien avec qui j’avais rendez-vous. Je le voyais encore de temps en temps sortir de son cabinet, ou y rentrer, mais pour s’occuper de quelqu’un d’autre puisque je n’étais pas encore appelée. « C’est Kafka à l’hôpital », ai-je dit en riant à O. Et nous avons parlé de sa parabole sur la Loi, avec l’homme qui attend toute sa vie devant la porte, et aussi d’un texte de Jacques Lacarrière où il raconte que Yunus Emré, s’étant sur son chemin arrêté chez un maître soufi, y fut laissé à la porte trois nuits durant, pour éprouver sa patience, avant d’être admis à passer quelque temps dans la confrérie, une sorte de monastère dans le désert.

Je regardais toutes ces femmes en attente, très paisibles, et toute l’agitation de l’hôpital, paisible aussi, et je trouvais toutes ces personnes très belles, j’aurais aimé faire des photographies. O m’a fait remarquer que les bruits de glissements des brancards et les bruits de pas sur le sol lisse rappelaient la façon dont Jacques Tati avait traité les sons dans Playtime ou dans Mon oncle. C’était un bon moment.

Finalement, le chirurgien m’a appelée, par la petite porte, celle des debouts. Je l’ai regardé scruter les mammographies, les anciennes et les dernières. Il m’a demandé ce que m’avait dit le médecin, sans doute voulait-il savoir s’il devait m’annoncer que la tumeur était cancéreuse, ou si c’était déjà fait. Il y a une semaine, le médecin m’avait dit seulement : « il y a une anomalie », et j’avais compris qu’il évitait de prononcer le mot cancer. Je l’avais donc prononcé moi-même et il avait acquiescé. Devant le chirurgien, j’ai recommencé, il a seulement eu à acquiescer lui aussi. Je n’ai pas peur et c’est tellement mieux quand tout est clair. La petite tumeur sera retirée de mon sein dans deux semaines, ensuite il y aura un mois de radiothérapie, et cela devrait aller. Il est possible qu’une autre intervention ou que d’autres soins s’avèrent nécessaires, nous verrons bien. C’est une chance de vivre dans un pays où tout le monde peut se faire soigner. N’oublions jamais toutes les chances que nous avons. Même la maladie peut être une chance, une chance d’expérience.

Je viens de commencer à écrire ma prochaine pièce de théâtre, sur la lancée de la petite pièce que j’ai écrite la semaine dernière. C’est beau d’avancer.