Pour mes Premières, Michèle Lesbre

canapé rougeMa classe de Première, que je dois rencontrer vendredi pour la première fois, devrait être composée en grande majorité de filles, se destinant aux métiers du secteur médico-social. Hier au retour du lycée où j’avais rendez-vous avec ma tutrice pour préparer encore la rentrée, (j’ai beau prendre tous les raccourcis possibles, ça fait toujours presque quatre heures de trajet aller-retour), je suis allée en librairie chercher un roman contemporain que je pourrais leur faire étudier, ayant envie de les sortir des sempiternelles histoires sordides du réalisme et du naturalisme du vingtième siècle. J’ai repéré en collection de poche, ni trop long ni trop cher, un beau roman de Michèle Lesbre, Le canapé rouge. Je l’ai acheté, je suis rentrée le lire et c’est décidé, ce sera celui-ci. Un livre qui leur donnera de l’écriture d’aujourd’hui et beaucoup à penser sur ce qu’est la liberté des femmes (même si celle-ci est en manque d’enfants), et notamment sur la problématique, comme on dit, par laquelle j’ai choisi de traiter le thème imposé (« le personnage de roman du dix-neuvième siècle à nos jours ») : les rapports hommes-femmes, que nous verrons aussi à travers des extraits d’autres romans. J’en parlerai une autre fois, devant partir maintenant pour la fac, à près d’une heure trente d’ici. En tout cas, une lecture que je recommande.

*

Rentrée des classes, les préparatifs

Ce n’est pas le tout que de préparer les cours, il faut aussi ajouter du plaisir partout. Cela valait le coup de passer quelques heures, hier et aujourd’hui, à réaliser des collages pour personnaliser les objets et la papeterie qui supporteront le travail d’étude des textes.

J’ai donc libéré le classeur où je rangeais les documents qui m’ont permis de préparer le CAPES pour y mettre désormais les cours que je préparerai, et je l’ai personnalisé en y collant de mes collages et dessins :

classeur

classeur,*

J’ai refait un agenda publicitaire offert par un syndicat d’enseignants en le couvrant de mes propres couleurs, au recto et au verso. L’usage du scotch a l’avantage de consolider la couverture. J’ai aussi aménagé l’intérieur (d’habitude je fais de même avec un agenda à tout petit prix)

agenda

agenda,*

J’ai fait pareil pour le cahier de notes, offert par une banque pour enseignants. Sur la première de couverture j’ai laissé les images de montagne et les citations originelles, et dessous, par-dessus la pub, j’ai collé une photo que j’avais faite d’ouvriers sur un échafaudage. Sur la quatrième de couverture, j’ai collé une page d’images de livres faites par une artiste, découpée dans une revue. J’ai fait aussi d’autres collages et aménagements à l’intérieur pour masquer les pubs.

cahier de notes

cahier de notes,*

Et puis j’utiliserai comme cartable le sac de lycée que j’avais repeint l’année dernière pour aller travailler en bibliothèque, et j’y glisserai la chemise en carton que j’avais aussi consolidée avec des collages et des couleurs, et qui sert à garder les feuilles volantes

cartable

pochette

Et je ferai de même avec mon cahier de textes, quand j’en aurai un, car je compte bien ne pas me contenter des cahier de textes, carnet de notes etc. à disposition sur un service informatique

*

Pré-rentrée, déjà béatitude

pontoiseaujourd’hui vers 19 heures en attendant mon bus à la sortie de mon lycée

*

J’ai découvert mon lycée aujourd’hui, en faisant la pré-rentrée. J’y ai passé toute la journée et j’en suis ressortie dans un état de joie extatique. C’est un lycée plein de gens merveilleux, et c’est mon premier lycée, le premier lycée de ma nouvelle vie, de ma nouvelle naissance, remplaçant le lycée de ma vie précédente, de mon adolescence précédente, comme l’enfant qu’on vient de mettre au monde remplace l’enfant qu’on fut et renouvelle en soi l’enfance. Peu à peu il se rapproche, le moment où je vais rencontrer mes élèves, mes pèlerins d’amour. Dans le bus de banlieue où je me trouvais ce matin sont entrés de nombreux musulmans en vêtements de fête, en ce jour d’Aïd qui était pour moi jour d’engagement (que j’ai signé !) et ils en sont descendus aussi en même temps que moi. J’ai demandé mon chemin à un jeune parmi eux, son visage s’est éclairé quand j’ai dit le nom du lycée, j’ai vu qu’il l’aimait ce lycée, il m’a renseignée avec joie et en partant je lui ai dit bonne fête, il marchait avec sa petite sœur et sa famille d’origine africaine, c’était si beau, si calme, c’était l’ange qui m’indiquait le chemin. Puis ce soir quand je suis sortie, un autre Noir avec son enfant, me voyant sortir du lycée avec mon cartable m’a demandé : « c’est la pré-rentrée, c’est ça ? », et il en était tout content. Les gens, le monde entier, y compris les couloirs du métro et le RER, sont éclatants de beauté, je suis toute amour et joie, même la longueur des trajets, trois à quatre heures aller-retour, ne me dérange pas, au contraire j’en suis ravie, et j’adore me retrouver en banlieue, j’adore tout.

*

Formation des profs de lettres en Espé : un génocide de la littérature

J’étais dans une énorme colère. Je me suis contenue autant que possible, mais il fallait bien que je dise ce qu’il fallait absolument dire. Notre formatrice, qui s’est présentée comme une agrégée avec vingt ans d’enseignement des lettres, nous faisait travailler depuis un bon moment dans le sens que je redoutais pour l’avoir vu partout sur les formulaires et les exemples de cours, de « séquences », donnés en ligne par les enseignants formés à cette criminelle méthode. Qui consiste à faire travailler les élèves pendants plusieurs semaines sur un corpus de textes pour aboutir à… repérer dans quels genres et registres il faut les classer. Jamais le sens des textes n’est abordé. Mais quand je leur en fais la remarque, ces gens sont étonnés, persuadés qu’ils sont d’avoir aidé les élèves à comprendre le texte. Il faut que je donne un exemple. Nous devions prévoir des séances d’étude de ce passage des Travailleurs de la mer :

« Ce qu’il éprouva en ce moment, c’est l’horreur indescriptible.

Quelque chose qui était mince, âpre, plat, glacé, gluant et vivant venait de se tordre dans l’ombre autour de son bras nu. Cela lui montait vers la poitrine. C’était la pression d’une courroie et la poussée d’une vrille. En moins d’une seconde, on ne sait quelle spirale lui avait envahi le poignet et le coude et touchait l’épaule. La pointe fouillait sous son aisselle.

Gilliatt se rejeta en arrière, mais put à peine remuer. Il était comme cloué. De sa main gauche restée libre il prit son couteau qu’il avait entre les dents, et de cette main, tenant le couteau, s’arc-bouta au rocher, avec un effort désespéré pour retirer son bras. Il ne réussit qu’à inquiéter un peu la ligature, qui se resserra. Elle était souple comme le cuir, solide comme l’acier, froide comme la nuit.

Une deuxième lanière, étroite et aiguë, sortit de la crevasse du roc. C’était comme une langue hors d’une gueule. Elle lécha épouvantablement le torse nu de Gilliatt, et tout à coup s’allongeant, démesurée et fine, elle s’appliqua sur sa peau et lui entoura tout le corps.

En même temps une souffrance inouïe, comparable à rien, soulevait les muscles crispés de Gilliatt. Il sentait dans sa peau des enfoncements ronds, horribles. Il lui semblait que d’innombrables lèvres, collées à sa chair, cherchaient à lui boire le sang.

Une troisième lanière ondoya hors du rocher, tâta Gilliatt, et lui fouetta les côtes comme une corde. Elle s’y fixa.

L’angoisse, à son paroxysme, est muette. Gilliatt ne jetait pas un cri. Il y avait assez de jour pour qu’il pût voir les repoussantes formes appliquées sur lui. Une quatrième ligature, celle-ci rapide comme une flèche, lui sauta autour du ventre et s’y enroula.

Impossible de couper ni d’arracher ces courroies visqueuses qui adhéraient étroitement au corps de Gilliatt et par quantité de points. Chacun de ces points était un foyer d’affreuse et bizarre douleur. C’était ce qu’on éprouverait si l’on se sentait avalé à la fois par une foule de bouches trop petites.

Un cinquième allongement jaillit du trou. Il se superposa aux autres et vint se replier sur le diaphragme de Gilliatt. La compression s’ajoutait à l’anxiété ; Gilliatt pouvait à peine respirer.

Ces lanières, pointues à leur extrémité, allaient s’élargissant comme des lames d’épée vers la poignée. Toutes les cinq appartenaient évidemment au même centre. Elles marchaient et rampaient sur Gilliatt. Il sentait se déplacer ces pressions obscures qui lui semblaient être des bouches.

Brusquement une large viscosité ronde et plate sortit de dessous la crevasse. C’était le centre ; les cinq lanières s’y rattachaient comme des rayons à un moyeu ; on distinguait au côté opposé de ce disque immonde le commencement de trois autres tentacules, restés sous l’enfoncement du rocher.

Au milieu de cette viscosité il y avait deux yeux qui regardaient.

Ces yeux voyaient Gilliatt.

Gilliatt reconnut la pieuvre. »

Moi aussi. Moi aussi, j’ai reconnu une autre sorte de pieuvre quand j’ai vu que dans cette méthode d’enseignement de la littérature il n’était jamais question de s’interroger sur le fait que Hugo ne nommait la pieuvre qu’à la fin, jamais autrement que pour dire que c’était un effet pour susciter la curiosité et faire peur. La pensée de l’innommable, et ce que signifie le fait de nommer finalement l’innommable, ne peut-on envisager d’en parler ? ai-je demandé. À cette question et à d’autres de la même eau sur aussi un autre texte, il me fut répondu qu’il n’y avait pas le temps d’aller si loin en cours. On passe donc des heures à faire croire aux adolescents qu’étudier la littérature c’est savoir de quoi ça parle apparemment, et de définir dans quelle case, quel genre, quel registre, il faut ranger les textes. Pour le sens, on épluche la surface du texte, on montre qu’il parle d’un monstre, et on croit avoir tout dit. Tous ces morceaux de textes dont on gave les élèves sont traités comme des grenouilles de laboratoire ou des bouts de tableaux découpés selon leur couleur (sans que soit montré le tableau entier) : ils n’ont pas droit à la parole.

Je lui ai dit que les adolescents et les lecteurs en général ne pouvaient qu’être intéressés de trouver dans la littérature les grandes questions existentielles, et que si je ne niais pas l’intérêt d’une étude formelle des textes, elle devait cependant être secondaire, ou du moins ne pas être dominante comme elle l’est dans cette méthode. Quand, alors, elle a évoqué Une charogne de Baudelaire en donnant en exemple une collègue qui avait demandé à ses élèves de prolonger cette lecture en écrivant sur des choses dégoûtantes, les excrétions du corps, y compris caca mais peut-être pas jusqu’au liquide séminal a-t-elle dit, ne pouvant pas l’accabler de toutes parts je me suis abstenue de mentionner qu’il était étrange d’envisager toutes les excrétions du corps comme de la merde – le « liquide séminal », comme elle dit, n’est pas du domaine du déchet, non ? – mais je lui ai fait remarquer qu’en faisant travailler les élèves dans ce sens sans se poser de questions on contribuait à laisser assimiler la femme à l’ordure, à la charogne, comme le fait explicitement Baudelaire. Je ne vois pas ça dans le texte, me répondit-elle. Et comme je lui faisais remarquer que ça y était pourtant bel et bien, elle dit : oui mais il parle d’une femme lubrique. Ah, OK, alors elle l’a bien mérité, tout est normal, inutile d’en parler. Et de nous faire un exposé sur cette notion dont je n’avais jamais entendu parler : le « sens acceptable ». On ne pouvait quand même pas laisser entendre que Baudelaire était misogyne, cela ne se fait pas, argumenta-t-elle en substance, ce n’est pas un « sens acceptable », et quand j’ai parlé aussi de la question du racisme dans certains textes elle a dit que de même on ne pouvait pas laisser certains élèves remarquer, comme ils le font tout le temps maintenant, que l’Arabe dans L’Étranger de Camus n’était même pas nommé, car ce n’est pas un sens acceptable d’avoir l’air de dire que Camus aurait été raciste. J’ai essayé de lui expliquer qu’il ne s’agissait pas de stigmatiser des auteurs mais de lire des textes, ce que disaient les textes, et d’en parler. Je lui ai dit que son « sens acceptable », qu’elle n’arrêtait pas de répéter, était de la censure.

L’après-midi, lasse d’avoir mis le cours du matin sens dessus dessous et d’y avoir jeté un sacré froid (« je n’avais pas pensé à ce que tu as dit, m’ont dit quelques profs en formation comme moi à la sortie, mais je trouve que tu avais raison. Je n’ai rien dit parce que c’est elle qui va nous évaluer » – si au moins l’une ou l’un peut s’en souvenir au moment de faire cours, je n’aurai pas perdu mon temps), l’après-midi donc, je n’ai absolument rien dit, même quand la formatrice nous a donné en exemple une collègue qui, pour encourager les élèves à lire d’autres livres que ceux des lectures obligatoires, leur demandait d’y découper aux ciseaux leurs deux ou trois passages préférés, de les coller sur une feuille et de présenter cela pour se voir administrer une bonne note. Non je n’ai pas dit : est-ce pour être bien sûr qu’ils ne les reliront jamais qu’on leur conseille de mutiler leurs livres aux ciseaux ? Et quand elle a donné l’exemple d’un autre collègue merveilleux qui allait jusqu’à distribuer des bonbons en récompense des lectures, je n’ai rien dit non plus, je n’ai pas demandé s’il prenait les lecteurs pour des otaries et la lecture pour un tour d’animal bien dressé.

Vais-je continuer à suivre cette formation obligatoire ? Je ne sais pas. Le problème est qu’elle existe, et qu’elle tue la littérature, le sens de la littérature que pourraient avoir les adolescents. J’ai aussi appris que jusqu’en troisième, on les fait travailler sur six livres par an, dont trois de « littérature jeunesse » actuelle – et j’ai l’autre jour parlé avec une nouvelle prof agrégée qui m’a dit n’avoir rien compris à un texte tiré de Mondo et autres histoires donné parmi d’autres à l’oral du CAPES, car elle n’avait pas l’habitude de lire de telles choses, et ne savait dans quel genre le classer. Mon fils aîné a lu ce beau livre de Le Clézio quand il était encore en primaire, de lui-même, mais ce n’est pas cela la « littérature jeunesse » qu’on fait lire aux collégiens, ce sont des histoires « de leur âge » publiées à l’École des Loisirs, car l’autre littérature, la littérature, ils sont jugés incapables de la comprendre – bien sûr, puisque leurs profs ne la comprennent pas non plus.

Suite des notes sur la formation à l’Espé : ici

Allez, les images du jour, quand même :

 

corto maltese à austerlitzCorto Maltese à la gare d’Austerlitz

*

genevilliersprès de la fac, à l’heure du déjeuner sur l’herbe

*

gennevilliers rerun graff à la gare du RER associant style d’écriture latine et surlignement en style d’écriture arabe

photos Alina Reyes

*

 

L’université de Nanterre, son street art, son théâtre, son charme

Aujourd’hui, après avoir oublié le matin de descendre à la station parce que je lisais dans le RER, et avoir donc dû faire demi-tour (que de tourisme !), j’ai passé la journée à l’université où se donne une formation des nouveaux professeurs de l’académie où j’ai en charge une classe de seconde générale et une classe de première technologique. On ne peut pas dire que je sois convaincue par les méthodes prônées pour l’enseignement de la littérature, mais au moins, comme ça, je sais ce qu’il en est (comme je sais ce qu’il en est de la formation des journalistes pour avoir fait aussi des études de journalisme, dont l’esprit n’a pas beaucoup changé). Et je saurai bien accommoder ces méthodes à ma façon (j’ai hâte !) Heureusement une bonne part de liberté est laissée aux enseignants. Voici encore des photos prises à l’université de Nanterre hier, je trouve ça beau, vivant.

*

université nanterre 1

université nanterre 2

université nanterre 3

université nanterre 4

université nanterre 5

université nanterre 6

Pour voir la clôture magnifiquement peinte du théâtre, c’était hier

université nanterre 7

université nanterre 8

université nanterre 9

université nanterre 10après le Pokemon,  retour au RER en travaux avec ses perspectives :

rer nanterre universitéhier à Nanterre, photos Alina Reyes

*

 

Globale ou syllabique ? Éducation Nationale, le grand déni

grafLe ministre de l’Éducation nationale parle de restaurer la méthode syllabique d’apprentissage de la lecture, aussitôt les syndicats se récrient, prétendant que la globale n’est plus employée depuis « des décennies ». Il y a quinze ans, j’ai découvert avec une énorme consternation que le livre de lecture de mon fils, entrant au CP, lui demandait de « photographier les mots », avec petit dessin d’appareil photo à l’appui au-dessus des mots, avant qu’on lui ait seulement appris les lettres – cela viendrait, plus ou moins, plus tard. J’ai cherché et acheté un livre de méthode syllabique, à l’ancienne, et je lui ai appris à lire de cette façon, ce qui l’a beaucoup soulagé car il était désemparé par cette méthode qualifiée de semi-globale (qui a toujours cours) qui est tout simplement un interdit de penser. Sur la lancée, préférant prévenir que guérir, j’ai appris aussi à son petit frère à lire ainsi alors qu’il était encore à la maternelle (du coup, sachant déjà lire, il a pu prendre un an d’avance en primaire et depuis il a fait et fait d’excellentes études).

À la même époque, j’ai été invitée à dîner, avec quelques autres personnes, par la ministre de l’Éducation nationale alors en poste. J’en ai profité pour évoquer ce problème. Tous ses conseillers m’ont alors soutenu, comme le font les syndicats aujourd’hui, que cette méthode n’était plus employée depuis des décennies. J’avais beau leur parler du petit appareil photo du livre, ils niaient. Ce n’est pas tout, disent les syndicats d’enseignants, d’apprendre à déchiffrer, il faut aussi enseigner aux enfants à comprendre ce qu’ils lisent. Certes, mais comment le comprendraient-ils, s’ils sont incapables de le lire, comme un grand pourcentage d’entre eux à leur arrivée au collège ? La méthode syllabique ne fait pas qu’apprendre à déchiffrer. Comme les mathématiques ou l’apprentissage des langues, elle éduque le cerveau, le rend capable de déchiffrement non seulement des lettres mais du sens des textes, et de la complexité du monde. La globale est la méthode de la passivité, de la réception des images comme devant la télévision, de la destruction de la capacité à penser.

Tout semble fait pour empêcher les élèves de penser. Les programmes sont surchargés, il faut toucher à tout sans rien apprendre en profondeur. Ce n’est pas de l’apprentissage, c’est du zapping, et il n’en reste quasiment rien. Je ne crie pas à la décadence de l’éducation, car il y a très longtemps que le problème se pose, même s’il semble s’accentuer dramatiquement. Où ai-je appris la littérature ? Certainement pas au lycée, il y a plus de quarante ans. La méthode Lagarde & Michard n’était pas non plus apte à enseigner la lecture. Mais du moins n’avais-je aucun problème à déchiffrer un texte, et partant, à lire tous les livres que je voulais, sans souci des programmes. De même en mathématiques j’avais acquis assez d’outils pour le calcul à l’école primaire, mon cerveau était assez exercé pour aborder l’algèbre en sixième. Ce que j’ai vu avec la scolarité de mes derniers enfants, qui étaient en primaire au début des années 2000, c’était un programme aux yeux beaucoup plus gros que le ventre, où tout n’était qu’effleuré, dans toutes les matières. Pour autant, les enfants étant ce qu’ils sont, intelligents par nature, beaucoup arrivent à développer leurs capacités malgré les mauvaises méthodes d’apprentissage qu’ils subissent. Mais beaucoup, trop écrasés à la fois par le milieu social et par l’école, ne s’en sortent pas. Et nous n’avons pas le droit de nous y résoudre. Il en va de leur avenir et de notre avenir, de l’avenir de tout le pays, que chaque talent puisse se développer au mieux.

Dans quelques jours c’est la rentrée. Certifiée de l’année, je sais dans quel lycée j’ai été affectée, mais comme tous mes nouveaux collègues sans doute, j’ignore quelles classes me seront confiées et quel programme je devrai leur enseigner. On voit là tout le décalage entre des programmes venus d’en haut, contraignants, et l’impréparation, voire l’improvisation auxquelles sont abandonnées les enseignants. Si j’avais à faire moi-même un programme d’enseignement pour telle ou telle classe qu’on m’aurait dit me confier, je l’aurais préparé avec joie. Mais je me sens traitée comme un élève à qui l’on veut apprendre à lire en lui disant de photographier les mots : comme quelqu’un dont on veut nier l’intelligence et l’autonomie. Les programmes officiels du lycée, que j’ai consultés dans l’espoir d’y trouver des indications, sont si vastes qu’il faudrait y passer vingt ans avec une classe pour les aborder un peu sérieusement. Une situation déplorablement absurde.

*