Aux reines de l’entropie et de la néguentropie

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Hier à Paris 13e et 5e, photos Alina Reyes

Hier à Paris 13e et 5e, photos Alina Reyes


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La « parole du jour » sera donnée à ce beau lapsus orthographique trouvé dans un article sur les bienfaits des psychédéliques, à partir du livre Voyage aux confins de l’esprit de Michael Pollan. Après avoir expliqué que « sous psilocybine votre cerveau augmente son entropie : vos réseaux cérébraux perdent de leur spécificité et se mettent à communiquer entre eux de façon anarchique, faisant apparaître de nouvelles connexions. Ce chaos cognitif débloquerait vos schémas de pensée embourbés dans une rigidité pathologique. Et expliquerait par conséquent votre plus grande flexibilité comportementale », l’auteur de l’article, Jérôme Lichtlé, écrit :

« Si les psychédéliques lâchent les reines de l’entropie, c’est parce qu’ils inhibent la région de votre cerveau dédiée justement au maintien de l’ordre cognitif ».

Ô mes juments, reines de l’entropie et de la néguentropie, emportez-moi toujours plus loin, démultipliez pour moi l’espace infiniment grand et infiniment petit !
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Voir aussi ici mot-clé psychédélisme, avec une journée d’étude au Muséum et une exposition à la Halle Saint-Pierre

Études psychédéliques le matin, pavots au jardin l’après-midi

pause du matin au colloque psychédélique, avec café et petits croissants

pause du matin au colloque psychédélique, avec  distribution de café et petits croissants

 

Je suis allée ce matin à une journée d’étude sur les études psychédéliques. Cela prête à sourire, et c’est ce que j’ai fait d’abord, me rappelant mon trip de 30 heures au LSD quand j’avais dix-huit ans (la dose était un peu trop forte). Mais c’est tout à fait sérieux – sans exclure le sourire. Il existe depuis peu une Société psychédélique française, composée de quelques jeunes chercheurs de différentes disciplines qui se retrouvent sur cette thématique. Dans un amphithéâtre du Muséum d’Histoire Naturelle, elle organisait une journée d’approche historique de la construction d’un champ disciplinaire, avec le soutien d’éminentes institutions scientifiques.

Il fut question des champignons hallucinogènes – psilocybes – au Mexique, de leurs pouvoirs « divinatoires », de leurs usages tantôt thérapeutiques, tantôt hallucinatoires, tantôt religieux (la dose ingérée augmentant dans le même ordre). Les champignons hallucinogènes se trouvent quasiment partout sur la planète et le plus drôle c’est le sens du nom que les Chinois leur donnent : « et maintenant tu rigoles, n’est-ce pas ? » S’ils font rire les Chinois, ils n’ont pourtant pas le même effet sur toutes les personnes – certains rient, d’autres ont des visions d’horreur, d’autres communiquent avec l’invisible… Ils ont aussi le pouvoir de faire revenir des souvenirs enfouis, notamment des traumatismes d’enfance. En France, après des expéditions et des études scientifiques menées au Mexique parmi les populations qui les consomment, des expériences furent menées à Saint-Anne avec des malades mentaux à la fin des années 50, et comme on sait Henri Michaux y participa (mais préféra le faire chez lui). Puis tout cela commença à inquiéter les autorités, et le clou de l’affaire c’est que ce fut Maurice Papon qui fit interdire ces champignons. Le tortionnaire avait de la morale. Les études sur les hallucinogènes demeurent taboues dans notre pays, quoiqu’elles ouvrent sur un vaste domaine de connaissances et de possibles applications, notamment thérapeutiques.

 

colloque psychédélique 2

colloque psychédélique 3

Il fut aussi question de l’impact des hallucinogènes sur la contre-culture des années 60, et des tentatives d’études sur la créativité que ces substances auraient pu, ou non, favoriser. En fait, aucune étude n’a pu montrer un résultat convaincant dans ce domaine. On s’est souvenu que Timothy Leary voulait rendre la créativité accessible à tous au moyen des hallucinogènes, utilisés comme agents libérateurs. Toute une époque. Enfin nous avons eu une intervention sur « Psychédéliques : machines à éclairs de génie ou machines à foutaises ? », par un chercheur en costume à carreaux fantaisiste du meilleur effet. Croquis de cerveau en couleurs à l’appui,  il a été question de cortex préfrontal et de théorie hypofrontale, de créativité analytique et de créativité intuitive, de flexibilité cognitive (beaucoup plus forte chez l’enfant), d’entropie informationnelle, de pensée erratique et exploratoire, d’idées délirantes, de connexions plus ou moins importantes dans le cerveau, de bassins profonds singuliers, de lobe temporel médian, de fluence et d’autres choses encore dont les seuls noms suffisent à faire agréablement divaguer.

la statuette qui présidait à l'affaire

la statuette qui présidait à l’affaire

On a regardé un petit documentaire délicieusement suranné, Champignons et hallucinations réalisé pour l’ORTF par Jean Lallier en 1966. Puis d’autres chercheurs de différentes disciplines ont apporté leur éclairage final pour cette matinée, et il fut question par exemple de l’année 1817, qui vit apparaître en Angleterre la première expérience de gaz hilarants et le premier brevet de kaléidoscope. On s’est demandé ce qui pouvait bien faire passer l’artiste de l’état de créature à celui de créateur, j’ai entendu évoquer William Blake mais à ce moment-là j’étais en train d’essayer de récupérer mon stylo, qui passait de mains en mains pour remplir une feuille avec les noms des personnes présentes dans le public, et je n’ai ni bien entendu, ni bien entendu pu noter ce que je n’avais pas bien entendu.

L’après-midi la journée d’études se poursuivait mais j’ai été occupée par autre chose dont je reparlerai peut-être, puis finalement je suis retournée au jardin pour ne rien y faire, seulement me taire. Et au passage, photographier les pavots.

Il y a longtemps que je n’ai plus besoin de la moindre drogue pour entrer dans des états seconds ou même hallucinatoires, et j’en ai exploré, des mondes !

 

pavotsaujourd’hui au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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Exposition Raw Vision à la Halle Saint Pierre

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J’étais allée l’été dernier voir l’exposition d’art brut Banditti dell’arte à la Halle Saint Pierre, et ce qui m’avait surtout plu, c’était de lire la biographie de chacun de ces artistes si singuliers, le rapport entre leur œuvre et leur vie souvent de misère, de folie mais aussi de fantaisie, qui conférait à leur travail d’autodidactes, même quand il pouvait exprimer un enfermement, le pouvoir de faire sortir de tous les cadres auxquels nous sommes habitués, de remettre tout en question comme lorsque on sent la terre trembler.

Les œuvres présentées dans cette nouvelle et foisonnante exposition, dédiée à toutes sortes d’artistes marginaux consacrés par la revue anglaise Raw Vision au long des vingt-cinq dernières années, délivrent une expérience de la même espèce. Toutes les œuvres sont accompagnées de la biographie de leurs auteurs, laquelle fait partie de l’œuvre. Pas de séparation pour ces hommes et ces femmes entre la vie et l’art. Il faut même penser que leur existence éminemment unique, poétique, romanesque, constituant une puissante expérience humaine, ne pouvait que les conduire à créer. Parvenus à ce degré où la vie est l’art et l’art est la vie, beaucoup, comme jadis le facteur Cheval, travaillent aussi leur habitat, leur environnement. Beaucoup tiennent à conserver un certain isolement, une certaine pauvreté. Leur indépendance des cadres sociaux, manifeste dans leur création, donne même à ceux d’entre eux qui connaissent un enfermement effectif ou mental une forme puissante de liberté.

Toutes ces œuvres sont spirituelles, directement ou non. Certaines ont été inspirées par des anges, des visions, ou la Bible (et si je puis me permettre, je conseillerais bien au monseigneur chargé de la culture et de l’art, au Vatican, de s’y intéresser – voilà un art éminemment évangélique, incarné, pauvre et extrêmement parlant). À l’heure où l’art est tellement soumis au marché ou même frelaté, usurpant le nom d’art pour faire son effet, ces œuvres et leurs créateurs ont le précieux mérite de nous renvoyer aux sources de l’art, à la pulsion artistique inscrite en l’homme, à l’homme.

Je présente avec un très bref résumé de leur biographie quelques-uns des artistes présents dans cette exposition. Les images de leurs œuvres, trouvées sur internet, ne correspondent pas forcément avec celles qui sont exposées, jusqu’au 22 août prochain, à la Halle Saint Pierre.

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Donald Pass était un peintre abstrait reconnu lorsqu’une « expérience visionnaire saisissante » dans un cimetière le fit changer complètement de registre. Depuis il peint ses visions, notamment de résurrection.

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Von Ströpp, n’ayant pas reçu d’éducation, a appris seul à dessiner ses expériences visionnaires et mystiques, atteignant un trait parfaitement maîtrisé, fin, précis.

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McKendree Robbins Long, pasteur très renommé pour son talent d’orateur, s’est mis sur le tard à peindre des scènes bibliques hautes en couleur.

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François Monchatre, « élevé dans la dévotion des cimetières par sa grand-mère maternelle », représente des machines-corps infernales.

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Viljo Gustaffson, finlandais, peint isolé dans l’ombre de sa petite maison des évocations mystérieuses de la mort.

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Pavel Léonov, ancien prisonnier dans un camp en Géorgie, peint des scènes colorées et paisibles bordées d’oiseaux, souvent accompagnés d’avions.

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Sam Doyle, descendant d’esclaves né à St Helen, île au large de la Caroline du sud, peint des personnages colorés sur de vieilles tôles de toit.

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Martin Ramirez, ancien ouvrier des chemins de fer aux États-Unis, interné pour schizophrénie, dessine sur des bouts de papier récupérés et collés à la mie de pain ou à la pomme de terre écrasée, avec quelques crayons et des couleurs qu’il fabrique avec du charbon, du jus de fruit, du cirage, de la salive… des personnages locaux et des animaux, notamment chevaux et cavaliers, dans des architectures.

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Henry Darger, orphelin maltraité, toute sa vie nettoyeur dans un hôpital de Chicago, laissa après sa mort une autobiographie de 2000 pages, une œuvre littéraire de 15 000 pages intitulée In the Realms of the Unreal, et de longues aquarelles sur papier représentant des petites filles au sexe de garçon en train de jouer.

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Augustin Lesage, mineur, devint peintre de miniatures sur grandes toiles, à l’appel d’une voix.

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Magde Gill, après la mort de son bébé, se mit à dessiner la nuit, à l’encre ou au stylo, des femmes incluses dans un univers de traits architecturaux.

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Le Reverend Howard Finster se mit à peindre à l’âge de soixante ans, sur l’ordre d’un ange, des thèmes religieux accompagnés d’écritures.

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Richard Burnside, qui vit toujours dans un mobil-home, pratique la peinture laquée sur contreplaqué.

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Herbert Singleton, grandi en enfant des rues dans une banlieue de la Nouvelle Orléans, fait des sculptures sur bois, aux sujets notamment religieux, extrêmement colorées.

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Mr Imagination, rené de Gregory Warmack après une NDE, sculpte notamment à partir de capsules de bière. Il est mort peu après l’incendie de sa maison à Bethlehem, en Pensylvannie, qui emporta ses œuvres, ses chiens et ses chats.

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Bessie Harvey, croyante et parlant avec les arbres, sculpte dans des morceaux d’arbres ramassés.

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Sister Gertrude Morgan, visionnaire de la Nouvelle Orléans, peint pour évangéliser.

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R.A. Miller, très humble illettré de Géorgie, découpait dans la tôle des figures qui devinrent célèbres quand le groupe R.E.M. tourna une vidéo chez lui en 1984.

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Ras Dizzy, Jamaïcain sans domicile fixe, peint en nomade des scènes du pays.

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Pradeep Kumar (Inde) est sculpteur sur allumettes.

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Ben Wilson (Grande-Bretagne), soucieux de récupération, peint, entre autres, les chewing-gum écrasés par terre.

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Charles Benefiel, qui fut sdf, fait de grands dessins impressionnants d’hommes et de chiffres.

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Dalton Ghetti sculte des mines de crayons.

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Alex Gray est l’auteur d’une très belle œuvre psychédélique, marquée par l’amour, la sexualité, la mort, la spiritualité.

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Nek Chand, sorte de facteur Cheval hindou, a sculpté des personnages sur tout un territoire qui est ensuite devenu jardin public.

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De Paul Laffoley, qui se mit à peindre des sortes de mandalas après avoir été licencié de son emploi dans la conception des tours du World Trade Center, on voit dans cette exposition deux œuvres diaboliques.

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Norbert Cox, après avoir mené une vie liée à la drogue et à la grande délinquance, est devenu ermite dans les bois. Puis il est retourné en ville dans le Wisconsin et s’est mis à peindre de grands tableaux aux thèmes apocalyptiques.

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Ilija Bosilj, paysan serbe réfractaire, peint des tableaux inspirés de scènes bibliques. 

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Bien d’autres oeuvres de ces artistes, et bien d’autres artistes encore, sont à découvrir dans l’exposition.