La vache noire de Rainer Maria Rilke

Voici un autre poème de Rilke. J’aime penser à la vache noire qui retient son meuglement à la fin du texte, comme le font les vaches quand elles écoutent de la musique – je l’ai souvent vérifié quand elles s’assemblaient autour de mon ermitage en montagne pour écouter avec moi la musique souvent sacrée dont je leur faisais profiter en ouvrant la porte et les fenêtres.

Ô ce qu’il a dû coûter aux anges
de ne pas, tout à coup, fuser en chant comme on éclate en pleurs,
sachant pourtant : en cette nuit va naître
la mère du garçon, l’Un, qui va bientôt paraître.

Frémissants, silencieux, ils montrèrent du doigt
où se trouve, isolée, la ferme de Joachim.
Ah ! ils sentaient, en eux et dans l’espace, la pure condensation !
mais sans pouvoir, aucun, descendre à lui.

Car les deux se tenaient déjà si hors d’eux-mêmes.
Une voisine vint et ne sut qu’en penser,
et le vieux, prudemment, alla retenir le meuglement
d’une vache noire. Car jamais encore il n’en avait été ainsi.

Rainer Maria Rilke, Naissance de Marie (ma traduction, de l’allemand)

La braise et la pluie parlent

Jour de braise et jour de pluie dans mon corps et âme… Voici ma traduction d’un poème de Rainer Maria Rilke.

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Levez les yeux, vous, hommes ! Hommes, là, au feu,
vous qui connaissez le ciel infini,
interprètes des étoiles, par ici ! Voyez, je suis une nouvelle
étoile montante. Toute mon essence brûle
et rayonne si fort, elle est si extrêmement
complètement lumière, qu’à moi le profond firmament
ne suffit plus. Laissez ma splendeur entrer
dans votre existence : ô ces regards sombres,
ces cœurs sombres, destins nocturnes
qui vous remplissent. Bergers, combien seule
je suis en vous. Tout à coup, je deviens un espace.
N’êtes-vous pas stupéfaits ? le grand arbre à pain
jetait une ombre. Oui, elle venait de moi.
Ô vous, intrépides, si vous saviez
comme maintenant, sur vos visages qui regardent,
brille l’avenir ! Dans cette puissante lumière
beaucoup de choses arriveront. À vous je fais confiance, car
vous êtes retirés ; à vous, authentiques degrés,
tout ici parle. La braise et la pluie parlent,
le trait de l’oiseau, le vent et ce que vous êtes,
rien ne prédomine, ne se gonfle en vanité,
ni ne s’engraisse aux dépens. Vous ne retenez pas
les choses dans l’interstice de votre thorax
pour les y torturer. Ainsi qu’une joie
par un ange afflue, à travers vous se presse
le terrestre. Et si tout d’un coup
s’enflammait un buisson d’épines d’où, encore,
pouvait vous appeler l’Éternel, si des Chérubins
daignaient près de votre troupeau
aller et s’avancer, vous n’en seriez pas étonné :
vous tomberiez face contre le sol,
en prière, et appelant la terre.

Mais cela fut. Maintenant du nouveau doit être,
qui va dilater l’orbe de la Terre.
Que nous est une ronce ? Dieu se projette
dans le sein d’une vierge. Je suis la lumière
de sa profondeur, qui vous conduit.

Rainer Maria Rilke, Annonce aux bergers (ma traduction, de l’allemand)

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