Yoga de la dame à la licorne, trésor pour le monde

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Quarante minutes de yoga chaque jour au lever, et les muscles, les articulations, la colonne vertébrale s’assouplissent et se renforcent. Ajoutez à cela au moins une heure de marche quotidienne à la fois vive et attentive et vous êtes parfaitement bien et vivants dans votre corps et dans votre esprit. Ce ne sont évidemment pas les seules façons de demeurer dans le bien-être, mais le bien-être requiert le corps et l’esprit. J’ai passé une très grande partie de ma vie en contemplation, je continue. Et je sais qu’il n’y a pas de contemplation spirituelle sans contemplation physique. Pas d’esprit sans corps, pas de pensée sans usage des sens. La qualité de la pensée, sa profondeur, sont en rapport direct avec la qualité de l’usage que nous faisons de nos sens.

Les tapisseries des cinq sens de la Dame à la licorne constituent en quelque sorte cinq asanas, cinq postures de yoga. L’ensemble constitue un kriya, comme on dit au kundalini yoga. Quant à la sixième, j’ai finalement trouvé une autre interprétation à son geste avec les bijoux. On dit généralement qu’elle va s’en parer, ou bien au contraire qu’elle est en train de s’en dépouiller. Selon ce que je comprends maintenant, elle pourrait, après avoir savamment usé de ses cinq sens, être en train d’accoucher de ces pierreries. De faire naître d’elle un trésor.

Sa servante, part d’elle-même au service du monde et sage-femme en même temps, le recueille. Le monde ouvrira le coffre au trésor quand il y sera prêt.

 

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Kundalini yoga et batiks d’Akiko Iwasaki

Akiko Iwasaki, "Notion d'inexistence du temps"  (avec mon reflet en train de le photographier)

Akiko Iwasaki, « Notion d’inexistence du temps » (avec mon reflet en train de le photographier)

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Comme coussin de yoga, j’ai pris mon livre Voyage, épais avec ses mille pages, et je l’ai enveloppé d’un chèche, retenu autour du livre par un lacet de chaussure. J’aime bien savoir que je médite et pratique des exercices assise sur mon travail, sur toutes ces pages entièrement dédiées à la spiritualité, entourées d’un foulard de nomade du désert. Au jour où, pour les chrétiens, le Christ a été crucifié, au jour et à l’heure où les musulmans, à la mosquée toute proche, se rassemblent pour la grande prière, je pratique avec d’autres femmes et hommes, dans une salle de danse, le kundalini yoga, qui exerce l’esprit à travers le corps et donne paix, joie et vision de la vérité.

Les catholiques m’ont très maltraitée, par sexisme, puritanisme, autoritarisme et imbécilité. Après avoir voulu les aider, je les ai quittés, les voyant décidément irrécupérables. Les musulmans m’ont laissée tranquille, du fait qu’ils n’ont quasiment pas de clergé. La spiritualité islamique me convient parfaitement, et la grande prière où nous étions tous et toutes réunies dans le jardin intérieur de la Grande mosquée constituait un moment absolument splendide. Malheureusement le recteur a décidé de mettre les femmes à part en leur assignant une salle à l’entresol ; ne pouvant accepter ça, j’ai cessé d’aller prier à la mosquée. Au même moment, donc, dans notre salle de danse toute proche, guidée par la professeure, nous récitons le mantra Ong Namo Guru Dev Namo, c’est-à-dire : « Je m’incline face à la l’énergie première et créatrice, je m’incline face à la sagesse subtile et divine » ou : « Je m’incline devant la subtile sagesse divine, le divin enseignant intérieur ». Nous enchaînons les postures et les exercices, les chants, les récitations, les souffles, les méditations (tête voilée parfois), et pour finir nous récitons le mantra Sat Nâm, qui signifie « Je vois, je suis (être), la vérité », puis nous nous inclinons comme dans la prière islamique et nous nous redressons avec le sourire.

Akiko Iwasaki, une artiste qui organise des stages de batik, exposait les siens jusqu’à hier dans un couloir du même bâtiment. Leurs titres à eux seuls constituent des poèmes, et, associés à leur dessin, un beau support de méditation, de rêverie, de réflexion :

"Examen de la double fente, Mécanique quantique"

« Examen de la double fente, Mécanique quantique »

"La gravité"

« La gravité »

"Le jardin du temple au pavillon d'argent"

« Le jardin du temple au pavillon d’argent »

"Printemps"

« Printemps »

"Sukhumvit soi"

« Sukhumvit soi »

"Sutra du cœur"

« Sutra du cœur »

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Kundalini yoga

photo Alina Reyes

photo Alina Reyes

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C’est un corps encore un peu courbaturé, et déjà un peu aminci, qui écrit cette note, au surlendemain d’un premier cours de kundalini yoga. Un corps rassasié, après avoir eu si faim d’exercice, durant les trois mois où il en a été privé, suite aux opérations chirurgicales (seule la marche m’était permise).

Le kundalini yoga est un exercice complet du corps et de l’esprit, conjuguant postures tenues longtemps et savamment enchaînées, concentration mentale (yeux fermés tout au long de la séance, guidée par la parole de la professeure), écoute de la musique légère diffusée, chant de mantras, temps de méditation, techniques de souffle, techniques de contractions, pratique répétée de la « respiration du feu ». Pratiques qui semblent ne demander, lorsqu’on les accomplit, que très peu d’efforts, voire aucun effort, et qui s’avèrent pourtant solliciter profondément le corps – en témoignent les moments où durant la séance le sang se met à chauffer sans raison apparente, puis l’état presque second dans lequel on en sort, et, du moins pour moi après un long temps sans exercice, les courbatures du lendemain, des cuisses aux épaules en passant par les abdos.

Diagramma-chakra-kundaliniLe travail ne s’exerce pas seulement sur les muscles et les articulations, mais aussi sur les organes, la circulation du sang, l’oxygénation, notamment du cerveau. Dès le premier cours, il est clair qu’il s’agit d’une pratique puissante (d’ailleurs dangereuse pour les personnes qui ont ou ont eu des problèmes psychiatriques). Une pratique spirituelle autant que physique. Kundalini, du mot sanskrit kundala qui signifie « entouré en spirale », désigne « une puissante énergie spirituelle lovée dans la base de la colonne vertébrale », une « énergie cosmique » (article détaillé : wikipédia). Très ancien, le kundalini yoga a été aussi appelé rāja yoga, yoga royal.

J’ai pratiqué au fil des années différentes formes de gym et de danse ; celles et ceux qui sont dans ce cas et savent donc contrôler les postures pour ne pas se faire mal peuvent s’initier au yoga sur Internet, s’il n’y a pas de cours assez bon marché à proximité ; mais je recommanderais au moins quelques cours en salle pour bien se pénétrer de l’esprit du kundalini. Il n’est pas indispensable d’être particulièrement souple, la souplesse s’acquiert avec la pratique. Personnellement j’ai  perdu un peu de souplesse avec les traumatismes chirurgicaux, mais il m’en restait assez pour pouvoir réaliser toutes les postures. J’espère retrouver toute ma souplesse originelle (par exemple, je réussis encore, à très peu près, l’exercice consistant à, couchée sur le dos, lancer les jambes derrière la tête jusqu’à toucher le sol des pieds, mais je ne peux plus du tout, comme je m’amusais à le faire avant, (mais cela ne nous a pas été demandé) ramener de là mes genoux au sol de chaque côté de ma tête pour l’encadrer), j’espère même l’améliorer. En tout cas j’ai été si satisfaite que j’ai changé mon cours hebdomadaire d’une heure pour un cours d’une heure et demie. Notre corps aussi veut être savant, apprenant.

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Zen et zazen, pratique

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chaise rue 13eHier en marchant à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Ce matin, à l’aube, j’ai fait zazen – je vais dire comment. Mais je pratique le Zen depuis que j’ai lu, il y a très longtemps (et relu, il n’y a pas longtemps) Siddharta de Hermann Hesse, superbe et classique porte d’entrée au bouddhisme pour les Occidentaux. Adolescente, je me suis intéressée à toutes les spiritualités, j’ai essayé de pénétrer, à ma façon, toutes celles auxquelles j’avais accès à travers des textes. En lisant le témoignage de Taïkan Jyoji dont j’ai donné un passage dans la note précédente, je me dis que toutes les épreuves qu’il est allé chercher dans un monastère au Japon pour parvenir à l’illumination, je les ai pour ma part vécues naturellement, dans la vraie vie telle qu’elle est pour une fille du peuple, mère très tôt et rapidement mère célibataire, sans qualification ni travail autre que des successions de jobs temporaires et mal payés, connaissant des années de grande pauvreté et même de faim, puis malgré tout trouvant le moyen de faire des études, à l’âge où les autres les terminent, de trouver de nouveaux jobs, etc. Pour traverser tout cela, la précarité et l’insécurité permanentes, puis plus tard une célébrité soudaine (et pas du tout aimée) sans se perdre en chemin, sans perdre sa joie ni son esprit d’enfance, pour traverser tout cela et bien d’autres choses et se sentir toujours fraîche à soixante-deux ans, toujours prête à découvrir, apprendre et inventer encore, le Zen profondément vécu, sans signe extérieur, le calme profond malgré les agitations de surface, m’a beaucoup soutenue.

Le Zen n’est pas une religion, c’est une pratique. Une pratique au moins autant physique que spirituelle. En fait, le corps et l’esprit y sont complètement unis. Un esprit vivant dans un corps vivant, un esprit aiguisé dans un corps aiguisé. Je ne peux pas dire que j’ai approché le zazen, la « méditation » (le terme est impropre) zen en novice : mes longues années de mysticisme sauvage, puis dans le cadre du christianisme, puis dans celui de l’islam (avec notamment la prière islamique, très physique aussi), mes années de pratique de la contemplation, qui fait partie de mon existence quotidienne, qui est mon existence quotidienne, mes temps d’érémitisme, me facilitent évidemment l’opération qui consiste à faire le vide, comme on dit faute de mieux – faire la paix et la lumière. Mais ce n’est pas une raison pour se dispenser d’expérimenter des méthodes, et j’ai donc expérimenté zazen pour la première fois. Pour me préparer, en plus de continuer à lire le livre dont j’ai parlé, j’ai visionné plusieurs vidéos de maîtres zen, tant pour l’esprit que pour l’exercice physique de zazen. Hier soir j’ai testé, les fesses posées sur un coussin comme indiqué, la position en lotus ; et j’ai constaté que je n’arrivais plus à la faire : là où ma cheville a été brisée, il y a quelques années à la montagne, ça tire trop. Peut-être, si je persévère, et en me mettant aussi bientôt au yoga, parviendrai-je à réassouplir l’articulation. Pour le moment, je me mets donc en demi-lotus – ce que le maître zen dans la vidéo ci-dessous appelle la façon asymétrique (mais les débutants qui n’arrivent pas à faire non plus le demi-lotus peuvent simplement croiser les jambes de leur mieux, ou même, pour les plus raides, s’asseoir sur une chaise). Ensuite il faut se tenir bien droit, c’est essentiel, avec les mains posées l’une sur l’autre, les pouces joints formant une ouverture ovale – les vidéos ci-dessous expliquent tout cela dans le détail. Puis pratiquer la respiration abdominale. Respirer avec le ventre, comme le font les chanteurs. J’ai appris cela dans l’enfance, de mon père qui était chanteur de bel canto amateur, et ensuite, adulte, en chantant dans divers chœurs : quand on doit tenir une note très longue, il faut l’expirer tout aussi longuement. Le maître zen recommande ici de tenir au moins 8 secondes. Hier soir, j’ai été tout de suite à 25 secondes, temps vérifié sur le réveil électronique. Ce matin, sans forcer, tout doucement, j’ai commencé à 18 secondes, puis le temps a augmenté de lui-même à chaque expiration, pour se stabiliser à 25 ou 27 secondes. Je n’ai pas cherché à faire plus, par un effort, car la respiration doit rester naturelle. Mais compter mentalement les secondes est un très bon moyen d’empêcher les pensées importunes ou l’endormissement. J’ai fait cela environ un quart d’heure, puis je suis restée un bon moment à savourer la paix et la lumière avant de me relever.

Deux heures plus tard, à l’hôpital où je me trouvais pour une petite intervention d’une petite heure avant une nouvelle opération demain, la médecin m’a dit « ça se passe très bien, vous ne bougez pas du tout, c’est parfait ». J’ai alors remarqué que sans y penser, naturellement, je pratiquais une respiration calme et profonde. Et j’étais profondément calme.

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La recherche selon la méthode des koan dans le Zen Rinzai

taikan jyojiToute personne qui cherche peut comprendre la méthode de recherche exprimée dans ce passage de l’Itinéraire d’un maître zen venu d’Occident, de Taïkan Jyoji. Approfondir la compréhension de ce qu’est sa propre recherche et de là, approfondir encore sa recherche. J’ajoute encore un mot après la citation.

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« Il existe trois recueils fondamentaux de koan. Un seul est traduit en français : Le Passe sans porte. Ce recueil de quarante-sept koan commence par celui du « MU de Joshu ». Ce koan est un des trois koan de base qu’un Maître a la possibilité de donner à son élève. Le deuxième s’énonce ainsi : « Avant la naissance de tes parents, quel est ton visage originel ? » Et le troisième : « Un son est produit lorsqu’on frappe dans ses mains. Quel est le son d’une seule main ? » Cette technique de travail par le koan permet de remonter aux sources de soi-même par la pénétration de significations mystérieuses, la destruction de monde des naissances et des morts, le dépassement des passions (non leur destruction).

(…)

Chaque koan est un enseignement en soi. Ce n’est pas seulement, comme on peut le lire parfois, un moyen de soutenir l’attention du disciple ; c’est également un enseignement. La compréhension exacte d’un koan et le sens profond échappent souvent à l’étudiant. Si un koan est saisi par l’intellect lors de son énoncé, il doit ensuite passer par une longue maturation, une longue macération, faite par le corps et l’esprit. Il faut souvent plusieurs jours, voire plusieurs semaines, rien que pour passer le koan de l’intellect à l’esprit et au corps. Le travail de recherche doit être effectué de deux manières, d’une part, la concentration de l’esprit sans laquelle la signification du koan ne peut être atteinte, d’autre part le travail d’investigation, de « concentration réfléchie » sur le koan. La pratique absolue et parfaite est d’arriver à être absorbé par le koan, à être un avec le koan, à ce que le koan et soi ne deviennent plus qu’une chose, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il faut que le koan devienne la chose la plus importante du monde. On doit travailler sur le koan de manière à polariser toutes les énergies sur lui. Passer un koan, c’est gravir une marche dans la réalisation de soi.

Il ne s’agit donc pas de saisir intuitivement un koan ni de le résoudre par une réflexion logique. Il ne s’agit pas de comprendre un koan pour le passer, mais de devenir ce koan. L’intuition ne suffit pas. La réponse doit exprimer un état vécu. Prenons un exemple : un homme bat le record de plongée sous-marine en descendant à plus de cent vingt mètres. C’est par un entraînement régulier qu’une telle performance peut être atteinte. Chaque mètre gagné est un acquis, dans le sens où cet être vainc à chaque mètre supplémentaire quelque chose en lui. Plus il avance dans cette aventure (et le Zen n’est-il pas une aventure ?), plus le monde qu’il découvre sera nouveau : les espèces se trouvant à trente mètres de fond n’existent pas à vingt mètres ; celles de cinquante mètres, pas à quarante. Plus il est capable d’aller profond, plus son corps et son esprit réalisent les transformations nécessaires pour supporter les effets de l’augmentation de la pression. Dans le Zen, chaque koan est un mètre. À chaque koan, le corps se transforme, ainsi que l’esprit, puisqu’il n’y a pas d’esprit sans corps ni de corps sans esprit. »

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« La réponse doit exprimer un état vécu », dit Taïkan Jyoji. Oui. Et l’état vécu doit créer la réponse, qui doit être un passage sans porte à un autre monde, jusque là inconnu, et, quelle que soit la voie empruntée, ouvert pour les autres.

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