« Venez à la félicité »


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Quand j’étais au carmel, à prier cinq fois par jour, j’étais bienheureuse au plus haut point, comme lorsque je suis dans ma montagne seule face à Dieu. Et maintenant que je suis dans l’islam, il en est de nouveau ainsi. Dans la règle des Pèlerins d’Amour est inscrite depuis l’origine, depuis deux ans, la journée rythmée par cinq temps de prière. Sur cette question absolument primordiale il n’y aura donc rien à changer. L’islam c’est la possibilité de vivre comme au carmel, en priant cinq fois par jour, tout en vivant pleinement sa vie d’homme ou de femme, dans la plénitude de la communion, la paix du cœur, l’élan continuel de l’être vers la source de tout être, dans l’éternité. L’islam est l’accomplissement de la religion, qui rend l’homme à sa pleine humanité, telle qu’elle fut pressentie par les hommes originaires, les « primitifs », dont l’existence profane était indissolublement liée à l’existence sacrée. Oui, là seulement est l’homme : quand sa vie naturelle est toute entière vécue dans sa dimension surnaturelle. En ce sens l’islam est la religion des religions. Comme elle sa prière unit la terre et le ciel, le corps et l’esprit, également sollicités, participants de ce passage dans l’autre monde qu’est la prière. Sans doute les siècles et l’époque ont-ils fermé en un grand nombre d’êtres humains la porte qui permet ce passage. Mais cette porte est inscrite dans l’homme, et sa nature, et l’humanité, réclament son ouverture. La réclament comme l’eau réclame derrière un barrage, même si on ne l’entend pas. Notre passage ici-bas est un parcours entre les barrages, mais nul barrage n’est éternel, et l’eau saura toujours courir vers l’appel à la félicité.

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L’Aïd à la Goutte d’Or


d’un bus de la Petite Ceinture ce matin à l’aube, photo Alina Reyes

 

À sept heures moins le quart O m’a appelée pour me faire entendre le muezzin. Puis, ce matin à l’aube, je suis partie rejoindre A et ses amies à la Goutte d’Or, dans l’ancienne caserne de pompiers transformée en mosquée suite aux polémiques autour des prières de rue. D’abord nous avions prévu de nous retrouver à la mosquée de La Villette, puis changement de programme au dernier moment, j’ai donc pris le bus à la descente du métro. En ce jour de l’Aïd, nous étions douze mille en ce lieu, c’était impressionnant. À l’intérieur serrées les unes contre les autres, et idem du côté des hommes, à se demander comment nous arrivions encore à effectuer les gestes de la prière, conduite par la voix de l’imam dans le haut-parleur. J’ai beaucoup aimé son prêche, il a commencé par rappeler que cette célébration dépassait le temps et serait faite jusqu’à la fin du monde, car elle a lieu dans le ciel, avec les anges, en même temps.

Ensuite nous avons marché pour nous rendre chez l’une d’entre nous, où nous avons retrouvé famille et amis. Je ne connaissais personne mais je connais l’hospitalité de ces gens, et voilà tout était simple et chaleureux, les jeunes hommes riaient avec leur sœur, servaient la table jusqu’à la couvrir de pâtisseries et autres crêpes et spécialités marocaines maison, avec bien sûr les petits verres de thé, tandis que sur l’écran de télé youtube diffusait l’une après l’autre des chansons du groupe Le silence des mosquées. Nous avons parlé du mouton de l’Aïd, du tracas que représente son sacrifice dans des abattoirs surchargés de demandes – mais ils sont tous tellement patients, et même quand ils parlent de problèmes c’est avec un sourire jusqu’aux oreilles. Nous avons entendu le muezzin en direct de La Mecque, par le téléphone d’un proche en pèlerinage, qui a appelé en se déclenchant à son insu. Le temps a passé dans une paix immense puis nous sommes allées dans une autre famille, là il y avait un adorable bébé, Ismaïl, et puis toujours le thé et les pâtisseries et la paix joyeuse quasi surnaturelle. En début d’après-midi nous sommes allées à la prière du vendredi à la mosquée de La Villette cette fois, là aussi il y avait beaucoup de monde, mais moins que le matin où comme à la Goutte d’Or des centaines avaient dû prier dehors. J’étais invitée pour la suite, le dîner, mais je devais rentrer, j’ai repris le métro, c’était vraiment une très belle journée, dans le génie humble et splendide de l’islam.

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