Le premier jour

Après le jardin, la bibliothèque et le jardin,

je suis allée à la mosquée pour la prière de l’après-midi,

ne sachant trop comment faire – c’était la première fois.

Mais justement j’y ai rencontré un ange, une toute jeune femme fraîche et calme et souriante, qui m’a complètement guidée. Nous avons prié côte à côte, serrées, afin que le diable ne puisse entre nous passer. Nous nous sommes embrassées et de nouveau embrassées et dit à bientôt as-salam alaykoum incha’Allah, voilà, je suis restée encore puis repartie avec ses conseils, le petit livre qu’elle m’a offert et le cœur bienheureux, c’est ma première petite sœur en islam et j’ai tout à apprendre, c’est l’aube de nouveau, le premier jour du monde.

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tout à l’heure au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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Tributaire tribu

 

Les gens de la tribu de Mohammed l’accusaient d’être possédé par les djinns, tout comme les juifs accusaient Jésus d’agir par béelzéboul. Tout peuple qui se réduit par lui-même à l’état tribal est ou devient incapable de Dieu, de l’universel, de la lumière. Le monde moderne est une grande tribu vouée à la pensée occulte, qui est une non-pensée, à ses démons, l’avidité, la peur, le repli sur soi. La terre entière est tribalisée par le monde moderne. C’est pourquoi le salut vient du ciel. Il vient.

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Écrit du jour

 

Jets violents des cieux à travers chair.

La marche arrache à la terre le verbe.

Or et soie, la parole transportée

des nomades, fourreau de leur épée.

Venez je vous trempe la langue entre

les mains de l’eau le torrent irradiant.

Croyez mes irradiés l’œil troue le ciel

et remue dans vos os l’autre lumière.

À travers terres circule la parole

déroulée pleine comme la robe

du cheval sous la selle retirée.

Elle est la peau tendue sur le décès

du monde, tambour et terre labourable,

courbes de l’univers, rond droit de l’arbre.

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Chant de l’accomplissante

 

Trou de mémoire, univers blanc !

Où chuchotent les moires, j’arrive,

Jaillis, lumière parcourant

Les eaux de l’une à l’autre rive !

Ô banc de poissons que je suis,

Volants, pont d’amour qui se jette

Entre les cieux que tu poursuis !

Éclats de vie, trombes de fête,

Soudains affolements du vent,

Embruns salés dans la blessure

De la fille première, rêvant

Tout haut, folie ! son aventure,

Son advenue, son invention

Au sein de la beauté nouvelle,

Toute parole et vibration,

Incarnation montante, réelle !

Prairies de braises, ton regard

Profondément descend aux fentes

De mes yeux, de ma vie, hasard

Sans doute aboli dans les sentes

Connues de notre enfantement .

Écoute la rencontre voulue

D’un nord en marche et d’un aimant

Accomplir la vérité nue.

Amant, je déchire le soi,

Sais-tu ? Lutte perpétuelle

Des joies dans le lit de la foi,

Creusant chaque jour l’écuelle

Où viennent boire les grands lions

Dociles de nos chairs brûlantes !

Voici naître la faim, prions !

Dans nos paumes tendues, parlantes,

Coule le miel de cette mort

Dont toujours l’homme ressuscite.

Le combat de l’amour, plus fort,

Plus doux que toute paix, invite

En notre habitation les chœurs

De l’armée blanche, troupe d’anges

Fléchée de rires, de clameurs,

Murmures de neige, chants étranges

Des corps où vient souffler l’esprit.

Musique, voici le temps de l’être

En lequel l’être s’accomplit.

Plus rien ne demeure au paraître,

Et Dieu, pure essence de feu,

Pose lui-même sa brûlure,

Scellant l’alliance dans le jeu

Des sangs à leur réécriture.

Je, poussière dans le rayon

De l’universelle pupille,

Danse avec les photons, les ions,

Au sein de l’Esprit qui scintille.

Ma sainte famille des cieux,

De quelle branche, quelle essence

D’arbre cosmique par mes yeux

L’homme vient-il à sa naissance ?

Quand l’univers a défailli,

S’est déchiré de jouissance,

J’ai vu le temps humain jailli

À l’orient ouvert, sa chance

Dernière dans le tout-premier

Mot prononcé, si bref poème,

Silence presque, instantané.

Venue à la matière même,

Voyant peut-être au creux du noir,

Le long de ma descente altière,

Je réaliserai l’espoir

De rendre l’être à la lumière.

Frères mes hommes, et vous mes sœurs,

Reprenons de concert la trace

Du chemin quitté par erreur,

Où se révèlera Sa face.

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(extrait de Voyage)

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Trouver

Jardin des Plantes, vendredi dernier. Photo Alina Reyes

 

L’esprit scientifique et l’intellectualisme sont des murailles que l’homme élève entre lui et sa peur de la mort.

La quête de Dieu est un chemin que l’homme trouve dans l’amour de la vie.

L’intellectualisme, dont participent la littérature et l’art d’aujourd’hui, épaissit sans cesse la muraille entre l’homme et la vie.  L’esprit scientifique, souvent, y crée une brèche par où s’entrevoit la lumière, où se rejoint la quête de Dieu. Confluent des deux océans. (Cor 18, 61)

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Sourate 18, Al-Kahf, La Caverne (3). Ses enseignements politiques

Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

Comprendre ce qu’est, dit et révèle le prodige que sont la Bible, l’Évangile et le Coran, c’est comprendre ce qu’est Dieu, qui il est et ce qu’il veut. C’est bannir la possibilité de l’instrumentaliser. C’est reconnaître qu’en Lui seul réside notre histoire, notre être et notre devenir. Et qu’il est donc de notre devoir absolu d’aider les hommes à comprendre Sa parole, son sens qui n’est pas figé dans le temps mais au contraire vivant, évoluant comme un organisme, un arbre de vie qui jamais ne cesse de produire des fruits beaux et bons à contempler et à manger, pour quiconque va vers lui avec la permission des anges qui en gardent l’accès.

Nous l’avons montré dans nos lectures précédentes, la sourate Al-Kahf n’est pas seulement au centre phonologique du Coran, elle en est comme une matrice, à l’image de ce qui fait son titre, cette Caverne où mûrit la résurrection. C’est en s’isolant lui-même dans une grotte que le Prophète a commencé à recevoir la révélation, signe de résurrection pour son peuple et lui. Or que se trouve-t-il dans ce centre du Livre autour duquel nous tournons comme autour de la Kaaba ? Au centre du centre, nous l’avons dit, un verset qui indique le mystère choquant de la mort. À l’entrée ou au déploiement du centre, une histoire chrétienne de résurrection, celle dite des Sept Dormants d’Éphèse. Suivie d’une parabole sur le sens de l’existence, puis d’une plongée dans les eaux célestes avec Moïse, et enfin d’une expédition aux confins de l’humanité. Une succession de récits de plus en plus énigmatiques, conclue par l’annonce eschatologique du Jour où toutes les âmes auront à répondre à l’appel.

Telle une pierre noire au milieu du Livre, Al-Kahf rayonne au secret d’une intense énergie spirituelle, celle qui transporte quiconque s’en approche dans la voie de la résurrection, transforme la mort en vie, la finitude en vie éternelle. Le Coran tout entier rayonne de ce rayonnement puisé en son centre qui est partout, tout en se trouvant résumé et imagé en Al-Khaf, sourate récitée tous les vendredis. Nous y reviendrons, continuerons à y pénétrer plus avant. Pour aujourd’hui, notons que le sens eschatologique du texte ne nous empêche pas d’y voir aussi un enseignement politique. D’après ce qui nous est montré dans La Caverne, comment devons-nous nous comporter au sein de la Cité terrestre ?

Les histoires ou paraboles successives désignent clairement le mal causé par les abus de pouvoir des hommes. Dans le premier récit, les jeunes gens sont confrontés à la dictature d’une idéologie idolâtre. Face à sa force brutale, se soumettent-ils ? Non. Ils se retirent ensemble. Non pour mourir ou disparaître, mais pour ne pas laisser corrompre leur foi, leur innocence. Leur voilement par la caverne est un témoignage. Le monde veut les forcer à se nier en se faisant discrets ? En se réfugiant en Dieu, dans ce rocher biblique, cette caverne qui est aussi temple, autel, mosquée, ils traversent les siècles et les barrières, deviennent un signe aussi visible que l’étoile au-dessus de la grotte de la Nativité.

Cependant la réaction au monde mortifère ne consiste pas seulement dans le retrait. L’histoire des deux hommes au jardin enseigne que le comportement dominateur, suffisant et méprisant du riche finit par le perdre. Comment réagit le moins favorisé à l’arrogance du dominant ? Non pas en se taisant, mais en lui rappelant les droits de Dieu, sans hésitation ni timidité, en prenant le temps d’argumenter, démontrer, affirmer le vrai.

Dans l’histoire suivante Moïse, en cheminant sous la guidée d’un envoyé de Dieu nous enseigne comment continuer à progresser et à garder la foi même quand l’iniquité à l’œuvre dans le monde tendrait à nous en détourner. Car si l’on rencontre souvent, en plus de l’iniquité des hommes, une apparence d’iniquité de Dieu, c’est seulement parce qu’on en ignore le sens. Le récit constitue donc pour notre vie terrestre, notre politique en ce monde, une incitation à garder la foi et à chercher à pénétrer plus avant dans la connaissance. Le dernier, énigmatique et bref récit des expéditions de Dhu’l-Qarneyn aux confins de l’humanité confirme la nécessité de cette quête de la connaissance, qui est aussi voyage à la rencontre de l’autre.

Nous reviendrons bien sûr de façon plus détaillée sur ces récits. Avant cela nous serons sans doute appelés par la sourate précédente, Le voyage nocturne. D’ici là nous pouvons récapituler les enseignements politiques de La Caverne : se faire témoins de la lumière en se retirant des systèmes idolâtriques ; répondre à l’arrogance par des paroles de vérité ; continuer à avancer dans la connaissance.

Selon le Coran, Dieu seul sait combien ils étaient, dans la caverne. Peut-être trois, est-il dit d’abord. Et je songe : un juif, un chrétien et un musulman, attendant de ressusciter ensemble de leur engourdissement dans un monde troublé ?  Peut-être sept, ou plus, dit encore le texte. Peut-être bien toute l’humanité, réunie dans sa diversité ?

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Précédentes lectures de cette sourate: ici.